Le Missel plénier à l’usage de Rouen
Les missels sont de précieux témoins de la vie religieuse. Ces ouvrages liturgiques, qui rassemblent textes et prières, permettent au prêtre qui sert à l’autel de célébrer la messe. Grâce au travail du copiste et aux enlumineurs, ils peuvent devenir de véritables œuvres d’art. Le Liber missarum secundum usum rothomagensem de la Bibliothèque du Havre en est une belle illustration.
Description et provenance
Le Missel plénier à l’usage de Rouen est l’un des onze manuscrits médiévaux conservés par la Bibliothèque du Havre. Il se présente comme un volumineux manuscrit in-folio, de 37,5 x 27 cm. Il n’est pas tout à fait complet : il manque au volume au moins un cahier à la fin, ainsi que deux feuillets dans le corps du manuscrit. Le manuscrit est rédigé sur deux colonnes de 30 lignes sur du parchemin de très haute qualité. Les marges, larges de 10 cm, ont parfois été découpées, peut-être pour pouvoir être réutilisées. La reliure originale du manuscrit n’est pas parvenue jusqu’à nous. En 2021, sa reliure très abimée et trop serrée, datant du XIXe siècle, a été remplacée par une reliure de conservation, plus fidèle à l’esprit du document et plus propre à garantir la pérennité du manuscrit.
Daté de la deuxième moitié du XVe siècle, le manuscrit ne porte aucune marque de son origine. Il a longtemps été présenté, sans preuve, comme provenant de l’abbaye de Saint-Wandrille. Il est probable que cette affirmation découle de l’histoire même de la bibliothèque, qui recueillit certains manuscrits de cette abbaye.
En effet, lors des confiscations révolutionnaires, par décrets en 1792 et 1793, les bibliothèques des communautés religieuses et des nobles émigrés furent nationalisées et permirent de constituer les premières collections des bibliothèques publiques. Dom François Philippe Gourdin, ancien bibliothécaire de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen, fut chargé de réunir au « dépôt littéraire » de Rouen ces bibliothèques confisquées pour ensuite redistribuer leur contenu. Peu soucieux de la cohérence des fonds, il décida de conserver à Rouen l’entièreté des manuscrits médiévaux, y compris ceux des abbayes de Fécamp et du Valasse qui devaient originellement être conservés au Havre. Seuls les livres imprimés des institutions religieuses furent acheminés vers la bibliothèque havraise. Des manuscrits médiévaux furent cependant envoyés au Havre, mais ce ne fut ni ceux de l’abbaye de Fécamp, ni ceux du Valasse, mais bien ceux de l’abbaye de Saint-Wandrille.
Si le lieu de production du missel demeure aujourd’hui ignoré, l’identité d’un copiste pourrait être connue grâce à une mention manuscrite au folio 113 consacré à la litanie des saints du samedi de Pâques. Elle dit : « In nomine Domini. Si nomen meum queris / Johannes plenus amoris / sub meo cognomine / filio Petri Godet / dicitur esse » [Au nom du Seigneur. Si tu cherches mon nom, on dit que je suis Jean plein d’amour, quant à mon nom, fils de Pierre Godet]. Ce copiste pourrait donc être Jean Plenus amoris, fils de Pierre Godet. En effet le surnom plenus amoris (plein d’amour) était fréquemment utilisé par les copistes signant leur manuscrit (voir infra Bruno Laurioux). Il ne semble pas avoir été le seul à travailler à l’ouvrage. Une autre main a copié le texte du Veni creator (f. 119v) et signé « Gruel ».
Contenu du Missel
Depuis le Moyen âge jusqu’au Concile de Trente (1542), chaque diocèse développe une liturgie adaptée aux coutumes diocésaines locales. Il n’existe donc pas de missel unique, mais un missel dont le contenu varie selon les lieux. L’exemplaire conservé au Havre est conforme aux offices liturgiques tels qu’ils étaient célébrés par l’église de Rouen au XVe siècle.
Contrairement à l’usage, ce missel ne comporte pas de calendrier : il est vraisemblablement mutilé de son premier cahier. Le manuscrit s’ouvre sur le « propre du temps », ensemble des offices de l’année liturgique qui débute généralement par l’office du premier dimanche de l’Avent. Suit le « propre des saints », ensemble des fêtes des saints du calendrier liturgique, qui commence par la vigile (jour qui précède une fête religieuse) de la Saint-André (f. 202). Les saints particulièrement honorés à Rouen bénéficient d’offices propres, comme saint Ouen, archevêque de Rouen (f. 223v) ou saint Romain (f. 269). Vient ensuite le « commun des saints », qui a perdu un feuillet (f. 278). Ce manuscrit permet ainsi de disposer des particularités des rites rouennais.
Décor du manuscrit
Le missel comporte un décor très soigné : des encadrements de rinceaux de feuillages et de fruits, des lettrines ornées à la feuille d’or et de nombreuses lettrines filigranées en bleu et rouge.
Un titre courant indiquant l’office de l’année liturgique figure en tête de chaque page. Les préfaces chantées de certains offices sont accompagnées de portées musicales à 4 lignes avec neumes (ancienne forme de notation musicale) fixant le ton.
Au début du canon de la messe, deux remarquables enluminures à pleine page retiennent l’attention : ces deux feuillets ont été cousus sur des onglets de parchemin. Le chercheur Dominique Vanwijnsberghe, mentionné dans le catalogue de manuscrits enluminés Initiale, avance l’hypothèse que les deux enluminures proviendraient bien d’un manuscrit différent, en raison de leur style spécifique qui indiquerait une origine du Nord, peut-être de la région de l’Escaut. Cependant, le texte copié au verso du deuxième feuillet enluminé appartient bien à la copie d’un missel.
Comme c’est l’usage dans les missels de cette époque, ces peintures représentent la Crucifixion et le Christ en majesté entouré de chérubins et séraphins portant les instruments de la Passion, ainsi que du tétramorphe, symbole des quatre évangélistes : l’homme représente Matthieu, le lion est Marc, le taureau Luc et l’aigle Jean. Le traitement soigné des deux scènes principales contraste avec les encadrements plus grossiers qui n’ont pas été peints par le même enlumineur.
La représentation d’une crucifixion et d’un Christ en majesté est usuelle dans un missel.
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Bibliographie :
Dominique Rouet, Trésors du Moyen âge : exposition, Bibliothèque municipale Armand Salacrou, 16 oct.-18 déc. 2004, Le Havre, Bibliothèque municipale Salacrou, 2004, p. 22-23.
Henri Omont, « Havre (Le) », Manuscrits 1-396, 1888 (Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France)
Victor Leroquais, Les sacramentaires et les missels manuscrits des bibliothèques publiques de France, Paris, s. n., 1924, t. 3, p. 124
Charles Samaran (éd.), Robert MARICHAL (éd.), Catalogue des manuscrits en écriture latine portant des indications de date, de lieu ou de copiste, tome VII, Ouest de la France et Pays de Loire, Paris, CNRS, 1984, p. 469
Nadine Gueroult, Mathilde Lepape, « Le Havre, Bibliothèque municipale Armand Salacrou », Patrimoine des bibliothèques de France, un guide des régions. IX, Haute-Normandie, Basse-Normandie, Paris, Banques CIC pour le livre - Fondation d'entreprise, Ministère de la Culture, Payot, 1995
Notice du catalogue Initiale, catalogue de manuscrits enluminés. En ligne : Initiale - Manuscrit - Le Havre, BM, 0325 (cnrs.fr). Consulté le 29 avril 2019.
Bruno Laurioux. Chapitre 2. Les « Viandiers » des XIVe et XVe siècles. N.30. In : Le règne de Taillevent : Livres et pratiques culinaires à la fin du Moyen Âge [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 1997 (généré le 28 mai 2021).
Liber missarum secundum usum Rothomagensem studiose compositus, 1450, Le Havre, bibliothèque municipale, Ms 325