Le voyage aux Terres australes, naissance d’un naturaliste havrais
De juin à novembre 2021, l’Australie s’invite au Havre. « Le Havre, escale australienne » fait découvrir cette île-continent et ses liens particuliers avec la ville portuaire. Les Archives municipales du Havre et Nutrisco vous embarquent pour le Voyage de découvertes aux Terres australes.
Une terra incognita à explorer
Durant le dernier quart du XVIIIe siècle, l’Australie, ou Nouvelle-Hollande, est encore majoritairement terra incognita : ce sont les mêmes côtes et espaces qui sont cartographiés à chaque expédition. La côte sud-est n’est pas complétée et la Tasmanie (appelée Terre de Diémen) est encore rattachée à l’Australie. En effet, bien que dès 1642 des savants soupçonnaient que la Tasmanie fût une île, cela n’a été prouvé qu’en 1798. C’est ce que l’on observe sur la mappemonde réalisée par le géographe Jean Janvier en 1792.
Cette terre inconnue retient l’attention du Premier consul Bonaparte qui décide, pour ne pas s’opposer aux Anglais déjà présents en Nouvelle-Hollande, d’une expédition à vocation scientifique vers les terres australes. Elle a pour but de cartographier ces régions peu explorées mais aussi d’observer la faune et la flore, et de rapporter des spécimens jusqu’alors inconnus.
Le projet adressé aux professeurs et administrateurs du Muséum national d’histoire naturelle précise les objectifs en termes de connaissance de l’histoire naturelle : « Projet de voyage à exécuter par ordre du Gouvernement français & dont le but est de rectifier la position des différentes Isles & écueils connus dans l’étendue des Mers du Sud ; approfondir le caractère & les meurs des Peuples répandus sur cette partie du Globe ; leur donner une Idée de nos Arts & Manufactures, faire naître parmi eux le besoin de nos productions ; connoitre celles de leur sol, & enfin en rapporter pour l’Instruction publique & l’utilité économique de la France, les Quadrupèdes, Oiseaux, Végétaux & Minéraux, utiles aux progrès des Sciences & avantageux au Commerce National ».
Le voyage d’un jeune havrais
La décision de mener à bien l’expédition est prise en mars 1800, il faut ensuite trouver un capitaine apte à mener ce périple. Ce sera Nicolas Baudin (1754-1803) : il est habitué aux navigations difficiles et à la conduite de voyage naturaliste. Il choisit des bateaux adaptés à la navigation dans des mers australes aux conditions météorologiques périlleuses (la corvette Le Géographe et la gabarre Le Naturaliste), et forme l’équipage au plus vite. En effet, le départ de l’expédition est prévu pour octobre de la même année ! Sur ces deux navires vont embarquer plus de 200 personnes. Parmi elles, une quarantaine de savants dont des cartographes, des scientifiques mais aussi des artistes et des naturalistes, afin de rapporter un maximum d’informations, ainsi que l’équipage des navires.
C’est une expédition lointaine qui se prépare. Certains marins, jusqu’à l’État-major, désertent avant l’embarquement. Au contraire, un jeune havrais veut absolument y prendre part, il s’agit de Charles-Alexandre Lesueur. On sait qu’il est allé au Collège du Havre et, malgré ses talents pour le dessin, on ne lui connait aucune formation spécifique en la matière. Lorsqu’il souhaite embarquer à bord du Géographe en tant qu’artiste, toutes les places sont prises. C’est donc en tant qu’aide-canonnier qu’il embarque. De cet embarquement, il nous reste son passeport. L’état d’usure du document, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Armand Salacrou, porte les stigmates du voyage aux Terres australes dont son propriétaire s’est finalement révélé être l’un des grands naturalistes.
Les différentes escales sont parfois l’occasion de désertions. L’état de santé des hommes avec le scorbut et la dysenterie qui font rage sur les navires ou les désaccords entre l’équipage peuvent être autant de raisons menant à ces désertions. Une quarantaine de membres de l’expédition désertent lors de l’escale à l’Île de France (actuelle Île Maurice) entre le 15 mars et le 25 avril 1801. Parmi eux : un astronome, des botanistes, des jardiniers et les trois dessinateurs. Charles-Alexandre Lesueur et un autre membre d’équipage, Nicolas-Martin Petit, deviennent alors les dessinateurs officiels du voyage. Le rôle des dessinateurs est d’illustrer le Journal de bord du capitaine. Durant le voyage, les dessinateurs ont aussi pour rôle de prendre des notes et faire les croquis qui permettront la réalisation, à terre, de dessins accompagnant la publication des résultats de l’expédition.
Lesueur tend alors à se spécialiser dans les dessins d’animaux, principalement marins. Dans une lettre adressée à son père le 24 avril 1801 avant de reprendre la mer, il écrit « Mes occupations sont de dessiner les objets d’histoire naturelle, d’aller à la chasse, & d’aider au secrétaire du commandant qui ne manque pas d’ouvrage, ma principalle [sic] occupation est le dessin ».
Beaucoup de sites en Australie portent les noms des scientifiques de l’expédition. Lesueur, aide-canonnier promu dessinateur et naturaliste de l’expédition, donne son nom à plusieurs lieux : le Cap Lesueur, le Mont Lesueur et l’Île Lesueur, en Australie-Occidentale.
Une expédition à la portée scientifique extraordinaire
Le navire Naturaliste rentre au Havre en juin 1803 chargés d’objets et d’animaux qui sont très vite confiés au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Le navire Géographe arrive pour sa part à Lorient le 25 mars 1804.
L’expédition a permis de découvrir et répertorier 220 000 objets, dont notamment 2 542 nouvelles espèces animales, et 1 500 nouvelles espèces en botanique. Elle a également permis le rapatriement de 796 échantillons minéralogiques, 206 objets d’ethnographie mais aussi 1 700 dessins et aquarelles de Petit et Lesueur. Cela fait de cette expédition l’une des plus importantes réalisées jusqu’alors, mais aussi certainement la plus meurtrière du fait des maladies tropicales et carences alimentaires.
Lesueur et Petit ont quant à eux dessiné et répertorié les paysages australs, la faune, la flore ainsi que les habitants et leur mode de vie. Les dessins de Lesueur sont extrêmement précis : il peint à l’aide d’une loupe et utilise des pinceaux composés de seulement quelques poils. Lesueur revient au Havre en 1804 et, à terre, retravaille ses dessins. Le zoologiste François Péron rédige Voyage aux Terres australes qui parait en 1807 accompagné de quarante et une planches de Lesueur et Petit.
Charles-Alexandre Lesueur, naturaliste havrais
A la suite de ce voyage, Lesueur continue dans la voie de dessinateur naturaliste. Il effectue plusieurs voyages en France, parfois accompagné de Péron (Paris, Nice, Villefranche-sur-Mer, Le Havre…). Comme durant le voyage aux Terres australes, il dessine les paysages, la faune et la flore. Une fois encore, les créatures marines sont dessinées avec une minutie particulière.
En 1815, Lesueur se voit proposer un contrat en Amérique du Nord pour collecter, dessiner et décrire l’anatomie et les mœurs des différentes espèces animales rencontrées. Il accepte et profite du trajet pour faire escale et dessiner l’Angleterre et les Antilles. Il reste vingt-et-un an aux États-Unis mais garde toujours un lien avec la France, notamment en faisant parvenir régulièrement des caisses de spécimens au Havre et au Muséum de Paris. Les recherches de Lesueur aux États-Unis ont principalement porté sur les poissons mais il s’est aussi intéressé à la faune, la paléontologie et la culture des Indiens d’Amérique du Nord.
Il rentre en France en 1837, notamment à Paris, et passe les deux dernières années de sa vie à Sainte-Adresse, qui jouxte son Havre natal. Il dessine et milite pour la préservation du littoral havrais dont il constate la fragilité et l’érosion inexorable. Il fait don d’une grande partie de ses travaux à la ville, ce qui mène à la création du Muséum d’histoire naturelle du Havre. Il lui est logiquement proposé le poste de conservateur, qu’il accepte en 1845. Il n’a malheureusement pas le temps d’exercer, car il décède peu de temps avant l’ouverture en 1846.
Consulter les documents en ligne.
En savoir plus :
Exposition Le voyage de découvertes aux Terres Australes à travers les archives. Du Samedi 10 juillet 2021 au Dimanche 19 septembre 2021. Archives municipales du Havre, Fort de Tourneville, 55 rue du 329e R.I 76600 Le Havre. Une exposition gratuite et en accès libre du mardi au dimanche, de 14h à 18h.
Charles-Alexandre Lesueur : de l’erreur à l’excellence. Itinéraire d’un naturaliste-zoologiste explorateur. Conférence MM. Ritsert Rinsma et Thierry Vincent. Samedi 18 septembre 2021, 18h, Salle Philippe-Barrey (Archives municipales). Entrée libre.
Le Havre, Escale Australienne. Du 5 juin au 7 novembre 2021.
Les dessins de Charles-Alexandre Lesueur conservés au Muséum d'histoire naturelle du Havre et accessibles en ligne.
Exposition Australie-Le Havre, l'intimité d'un lien (1801-2021). Du 05 juin 2021 au 07 novembre 2021.
Ecoutez les journaux de bord des savants et marins du Voyage de découverte aux Terres Australes.
Bibliographie :
Baglione, G. Crémière, C. Charles-Alexandre Lesueur. Peintre voyageur, un trésor oublié. 2009. [Paris] : Conti
Charles-Alexandre Lesueur, voyageur naturaliste surdoué. Fanatura. [en ligne] (page consultée le 03/08/2021)
Baglione Gabrielle. Charles-Alexandre Lesueur, dessins du proche et du lointain : la collection graphique du Muséum d'histoire naturelle du Havre. In: Études Normandes, 58e année, n°2, 2009. Patrimoine Industriel. pp. 51-62.
Lesueur, C. (1816). Illustrations de Voyage de découvertes aux terres australes exécuté sur les corvettes "Le Géographe", "Le Naturaliste" et la goëlette "Le Casuarina" pendant les années 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804. Paris : Imprimerie Royale. 40 p.
Mappemonde ou Carte du globe terrestre assujettie aux observations astronomiques / par le S[ieu]r Janvier geographe, 1792, 49 x 66 cm, Le Havre, bibliothèque municipale, CP Ch 004