Titre : Revue du Havre et de la Seine-Inférieure : marine, commerce, agriculture, horticulture, histoire, sciences, littérature, beaux-arts, voyages, mémoires, mœurs, romans, nouvelles, feuilletons, tribunaux, théâtres, modes
Éditeur : [s.n.] (Havre)
Date d'édition : 1846-12-20
Contributeur : Morlent, Joseph (1793-1861). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859149v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 décembre 1846 20 décembre 1846
Description : 1846/12/20. 1846/12/20.
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : Fonds régional :... Collection numérique : Fonds régional : Haute-Normandie
Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque municipale du Havre, Y2-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/05/2014
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jolie li le du monde, la li'le, je crois, d’un domestique de M. Law, qui
demeure au hameau du Houle, où j’ai une ni dsori. Je voyais quelquefois
M.do llorn, et comme les deux jardins soni coniigus, il en a pris occa
sion de voir cette jeune fille et de la séduire.
Il |’a séduiie! s’écria madame de Parabère.
Du moins, il l’a icndue fort anioureuse ; celte petite fille accom
pagnait son père, qui agiote rue Quincampoix, et elle a été presque té
moin de l’événement : elle a vu le cadavre ! elle a vu lo sang! Je fré
mis rien que d'y songer. Mais qu’est-elle devenue quand on lui a montré
l’assassin, quand on a nommé devant elle le comte de llorn ? Démit son
amant, celui qu'elle croyait Antoine Pichelu. et qu’elle croyait épouser...
Eh! ce M. de llorn a toujoursélé dangereux pour les femmes.
— C’est un joli garçon, dit lu Parabère.
Ce qu’il a lait là < st bien effronté. Profiter de ma maison... conti
nua la chanoinesse ; mais cela n'usl rien, voilà le plus beau de 1 his
toire : vous allez voir.
Mme do Purabère s’accroupit sur son canapé, le menton appuyé dans
scs deux mains, et comme une femme qui su dispose a écouter avec at
tention. Mme de Tencin reprit :
— Ce malin, j'étais seule dans mon boudoir, au hameau du Houle,
j’attendais M. de Lassé, qui veut que je fu se sa paix avec M. de
Cambrai, et tout d’un coup j’entends un brait do pus. Ce n'était pas
du tout la marche de nos ta ons rouges, qui s’annoncent si bruyam
ment, mais des pas discrets. J'ai cru un moment que c’était M. de Tencin,
mon lièie... point : ce cher abbé M'abandonne pas ainsi M. Law... c’é-
lait une jeune film, déjà surprise par moi avec M. de llorn, pâle, les
cheveux en di sordro, comme 1a Pellissier do l'Opera, dans les ouvrages
de M. LamoU e.
— Mais l’hutnme tué no s’appelle-l-il pas Lacroix? dit Mme do Pa
rolière.
— Précisément.
— Et un homme d’affaires, un domcsliquo de M. Law, no devait-il
pas lui donner sa fille?
— C’ést celle—Lu, e’e.-l ma jeune fille, dit Mme do Tencin.
— H le venait demander vengeance, répliqua Mme de Pu.abèrc.
— Et non, fit lut h uioinosso en trépignant des pieds, non, c’est l’hommo
mort, c’osi Lacroix qu’elle ne voulait pas épouser.
Durs ce moment, la marquise leva les yeux et poussa un cri.
— Qu’a Vfz vous Cotte, marquise? dit Mme de Tencin.
Mme de Paialiè'e étendit le bras, et de son index montra la porte du
‘boudoir à la chatioinese.
Coll" porte s’m, il enliel Aillée, et Catherine entrait doucement l’œil
fixé sur Mme de Parabère, et la bouche ouverte com ité si elle eût voulu
boire la parole de Mme de Tencin.-
C’était une ligure pâle , un front blanc sillonné par une ride d’hier;
les anneaux déroulés de ses cheveux tombaient jusque sur ses épaules ;
c’élaient des lèvres animées et gercé « ; ce visage si frais et si beau na
guère ressemblait alors à ees fruits tent és qu’une main malveillante a
flétris i n les dérobant, et auxquels on a enlevé celte étamine odorante,
cette poussière virginale qui fl liait lus yeux et excitaient le désir.
Catherine était belle encore , mais do celle beauté altérée ot obscurcie
qu’une femme seule devine et comprend.
— Quelle est belle 1 s’écria Mme de Parabère.
— C'est nia jeune fille, oit en souriant Mme de Tencin.
Catherine s’a vanoi ; une lièvre ardente lu dévorait; sa pensée , qui
s’égaiait confuse, avab cependant un point fixe, une ligne droite et
vive d’uù elle ne sorlaù pas, à laquelle tout se rapportait dans son
esprit : Antoine Piclt- lu 1... En entrain . elle vit l'air indifférent do
Mme de P..ratière, la figure souriante de Mme de Tencin, cl. ello s’en ir-
ta ; set dénis claquèreni, un demi-rire lit relever les deux coins (le sa
bouche, et ses narines so Uilalèroiit.
— Oui, la voilà I poursuivit Mme do Tencin ; elle est venue trop tôt :
tout l’effet que je voulais produire Sur vous est manqué... Pourquoi n’a
vez-vous pas attendu qu’un vous appelât? je vous avais dit d'al tendre.
— Je sais que le roi est un enfant, dit Catherine, un enfant do l'àgo
du petil Law, et qu’il ne peut rien ; c’est un autre, un parent du toi qui
a tout le pouvoir, et cet autre, il vous aime, il est votre ami, votre
amanl, voire mari, je ne sais lequel. Obtenez la grâce d’Auioine Piche-
lu, obtenez-la; c'est pour cela que je suis venue, que je me suis laissé
conduire ici par cette femme qui sourit tandis que je suis désespérée!
Une femme peut tout sur son mari ; obtentz la grâce de Pichelu, vous lo
pouvez si vous voulez!
C’était à Mme de Parabère que Catherine s’adressait, et c’élait la cha-
noinesse qu'oiio désignait en parlant de la femme qui souriait à son dé
sespoir. Elle s’était jetée aux pieds de la marquise, ello tenait lo bas de
celle robe légère que nous avons dcciilo, et on froissant 1’élolfo dans ses
mains. MmodeP.irabèro relirait sous elle sospetils pieds et considérait les
traces d’une émoi ion prof unie, d’une passion vraie sur une facehumaine,
chose nouvelle pour clic. Habituée seulement au laisser-aller fugitif de ses
goûts passagers, ou aux délices matérielles de ses sensations du moment;
cette femme légère , dont lo cœur était so, comprit cependant combien
était aigu lo irait qui avait percé la pauvre jeune tille, et emenditee lan
gage passionné , que ne soutenait presque aucune espérance. Mme de
Tencin , au contraire , que lo bel esprit et la prétention d’écrire avaient
habituée à combiner des incitions et a rassembler tous les liis de la trame
de s-os histoires , Mme de Tencin . quoique meilleure et plus sensible
que la marquise, fut moins émue qu’elle néanmoins; elle écoutait Cathe
rine, la regardait . celait une étude qtt * Ko t.d-aii. Aboi on peintre va
observer dans nos hôpitaux les dernières convulsions do l’agonie, poul
ies reproduire sur la toile ; ainsi l’acteur Maoreudy, avant do mourir de
vant ions, sous les traits de Roméo, a d‘ mande des enseignomens à la
médecine et pris des leçons de la douleur.
— Que parlez-vous ô’Anloine Pichelu, mon cnïtnf, dit Mme de Ten
cin ; e’est de M. do llorn qu'il s’agit, c'oM pour lui qu'il faut dénia ndo
grâce.
Calherino fit de la tôle ce gesto d'impatience familier aux personnes
nerveuses que l’on conirarie.
— Taisez-vous, répon tit-ell - à Mme de Tencin, taisez-vous : je parle
à celte dame... M. de llorn ! M. do llorn ! je ne lo connais pas, c’est vo
tre amant à vous ; moi, je demande la grâce de Pichelu.
Mme de Tencin, si dédaigneuse devant la marquise , baissa les yeux
à ces paroles, et no put pas soutenir le regard do Catherine; ello se re
procha un moment do l'avoir amenée.
— Qu’avais-je affaire de me mêler de tout ceci? pén«a-t-ello; quand
ccllo jeune tille est venue chez moi, et qu’elle m’a déclaré avoir échoppé
•à son père pour sauver son amant, je n’avais qu’à la laisser faire sans la
conduire ici moi-même.
Mais bientôt elle revenait de celte dureté : elle sentait qu’Antoine Pi-
chelu n’etait pas l'amant de Calherino delà même manière que M. de
llorn avait été lésion, et elle pensait avec effroi au malheur do voir
périr d’une manière si cruelle et si déshonorante, un homme qu’elle avait
aimé. Nous avons dit que M. de la Fresnaye se tua chez elle; mais cet
événement n’eut lieu que plus lard, et la chatioinese n’ôlait pas habituée
encore à jouer un rôle dans les tragédies.
Son imagination vivo so représentait d’abord la douleur de cetle jeune
hile, qui pouvait la conduire au suicide', et avait déjà altéré scs facultés :
■ensuite elle se voyait elle-même ne pouvant pas bannir le souvenir de de
llorn, qui troublait ses nuits et la poursuivait jusque dans ses songes.
Aimant à se mêler d’intrigues, et faisant très peu de fond sur la volonté
et sur 1 esprit de Mme do Parolière, elle comprit que c’était à elle à agir,
ot, selon son expression favorite, à débrouiller cet écheveau ; elle se hâta
donc d’entrer dans l’espèce (l’ignorance de Catherine, qui voulait tou
jours séparer deux existences qui n’en faisaient qu'une,
— Levi z-vous, mon enfant, lui dit-elle, nous allons essayer do sauver
Auto ne Pichelu.
Catherine se leva, et Mme de Parabère la lit asseoir auprès d’elle.
Celle-ci la considérait avec étonnement ot sans plus songer à l'ao i-
dent affreux qui amenait l’Ecossaise dans son boudoir, ello regardai’
les mains blanches, mats un peu furies, de Catherine, l’ovale pat fai
de son visage, les ch -veux blonds, l’arc do sourcils, et les yeux blanc,
ternis do larmes. L’émotion n’avait duré qu’un instant, et avait fait
place à une vaine curiosité do femme.
— C'est donc ainsi, pensait-elle, quo les femmes sont faites en Ecosse,
dans le pays de M. Law : ce sont do jolies blondes, mais j’uimo mieux les
brunes.
Rien n’échappait à la malheureuse Catherino, et elle devinait facile
ment l’indifférence de ces deux femmes. Cependant ello no so découra
gea pas.
— Je suis le seul appui d’Antoine, dit-elle ; si je l’abandonne, c est
fini, on le tuera. Son père est un vieil avocat, dur, égoïste, qui ne l’aime
pas ; le mien ! mon itère !...
Elle poussa un cri, se cacha la tête dans ses mains, et ses larmes
l’empêchèrent un moment do parler.
— Mon père voulait mo faire épouser un homme qu’on a tué, et on a
accusé Antoine..- Eli! mon Dieu, je suis perdue.
— Ecoulez, dit Mme de Tencin, vous avez raison : celui qui gou
verne la France pour le roi, M. le régent, peut seul sauver Antoine*
et madame a du pouvoir sur lui... elle va lui écrire... mais malheureu
sement, ajoula-t-elle, il s’agit de M. de llorn.
— Non, s’écria Catherine avec une vivacité qui effraya Mme do Para
bère ; non, no parlez pas de ce M. de llorn quo je ne connais pas, c’est
d’Antoine qu’il faut demander la grâce.
— Oui { oui, Antoine, c’est cola, reprit la chanoinesse.
Mme de Tencin regarda la marquise avec un air qui voulait dire :
— Aurez-vous le courage d’écrire à M. le régent eu faveur do M. de
llorn?
Et sans avoir articulé cetto demande, elle y répondit :
— Ma loi oui ; à voire place, j’écrirais, Philippe est bon ; c’est au fond
le moins jaloux do tous les hommes, et celui qui aimo lo moins à reve
nir sur lo passé. Ecrivez.
Catherine s’é ail mise do nouveau à genoux aux pieds de la mar
quise ; elle priait-, ello suppliait ; une seule pensée soutenait, sa faible
raison ; et dans quelque égarement que fût sou esprit, l’idée fixe qui
l’obsédait la préservait do louto déviation. Mme do Parabère étendit
la main vers uno petite tablette déposée sur un' meuble, la plaça
sur ses genoux, et réfléchit un moment; mais les mots ne venaient pas :
11 marquise avait reçu une éducation si négligée, ou, si l’on veut,
si nu;l i, qu'olle éiait embarrassée pour écrire une phrase , et même
quelques mois. 11 y eut un moment où la honte do no savoir po nt
écrire allait l’emporter sur le désir ot la vanité d’être utile. Mme de Ten
cin s’était promis do sauver M. de llorn sans se comprom tire toutefois;
ello s’aperçut do l’hésitation de la marquise, on devina le motif : alors,
sans rien dire, elle s’empara de la petite tablette, la plaça sur ses ge
noux, plaça le papier devant elle, enleva la plume aux doigts inhabiles
de Mme de Parabère, et l’auteur du Comte de Comingis écrivit quel
ques mots à M. lo régent. La marquise lut rapidement et signa.
Mme de Tencin ploya la lettre, fit couler la cire sur l’enveloppe, y
apposa un cachet aux armes des Parabère, et adressa lo tout au
regeni. Elle allait joindre à ce bienfait ses instructions, soit pont- parve
nir jusqu'au prince, soit pour émouvoir son altesso royale; mais, avant
quYlle pût ouvrir la bouche, Catherine s’était emparée do la lettre, avait
s iule comme une bidio hors du boudoir, ot traversant la longue lilo des
appartenions, avait gagne l’escalier et quitté l’hôtel.
— Eh bien, marquise, elle a disparu comme une apparilion.
— La sotie fille 1 sans me remercier, reprit Mine do Parabère.
Que vouli z-vousl il paraît que l’on fait cot effet sur lo peuple toutes les
fois que l’sn a une épée et u u plumet. J’ai presque regret à ma lettre.
M. le régent la montrera à Mme de Sabrait, et la sollu aifatre de AL de
llorn sera remise sur le tapis.
— St M. le régant voit cette fille, elle pourra obtenir sa grâce.
— Oh ! non, répondit Mme de Parabère, la petite est trop farouche.
XIV.
lac Kégent.
Ce bon régent qui gâta tout en France.
VOLTAIRE.
Dans le moment même où Calherino implorait la pilié de Mme de Pa
rolière, John Ramsay, pâle, subitement vieilli par la douleur, et les yeux
chargés d’un feu sombre, était debout dans le parloir de Mme Law, et la
tête baissée il demandait son enfant, qui vena.l d'échapper'.à la’vigi
lance de Catherine Kitowel.
— Au reste, mistress, disait-il, je n’ai point de reproche à vous faire;
vous n’avez pu la relcnir, cYst tout simple : ni mot non plus, je no l’ai
pas po. E le a quitté son vieux père deux fois, et si hier au soir vous ne
l’aviez pas ramenée dans votre carrosse, j’aurais cru qu’elle avait été
enlevée par quelqu’un de ces misérables libertins qui sont les gentils
hommes de ce [iays-ci, et que M. Law appelle les roues du régent.
— C’est lo nom que ce prinro leur donne lui-même, dit Aime Law,
mais quelque audacieux que soient ces hommes, il paraît quo vous n’a
vez pas à craindre co malheur... Ah ! John, le jour où lions sommes ve
nus en Franco a été un jour bien malheureux pour nous ions.
— Mistress ! s’écria Ramsay, sauf mon respect pour vous, je crois qu’il
aurait mieux valu que nous luss ons tous au fond de la Ciyuo ; jo n’aimo
pas les Anglais, mais je | référerais passer toute ma vie parmi eux que
de vivre, comme je le fats, au milieu de ces Français, qui se moquent
eux-mêmes de leur religion, n’ont d’aulte divinité que For, et sont p us
effrontés que des chiens.
— Cependant, John Ramsay, dit Mme Law, vous alliez donner votre
fille à un de ces Fiançais?
— Dieu m’est témoin, répondit lo serviteur dévoué cri mettant sa main
j-.tr ion cœur, quo je n’agissais ni pour moi ni pour elle, lu pauvre cil
lant ! mais seuF ment dans l’intérêt de Al. Law, à qui ce mariage était
n'cestaire.
— Nécessaire I dit Mme Law.
— Oui, mistress, je sacr fiais mon sang et ma chair, comme me l'a dit
Katty elle-même ; un lion si rviteitr ne peut pas faire plus, et il parait
qu'il ne doit pas même en faire autant, puisque Dieu me punit.
Mme Law paraissait etifoncee dans des réflexions profon es, e’ ce ma
riage de Catherine avec Lacroix, fait dans l’imérct de M. Law, était pour
elle une énigme.
Ramsay c i.nlinun :
—.Enfin ce mariage, pour lequel elle avait une si grande aversion, ne
peut plus so faire : lo malheureux est mort ; il a été a s.issmé par un
niigand, par un voleur; et c’est dms ce moineni-là mémo qu’el; me
fuit ; et sans vouloir dire quel est Son mal, ollc quitte la maison et court
Paris comme uno vagabonde.
— Vous ne vous expliquez pas cola, répondit Mrtio Law; mais John,
c’est que tous ôtes un homme, et quo beaucoup do choses ôchapeoni à
un homme et même à un père.
— Que dites-vous, mistress ? s’écria Ramsay.
— Que c’est un grand malheur pour vous 11 pour Katty que sa mère
soit morte. Je sais bien que vousaviz citez vous Ayltes ; mais Aylies ne
peut pas ren p’acer une mère.
Ca'herim- knowi I eut beaucoup de peine à faire comprendre à John
Ramsay que, puisque 1 acroix niait mort, lo désespoir do K t'y devait
avoir une cause qu'il ign irait. Elle se lit raconter mimiheits ment tou
tes 'es circonstances ou drame dont le vieux serviteur de L w et ,a fi le
avaient vu la fin. L’Ecossaise, quel pie p -u habituée qu’elle fût à la cor
ruption qui l’entourait, et quoique très unoramo dans les pratiques amou
reuses do la cour du régent, devina néanmoins qu’Amoin - Picltel i e le
comte de llorn n'étaient qu’une seule et même pursonn •, et qu'une liai
son fâch-use, sinon criminelle, existait entre l’assassin de Lacroix et la
fille de Ratn-ay; peut-être même cet assassinat n'avait-il d'ainres cauœs
que le mariage prochain do la jeune iitlc : c lie essaya do lo persuader à
Ramsay.
— M os qu’importe, disait Ramsay, que ce soit Antoine Pichelu ou le
comte de lluru, puisque Koty no connaît ni l’un tu l'autre assurément ?
Dans ce moment on entoilait une voiture faire retentir le pave de la
cour, et une jeune servante vint dire à Mme Law que son mari parlai
pour le Palais-Royal, et que de là il so rendrait à Saint-Cloud avec moi -
seigneur 1 archevêque de Cambrai.
— Nous ne nous sortîmes, ni vous, ni moi, assez défié de Ki U, cnn-
l.nuu Aimo Law; son état n’est pas naturel; et comme ode no s’intéresse
pas à l’homme mort, nécessairement ello a pour l'assassin uno pilié
si vive qu’elle en a oublié son père, ses amis et la décence naturelle à ton
sexe. Nous aurions dû employer pour la retenir des moyens que nous
avons eu le tort de négliger.
Alors Catherine Knowel consola le malheureux père autant qu’elle le
put, ot lui raconta que sa fille, muette et tranquille depuis qu’elle l’avait
recueillie dans la rue Saint-Honoré, au milieu de la foule du peuple,
avait obéi passivement à presque tous ses ordres, refusant de prendre
aucune nourriture, et de répondre à ses questions. Le matin, c'est-à-dire
quelques heures avant lo moment où elle parlait, Katty avait quitté le
fauteuil qu’elle occupait auprès de Aime Law, était sottie de sa chambre
comme si elle avait voulu passer dans une autre pièce, et dès qu’elle
n’avait pins élé sous l’œil do sa maîtresse, ello avait fui l’hôtel i t tra
versé la rue avec uno si grande rapidité qu'on n’avait pas su do quel
côté elle s’était dirigée.
On voyait que Aimo Law, en parlant à Ramsay, avait une idée qu’elle
n’osait exprimer, qu’elle retenait un mot doht elle ne voulait pas acca
bler ce malheureux père: elle ajouta ensuite, avec la sagacité naturelle
à uno femme :
— Si, comme je le pense, co M. de Horn, cet assassin, intéresse Katty
plus qu’il ne lo faudrait, et si la pauvre fille n’est pas chez vous auprès
d’Aylies, allez à la Conciergerie : j’ai ouï dire à A1. Law que ce jeune
criminel a été enfermé dans cetle prison, et peut-être trouverez-vous
Katty demandant au geôlier qu’on lui permette de voirco jeune homme;
mais les geôliers de tous les pays sont bien durs, et le malheur do Katty
est sans remède, si elle aime véritablement cet homme, car AI. Law dit
que c’est un bien grand coupable, et la loi no sera pas indulgente pour
lui.
Ramsay baissa la tôle sons Cette honte nouvelle polir lui, et il qilîtla
Mme Law pour aller à la recherche do sa fille. On sait qu’il no devait pas
la trouver. Quelque juste que fût la pensée do Aline Law, lo désespoir de
Catherine l’avait autrement conseillée.
A la vue de Lacroix assassiné, devant Antoine Pichelu accusé, s’a
vouant coupable ot déclarant se nommer lo comte de llorn, Cathe
rine avait été frappée d’un do ces effrois do l’âme qui sont b,on plus
terribles que tous les dangers matériels qui nous menacent quelquefois.
Cetto homme qu’clle aimait, pour lequel elle était décidée à qu lier
son père, sa nourrice; qui portait à son doigt l’anneau de sa mère
(et la pauvre jeune fille, depuis qu’elle s’était sépa-ée de co dernier g ige
de l’amour maternel, cachait à son père sa nnin dé.touillléo) ; cel homme
était un assassin ! lui si doux, dont la voix flatteuse remuait si profon
dément toutes les fibres do son cœur de jeune fille... elle avait entendu
cetle voix dire : J'ai assassiné ! je suis AL do llorn ; elle avait vu le sang
tacher sa main, souiller ses habits... Cette conviction no pouvait pas en
trer dans son esprit. : il était impossible pour elle qii’Antoino Pichelu l'eût
trompée, qu’Anioino n’existât pas, et qu’à sa place il n’y eût qu’un jeune
seigneur libertin se déguisant pour la tromper. Une per.-onno désintéres
sée n’eût pas hésité un instant à être convaincue ; mais une jeune fille
amoureuse ne pouvait admettre ni lo crime ni le changement do mon.
Son esprit se troubla, sa raison, celte raison qui s’enfuit si souvent de
vant l’amour, s’altéra en face de co malheur imprévu : elle confondit
tout : ce jeune Antoine, ce grand seigneur dont le nom nouveau i oftus-
quait, et jusqu’au crime dont son âme pure n’admit pas la pos-ibilité ;
ses idées n'étaient point distinctes, et prenaient chez elle la couleur de son
amour. Hélas ! nous sommes tous ainsi : l'objet aim i n'est jamais cou-
pab’e, et quand la conviction arrive, nous ne manquons pas de raisons
pour excuser celui que nous aimons. Pour l'âme égarée de Catherine, il
n'y avait point do convie, ion : une fibre semblait s’être desséchée dans
son cerveau, et n'avoir plus ni son ni élasticité. Pour elle, Antoine Pi
chelu n’était point un assassin ; et si Lacroix avait été lue, c'était par
une main inconnue. Ce peuple léger de Paris qui l'entourait, ce peuple
étranger pour elle, n’accusait Antoine que parce qu’il lui fallait une vic
time et que le véritable criminel lui avait échappé. Elle ne croyait pas
précisément qu’on préparât lo supplice d'Antoine pour tuer un homme
innocent, mais elle pensait qu’on se trompait et qu'une erreur fatale dés
honorait son amanl, le conduisait sur l’échalaud et toisait sa vio à elle;
alors ello demandait grâce, ello voulait qu'une puissance supérieure la
mît dans la po.itien où elle était la veille; et comme elle sentait inté
rieurement l’impossibilité de ce, désir, comme d’ailleurs, pour eu parler,
il fallait avouer a son père, à Aline Law, qu’elle aimait quelqu’un" qu’ils
ne connaissaient pas, ello se lais ut et fuyait. Bientôt l’obsession il uno
pensée unique, la veille, cl celle fièvre brûlante qui s’était emparée dMle
ne lui laissèrent rien voir que le but qu'olle espérait atteindre, et l'ins
tinct plutôt que la raiso i la conduisit ch' z Mme du Tencin. Dans son dé
lire, elle sc souvenait confusément d'avoir été dans uno unis >n attenant
à la sienne; elle y avait vu une femme à qui un geste avait suffi pourso
faire obéir d’Antoine. Ello so rappela les traits doux de la chanoinesse, et
la confusion d ; ses esprits lui faisant entrevoir la vérité, ello résolut do
voir celle femme. Lo moment oit ello eut co projet fut un réveil [tour
elle; elle était, chez Aline Law, presque surveillée eu effet. Lu veille,
Mme Law l'avait rencontrée ; elle ne savait où : ou l’avait ramenée dans
on carrosse. Elle s’échapna donc, et courut jusque chez Aime do Ton-
cio. Celle-ci l’écotoa, s’aperçut du dérangement Je son esprit, et, tappc-
lant divers souvenir', reconnut dansC itln ritio la jeune (t!:o quo le riche
Lacroix avait demandée en mariage ptv-que devant ell et enfin l’Ecos-
saise qu'elle avait surprise avec Al. de llorn dans son pio.uo boudoir.
Mme de Tencin se trouvait dans une position difficile : liée avec Dubois
de façon à ne pas avouer l’intérêt qtt'e! e portait à un jeune homme, elle
Connaissait la gravité du crime d ■ AL de II u n et la peine qui en serait la
siii'c nécessaire. Elle pouvait peu; cependant ce peu, elle niait résolue à
l’employer en faveur ti’en homme qu'elle avait aimé, ou du mo us avec
qui cl e s’était conduite absolument comme si de l’aimait; mais elle
voulait aussi ne pas se compromettre, no pas faire u’éclal, et tire utile
sans se moiti é on évidence. La venue de Catherine la sirvit donc à sou
hait : cela donnait à sa conduite un air de désintéressement. Elfe agis
sait ainsi pour une autre. Eu conduisant lu jeune fi ! I ; chez la marquise
do Parabère, elle ajoutait à son drame un acteur nouveau, faisan mou
voir un nouveau ressort, et avait dans ses mains un fit de plus. C'était
uno affaire honorable pour elle, pensait elle, d'après ce qui s «Mail passé;
si elle réu sissait, tout allait bien ; sinon, elle aurait fait son devoir.
— Al ms, se disait-elle à d.o-même, que AI. do Horn, si je lui sauve la
vie, parte; qu’il s’en aille, qu'il retourne dans son Allemagne : je ne veux
plus le voir; c’est bien u-,sez d’avoir une fois ces embtrras-là pour un
bouline.
L'âge, qui a quelquefois durci le cœur, pro luisit un effet contraire
cia z Mme de Tencin ; il loi donna le mérite do servir ses anus avec
moins de légèreté, li est vrai qu'elle ne fut plus mise a une épreuve
aussi rude : on n’a pas tous les jours, heureusement, l’occasion d’inter--
coder pour un coupable; m iis les littérateurs no souviennent avec re
connu'S-ance du zèe ardent que mit Mme de Tencin à ptûner le mérite
inconnu do l'Esprit (les Lois, et à p.-opag- r cet ouvrage immortel de
\io 'te-quieii, que !o public accueillit i.éiuigiiuuscmcut à sa naissance.
CeUo légèreté c unie irrita Catherine, qui, comme nous l’avons vu,
s’empara de lu lettre qu'c.le avait obtenue, et se mit à fuir sans dire un
mol.
— Marquise, avait dit Aime de Tencin au moment de la disparitiou de
C'therinc, voila ce que c’est que l’amour : voyez ce qu’il nous fait faire!
E le ajouta eiMiilç avec jiles d'abandon quo do politesse : Ai. le régent
m être n.chaîné de ma lettre; elle c.-t assez bien tournée pour cia ; il
ne la croira jamais de voit,; il pensera que c'est FonU/nelL; qui l’a faite.
Cependant Catherine n'avait point perdu de icm,s; et en quittant
line i.e Parabère , elle avait truver.-é l’espace inculte alois où est au
jourd’hui la place Louis XV, et trouvant les grilles du Cours-la Reine
mvenes, pile suivait te chemin do Saint Clou.1. Le Cours la Reine, bâti
eu 1616 par Al trie de Medicis, fut la piemiè e et longtemps la seule pro
menade des Parisiens. Deux grilles, dont l’une s’ouvrait du côté du jar-
d n dos Tuileries, l’autre sur lo quai do Dlly, en interdisaient souvent
t'entrée, suivant le bon plaisir do la cour; mais sous la régence la faci-
ité do Philippe d’Orléans avait abandonné au public la faculté de s’y
iromener s uis obstacle. Le Cours-ia-Reine était donc rempli de gens
;ui allaient à Cliaillot, do promeneurs, d’enfans jouant sous les arbres,
m do carrosses qui se rendaient à Saint-Cloud, où lo séjour du régent
amenait uno partie do la cour. Catherine traversait celte longue avoriup,
à
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vec les
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logeait ' I
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lus ne
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iginez-
:iù il y
i leur
té s’é-
orrom-
a plus
w——
jolie li le du monde, la li'le, je crois, d’un domestique de M. Law, qui
demeure au hameau du Houle, où j’ai une ni dsori. Je voyais quelquefois
M.do llorn, et comme les deux jardins soni coniigus, il en a pris occa
sion de voir cette jeune fille et de la séduire.
Il |’a séduiie! s’écria madame de Parabère.
Du moins, il l’a icndue fort anioureuse ; celte petite fille accom
pagnait son père, qui agiote rue Quincampoix, et elle a été presque té
moin de l’événement : elle a vu le cadavre ! elle a vu lo sang! Je fré
mis rien que d'y songer. Mais qu’est-elle devenue quand on lui a montré
l’assassin, quand on a nommé devant elle le comte de llorn ? Démit son
amant, celui qu'elle croyait Antoine Pichelu. et qu’elle croyait épouser...
Eh! ce M. de llorn a toujoursélé dangereux pour les femmes.
— C’est un joli garçon, dit lu Parabère.
Ce qu’il a lait là < st bien effronté. Profiter de ma maison... conti
nua la chanoinesse ; mais cela n'usl rien, voilà le plus beau de 1 his
toire : vous allez voir.
Mme do Purabère s’accroupit sur son canapé, le menton appuyé dans
scs deux mains, et comme une femme qui su dispose a écouter avec at
tention. Mme de Tencin reprit :
— Ce malin, j'étais seule dans mon boudoir, au hameau du Houle,
j’attendais M. de Lassé, qui veut que je fu se sa paix avec M. de
Cambrai, et tout d’un coup j’entends un brait do pus. Ce n'était pas
du tout la marche de nos ta ons rouges, qui s’annoncent si bruyam
ment, mais des pas discrets. J'ai cru un moment que c’était M. de Tencin,
mon lièie... point : ce cher abbé M'abandonne pas ainsi M. Law... c’é-
lait une jeune film, déjà surprise par moi avec M. de llorn, pâle, les
cheveux en di sordro, comme 1a Pellissier do l'Opera, dans les ouvrages
de M. LamoU e.
— Mais l’hutnme tué no s’appelle-l-il pas Lacroix? dit Mme do Pa
rolière.
— Précisément.
— Et un homme d’affaires, un domcsliquo de M. Law, no devait-il
pas lui donner sa fille?
— C’ést celle—Lu, e’e.-l ma jeune fille, dit Mme do Tencin.
— H le venait demander vengeance, répliqua Mme de Pu.abèrc.
— Et non, fit lut h uioinosso en trépignant des pieds, non, c’est l’hommo
mort, c’osi Lacroix qu’elle ne voulait pas épouser.
Durs ce moment, la marquise leva les yeux et poussa un cri.
— Qu’a Vfz vous Cotte, marquise? dit Mme de Tencin.
Mme de Paialiè'e étendit le bras, et de son index montra la porte du
‘boudoir à la chatioinese.
Coll" porte s’m, il enliel Aillée, et Catherine entrait doucement l’œil
fixé sur Mme de Parabère, et la bouche ouverte com ité si elle eût voulu
boire la parole de Mme de Tencin.-
C’était une ligure pâle , un front blanc sillonné par une ride d’hier;
les anneaux déroulés de ses cheveux tombaient jusque sur ses épaules ;
c’élaient des lèvres animées et gercé « ; ce visage si frais et si beau na
guère ressemblait alors à ees fruits tent és qu’une main malveillante a
flétris i n les dérobant, et auxquels on a enlevé celte étamine odorante,
cette poussière virginale qui fl liait lus yeux et excitaient le désir.
Catherine était belle encore , mais do celle beauté altérée ot obscurcie
qu’une femme seule devine et comprend.
— Quelle est belle 1 s’écria Mme de Parabère.
— C'est nia jeune fille, oit en souriant Mme de Tencin.
Catherine s’a vanoi ; une lièvre ardente lu dévorait; sa pensée , qui
s’égaiait confuse, avab cependant un point fixe, une ligne droite et
vive d’uù elle ne sorlaù pas, à laquelle tout se rapportait dans son
esprit : Antoine Piclt- lu 1... En entrain . elle vit l'air indifférent do
Mme de P..ratière, la figure souriante de Mme de Tencin, cl. ello s’en ir-
ta ; set dénis claquèreni, un demi-rire lit relever les deux coins (le sa
bouche, et ses narines so Uilalèroiit.
— Oui, la voilà I poursuivit Mme do Tencin ; elle est venue trop tôt :
tout l’effet que je voulais produire Sur vous est manqué... Pourquoi n’a
vez-vous pas attendu qu’un vous appelât? je vous avais dit d'al tendre.
— Je sais que le roi est un enfant, dit Catherine, un enfant do l'àgo
du petil Law, et qu’il ne peut rien ; c’est un autre, un parent du toi qui
a tout le pouvoir, et cet autre, il vous aime, il est votre ami, votre
amanl, voire mari, je ne sais lequel. Obtenez la grâce d’Auioine Piche-
lu, obtenez-la; c'est pour cela que je suis venue, que je me suis laissé
conduire ici par cette femme qui sourit tandis que je suis désespérée!
Une femme peut tout sur son mari ; obtentz la grâce de Pichelu, vous lo
pouvez si vous voulez!
C’était à Mme de Parabère que Catherine s’adressait, et c’élait la cha-
noinesse qu'oiio désignait en parlant de la femme qui souriait à son dé
sespoir. Elle s’était jetée aux pieds de la marquise, ello tenait lo bas de
celle robe légère que nous avons dcciilo, et on froissant 1’élolfo dans ses
mains. MmodeP.irabèro relirait sous elle sospetils pieds et considérait les
traces d’une émoi ion prof unie, d’une passion vraie sur une facehumaine,
chose nouvelle pour clic. Habituée seulement au laisser-aller fugitif de ses
goûts passagers, ou aux délices matérielles de ses sensations du moment;
cette femme légère , dont lo cœur était so, comprit cependant combien
était aigu lo irait qui avait percé la pauvre jeune tille, et emenditee lan
gage passionné , que ne soutenait presque aucune espérance. Mme de
Tencin , au contraire , que lo bel esprit et la prétention d’écrire avaient
habituée à combiner des incitions et a rassembler tous les liis de la trame
de s-os histoires , Mme de Tencin . quoique meilleure et plus sensible
que la marquise, fut moins émue qu’elle néanmoins; elle écoutait Cathe
rine, la regardait . celait une étude qtt * Ko t.d-aii. Aboi on peintre va
observer dans nos hôpitaux les dernières convulsions do l’agonie, poul
ies reproduire sur la toile ; ainsi l’acteur Maoreudy, avant do mourir de
vant ions, sous les traits de Roméo, a d‘ mande des enseignomens à la
médecine et pris des leçons de la douleur.
— Que parlez-vous ô’Anloine Pichelu, mon cnïtnf, dit Mme de Ten
cin ; e’est de M. do llorn qu'il s’agit, c'oM pour lui qu'il faut dénia ndo
grâce.
Calherino fit de la tôle ce gesto d'impatience familier aux personnes
nerveuses que l’on conirarie.
— Taisez-vous, répon tit-ell - à Mme de Tencin, taisez-vous : je parle
à celte dame... M. de llorn ! M. do llorn ! je ne lo connais pas, c’est vo
tre amant à vous ; moi, je demande la grâce de Pichelu.
Mme de Tencin, si dédaigneuse devant la marquise , baissa les yeux
à ces paroles, et no put pas soutenir le regard do Catherine; ello se re
procha un moment do l'avoir amenée.
— Qu’avais-je affaire de me mêler de tout ceci? pén«a-t-ello; quand
ccllo jeune tille est venue chez moi, et qu’elle m’a déclaré avoir échoppé
•à son père pour sauver son amant, je n’avais qu’à la laisser faire sans la
conduire ici moi-même.
Mais bientôt elle revenait de celte dureté : elle sentait qu’Antoine Pi-
chelu n’etait pas l'amant de Calherino delà même manière que M. de
llorn avait été lésion, et elle pensait avec effroi au malheur do voir
périr d’une manière si cruelle et si déshonorante, un homme qu’elle avait
aimé. Nous avons dit que M. de la Fresnaye se tua chez elle; mais cet
événement n’eut lieu que plus lard, et la chatioinese n’ôlait pas habituée
encore à jouer un rôle dans les tragédies.
Son imagination vivo so représentait d’abord la douleur de cetle jeune
hile, qui pouvait la conduire au suicide', et avait déjà altéré scs facultés :
■ensuite elle se voyait elle-même ne pouvant pas bannir le souvenir de de
llorn, qui troublait ses nuits et la poursuivait jusque dans ses songes.
Aimant à se mêler d’intrigues, et faisant très peu de fond sur la volonté
et sur 1 esprit de Mme do Parolière, elle comprit que c’était à elle à agir,
ot, selon son expression favorite, à débrouiller cet écheveau ; elle se hâta
donc d’entrer dans l’espèce (l’ignorance de Catherine, qui voulait tou
jours séparer deux existences qui n’en faisaient qu'une,
— Levi z-vous, mon enfant, lui dit-elle, nous allons essayer do sauver
Auto ne Pichelu.
Catherine se leva, et Mme de Parabère la lit asseoir auprès d’elle.
Celle-ci la considérait avec étonnement ot sans plus songer à l'ao i-
dent affreux qui amenait l’Ecossaise dans son boudoir, ello regardai’
les mains blanches, mats un peu furies, de Catherine, l’ovale pat fai
de son visage, les ch -veux blonds, l’arc do sourcils, et les yeux blanc,
ternis do larmes. L’émotion n’avait duré qu’un instant, et avait fait
place à une vaine curiosité do femme.
— C'est donc ainsi, pensait-elle, quo les femmes sont faites en Ecosse,
dans le pays de M. Law : ce sont do jolies blondes, mais j’uimo mieux les
brunes.
Rien n’échappait à la malheureuse Catherino, et elle devinait facile
ment l’indifférence de ces deux femmes. Cependant ello no so découra
gea pas.
— Je suis le seul appui d’Antoine, dit-elle ; si je l’abandonne, c est
fini, on le tuera. Son père est un vieil avocat, dur, égoïste, qui ne l’aime
pas ; le mien ! mon itère !...
Elle poussa un cri, se cacha la tête dans ses mains, et ses larmes
l’empêchèrent un moment do parler.
— Mon père voulait mo faire épouser un homme qu’on a tué, et on a
accusé Antoine..- Eli! mon Dieu, je suis perdue.
— Ecoulez, dit Mme de Tencin, vous avez raison : celui qui gou
verne la France pour le roi, M. le régent, peut seul sauver Antoine*
et madame a du pouvoir sur lui... elle va lui écrire... mais malheureu
sement, ajoula-t-elle, il s’agit de M. de llorn.
— Non, s’écria Catherine avec une vivacité qui effraya Mme do Para
bère ; non, no parlez pas de ce M. de llorn quo je ne connais pas, c’est
d’Antoine qu’il faut demander la grâce.
— Oui { oui, Antoine, c’est cola, reprit la chanoinesse.
Mme de Tencin regarda la marquise avec un air qui voulait dire :
— Aurez-vous le courage d’écrire à M. le régent eu faveur do M. de
llorn?
Et sans avoir articulé cetto demande, elle y répondit :
— Ma loi oui ; à voire place, j’écrirais, Philippe est bon ; c’est au fond
le moins jaloux do tous les hommes, et celui qui aimo lo moins à reve
nir sur lo passé. Ecrivez.
Catherine s’é ail mise do nouveau à genoux aux pieds de la mar
quise ; elle priait-, ello suppliait ; une seule pensée soutenait, sa faible
raison ; et dans quelque égarement que fût sou esprit, l’idée fixe qui
l’obsédait la préservait do louto déviation. Mme do Parabère étendit
la main vers uno petite tablette déposée sur un' meuble, la plaça
sur ses genoux, et réfléchit un moment; mais les mots ne venaient pas :
11 marquise avait reçu une éducation si négligée, ou, si l’on veut,
si nu;l i, qu'olle éiait embarrassée pour écrire une phrase , et même
quelques mois. 11 y eut un moment où la honte do no savoir po nt
écrire allait l’emporter sur le désir ot la vanité d’être utile. Mme de Ten
cin s’était promis do sauver M. de llorn sans se comprom tire toutefois;
ello s’aperçut do l’hésitation de la marquise, on devina le motif : alors,
sans rien dire, elle s’empara de la petite tablette, la plaça sur ses ge
noux, plaça le papier devant elle, enleva la plume aux doigts inhabiles
de Mme de Parabère, et l’auteur du Comte de Comingis écrivit quel
ques mots à M. lo régent. La marquise lut rapidement et signa.
Mme de Tencin ploya la lettre, fit couler la cire sur l’enveloppe, y
apposa un cachet aux armes des Parabère, et adressa lo tout au
regeni. Elle allait joindre à ce bienfait ses instructions, soit pont- parve
nir jusqu'au prince, soit pour émouvoir son altesso royale; mais, avant
quYlle pût ouvrir la bouche, Catherine s’était emparée do la lettre, avait
s iule comme une bidio hors du boudoir, ot traversant la longue lilo des
appartenions, avait gagne l’escalier et quitté l’hôtel.
— Eh bien, marquise, elle a disparu comme une apparilion.
— La sotie fille 1 sans me remercier, reprit Mine do Parabère.
Que vouli z-vousl il paraît que l’on fait cot effet sur lo peuple toutes les
fois que l’sn a une épée et u u plumet. J’ai presque regret à ma lettre.
M. le régent la montrera à Mme de Sabrait, et la sollu aifatre de AL de
llorn sera remise sur le tapis.
— St M. le régant voit cette fille, elle pourra obtenir sa grâce.
— Oh ! non, répondit Mme de Parabère, la petite est trop farouche.
XIV.
lac Kégent.
Ce bon régent qui gâta tout en France.
VOLTAIRE.
Dans le moment même où Calherino implorait la pilié de Mme de Pa
rolière, John Ramsay, pâle, subitement vieilli par la douleur, et les yeux
chargés d’un feu sombre, était debout dans le parloir de Mme Law, et la
tête baissée il demandait son enfant, qui vena.l d'échapper'.à la’vigi
lance de Catherine Kitowel.
— Au reste, mistress, disait-il, je n’ai point de reproche à vous faire;
vous n’avez pu la relcnir, cYst tout simple : ni mot non plus, je no l’ai
pas po. E le a quitté son vieux père deux fois, et si hier au soir vous ne
l’aviez pas ramenée dans votre carrosse, j’aurais cru qu’elle avait été
enlevée par quelqu’un de ces misérables libertins qui sont les gentils
hommes de ce [iays-ci, et que M. Law appelle les roues du régent.
— C’est lo nom que ce prinro leur donne lui-même, dit Aime Law,
mais quelque audacieux que soient ces hommes, il paraît quo vous n’a
vez pas à craindre co malheur... Ah ! John, le jour où lions sommes ve
nus en Franco a été un jour bien malheureux pour nous ions.
— Mistress ! s’écria Ramsay, sauf mon respect pour vous, je crois qu’il
aurait mieux valu que nous luss ons tous au fond de la Ciyuo ; jo n’aimo
pas les Anglais, mais je | référerais passer toute ma vie parmi eux que
de vivre, comme je le fats, au milieu de ces Français, qui se moquent
eux-mêmes de leur religion, n’ont d’aulte divinité que For, et sont p us
effrontés que des chiens.
— Cependant, John Ramsay, dit Mme Law, vous alliez donner votre
fille à un de ces Fiançais?
— Dieu m’est témoin, répondit lo serviteur dévoué cri mettant sa main
j-.tr ion cœur, quo je n’agissais ni pour moi ni pour elle, lu pauvre cil
lant ! mais seuF ment dans l’intérêt de Al. Law, à qui ce mariage était
n'cestaire.
— Nécessaire I dit Mme Law.
— Oui, mistress, je sacr fiais mon sang et ma chair, comme me l'a dit
Katty elle-même ; un lion si rviteitr ne peut pas faire plus, et il parait
qu'il ne doit pas même en faire autant, puisque Dieu me punit.
Mme Law paraissait etifoncee dans des réflexions profon es, e’ ce ma
riage de Catherine avec Lacroix, fait dans l’imérct de M. Law, était pour
elle une énigme.
Ramsay c i.nlinun :
—.Enfin ce mariage, pour lequel elle avait une si grande aversion, ne
peut plus so faire : lo malheureux est mort ; il a été a s.issmé par un
niigand, par un voleur; et c’est dms ce moineni-là mémo qu’el; me
fuit ; et sans vouloir dire quel est Son mal, ollc quitte la maison et court
Paris comme uno vagabonde.
— Vous ne vous expliquez pas cola, répondit Mrtio Law; mais John,
c’est que tous ôtes un homme, et quo beaucoup do choses ôchapeoni à
un homme et même à un père.
— Que dites-vous, mistress ? s’écria Ramsay.
— Que c’est un grand malheur pour vous 11 pour Katty que sa mère
soit morte. Je sais bien que vousaviz citez vous Ayltes ; mais Aylies ne
peut pas ren p’acer une mère.
Ca'herim- knowi I eut beaucoup de peine à faire comprendre à John
Ramsay que, puisque 1 acroix niait mort, lo désespoir do K t'y devait
avoir une cause qu'il ign irait. Elle se lit raconter mimiheits ment tou
tes 'es circonstances ou drame dont le vieux serviteur de L w et ,a fi le
avaient vu la fin. L’Ecossaise, quel pie p -u habituée qu’elle fût à la cor
ruption qui l’entourait, et quoique très unoramo dans les pratiques amou
reuses do la cour du régent, devina néanmoins qu’Amoin - Picltel i e le
comte de llorn n'étaient qu’une seule et même pursonn •, et qu'une liai
son fâch-use, sinon criminelle, existait entre l’assassin de Lacroix et la
fille de Ratn-ay; peut-être même cet assassinat n'avait-il d'ainres cauœs
que le mariage prochain do la jeune iitlc : c lie essaya do lo persuader à
Ramsay.
— M os qu’importe, disait Ramsay, que ce soit Antoine Pichelu ou le
comte de lluru, puisque Koty no connaît ni l’un tu l'autre assurément ?
Dans ce moment on entoilait une voiture faire retentir le pave de la
cour, et une jeune servante vint dire à Mme Law que son mari parlai
pour le Palais-Royal, et que de là il so rendrait à Saint-Cloud avec moi -
seigneur 1 archevêque de Cambrai.
— Nous ne nous sortîmes, ni vous, ni moi, assez défié de Ki U, cnn-
l.nuu Aimo Law; son état n’est pas naturel; et comme ode no s’intéresse
pas à l’homme mort, nécessairement ello a pour l'assassin uno pilié
si vive qu’elle en a oublié son père, ses amis et la décence naturelle à ton
sexe. Nous aurions dû employer pour la retenir des moyens que nous
avons eu le tort de négliger.
Alors Catherine Knowel consola le malheureux père autant qu’elle le
put, ot lui raconta que sa fille, muette et tranquille depuis qu’elle l’avait
recueillie dans la rue Saint-Honoré, au milieu de la foule du peuple,
avait obéi passivement à presque tous ses ordres, refusant de prendre
aucune nourriture, et de répondre à ses questions. Le matin, c'est-à-dire
quelques heures avant lo moment où elle parlait, Katty avait quitté le
fauteuil qu’elle occupait auprès de Aime Law, était sottie de sa chambre
comme si elle avait voulu passer dans une autre pièce, et dès qu’elle
n’avait pins élé sous l’œil do sa maîtresse, ello avait fui l’hôtel i t tra
versé la rue avec uno si grande rapidité qu'on n’avait pas su do quel
côté elle s’était dirigée.
On voyait que Aimo Law, en parlant à Ramsay, avait une idée qu’elle
n’osait exprimer, qu’elle retenait un mot doht elle ne voulait pas acca
bler ce malheureux père: elle ajouta ensuite, avec la sagacité naturelle
à uno femme :
— Si, comme je le pense, co M. de Horn, cet assassin, intéresse Katty
plus qu’il ne lo faudrait, et si la pauvre fille n’est pas chez vous auprès
d’Aylies, allez à la Conciergerie : j’ai ouï dire à A1. Law que ce jeune
criminel a été enfermé dans cetle prison, et peut-être trouverez-vous
Katty demandant au geôlier qu’on lui permette de voirco jeune homme;
mais les geôliers de tous les pays sont bien durs, et le malheur do Katty
est sans remède, si elle aime véritablement cet homme, car AI. Law dit
que c’est un bien grand coupable, et la loi no sera pas indulgente pour
lui.
Ramsay baissa la tôle sons Cette honte nouvelle polir lui, et il qilîtla
Mme Law pour aller à la recherche do sa fille. On sait qu’il no devait pas
la trouver. Quelque juste que fût la pensée do Aline Law, lo désespoir de
Catherine l’avait autrement conseillée.
A la vue de Lacroix assassiné, devant Antoine Pichelu accusé, s’a
vouant coupable ot déclarant se nommer lo comte de llorn, Cathe
rine avait été frappée d’un do ces effrois do l’âme qui sont b,on plus
terribles que tous les dangers matériels qui nous menacent quelquefois.
Cetto homme qu’clle aimait, pour lequel elle était décidée à qu lier
son père, sa nourrice; qui portait à son doigt l’anneau de sa mère
(et la pauvre jeune fille, depuis qu’elle s’était sépa-ée de co dernier g ige
de l’amour maternel, cachait à son père sa nnin dé.touillléo) ; cel homme
était un assassin ! lui si doux, dont la voix flatteuse remuait si profon
dément toutes les fibres do son cœur de jeune fille... elle avait entendu
cetle voix dire : J'ai assassiné ! je suis AL do llorn ; elle avait vu le sang
tacher sa main, souiller ses habits... Cette conviction no pouvait pas en
trer dans son esprit. : il était impossible pour elle qii’Antoino Pichelu l'eût
trompée, qu’Anioino n’existât pas, et qu’à sa place il n’y eût qu’un jeune
seigneur libertin se déguisant pour la tromper. Une per.-onno désintéres
sée n’eût pas hésité un instant à être convaincue ; mais une jeune fille
amoureuse ne pouvait admettre ni lo crime ni le changement do mon.
Son esprit se troubla, sa raison, celte raison qui s’enfuit si souvent de
vant l’amour, s’altéra en face de co malheur imprévu : elle confondit
tout : ce jeune Antoine, ce grand seigneur dont le nom nouveau i oftus-
quait, et jusqu’au crime dont son âme pure n’admit pas la pos-ibilité ;
ses idées n'étaient point distinctes, et prenaient chez elle la couleur de son
amour. Hélas ! nous sommes tous ainsi : l'objet aim i n'est jamais cou-
pab’e, et quand la conviction arrive, nous ne manquons pas de raisons
pour excuser celui que nous aimons. Pour l'âme égarée de Catherine, il
n'y avait point do convie, ion : une fibre semblait s’être desséchée dans
son cerveau, et n'avoir plus ni son ni élasticité. Pour elle, Antoine Pi
chelu n’était point un assassin ; et si Lacroix avait été lue, c'était par
une main inconnue. Ce peuple léger de Paris qui l'entourait, ce peuple
étranger pour elle, n’accusait Antoine que parce qu’il lui fallait une vic
time et que le véritable criminel lui avait échappé. Elle ne croyait pas
précisément qu’on préparât lo supplice d'Antoine pour tuer un homme
innocent, mais elle pensait qu’on se trompait et qu'une erreur fatale dés
honorait son amanl, le conduisait sur l’échalaud et toisait sa vio à elle;
alors ello demandait grâce, ello voulait qu'une puissance supérieure la
mît dans la po.itien où elle était la veille; et comme elle sentait inté
rieurement l’impossibilité de ce, désir, comme d’ailleurs, pour eu parler,
il fallait avouer a son père, à Aline Law, qu’elle aimait quelqu’un" qu’ils
ne connaissaient pas, ello se lais ut et fuyait. Bientôt l’obsession il uno
pensée unique, la veille, cl celle fièvre brûlante qui s’était emparée dMle
ne lui laissèrent rien voir que le but qu'olle espérait atteindre, et l'ins
tinct plutôt que la raiso i la conduisit ch' z Mme du Tencin. Dans son dé
lire, elle sc souvenait confusément d'avoir été dans uno unis >n attenant
à la sienne; elle y avait vu une femme à qui un geste avait suffi pourso
faire obéir d’Antoine. Ello so rappela les traits doux de la chanoinesse, et
la confusion d ; ses esprits lui faisant entrevoir la vérité, ello résolut do
voir celle femme. Lo moment oit ello eut co projet fut un réveil [tour
elle; elle était, chez Aline Law, presque surveillée eu effet. Lu veille,
Mme Law l'avait rencontrée ; elle ne savait où : ou l’avait ramenée dans
on carrosse. Elle s’échapna donc, et courut jusque chez Aime do Ton-
cio. Celle-ci l’écotoa, s’aperçut du dérangement Je son esprit, et, tappc-
lant divers souvenir', reconnut dansC itln ritio la jeune (t!:o quo le riche
Lacroix avait demandée en mariage ptv-que devant ell et enfin l’Ecos-
saise qu'elle avait surprise avec Al. de llorn dans son pio.uo boudoir.
Mme de Tencin se trouvait dans une position difficile : liée avec Dubois
de façon à ne pas avouer l’intérêt qtt'e! e portait à un jeune homme, elle
Connaissait la gravité du crime d ■ AL de II u n et la peine qui en serait la
siii'c nécessaire. Elle pouvait peu; cependant ce peu, elle niait résolue à
l’employer en faveur ti’en homme qu'elle avait aimé, ou du mo us avec
qui cl e s’était conduite absolument comme si de l’aimait; mais elle
voulait aussi ne pas se compromettre, no pas faire u’éclal, et tire utile
sans se moiti é on évidence. La venue de Catherine la sirvit donc à sou
hait : cela donnait à sa conduite un air de désintéressement. Elfe agis
sait ainsi pour une autre. Eu conduisant lu jeune fi ! I ; chez la marquise
do Parabère, elle ajoutait à son drame un acteur nouveau, faisan mou
voir un nouveau ressort, et avait dans ses mains un fit de plus. C'était
uno affaire honorable pour elle, pensait elle, d'après ce qui s «Mail passé;
si elle réu sissait, tout allait bien ; sinon, elle aurait fait son devoir.
— Al ms, se disait-elle à d.o-même, que AI. do Horn, si je lui sauve la
vie, parte; qu’il s’en aille, qu'il retourne dans son Allemagne : je ne veux
plus le voir; c’est bien u-,sez d’avoir une fois ces embtrras-là pour un
bouline.
L'âge, qui a quelquefois durci le cœur, pro luisit un effet contraire
cia z Mme de Tencin ; il loi donna le mérite do servir ses anus avec
moins de légèreté, li est vrai qu'elle ne fut plus mise a une épreuve
aussi rude : on n’a pas tous les jours, heureusement, l’occasion d’inter--
coder pour un coupable; m iis les littérateurs no souviennent avec re
connu'S-ance du zèe ardent que mit Mme de Tencin à ptûner le mérite
inconnu do l'Esprit (les Lois, et à p.-opag- r cet ouvrage immortel de
\io 'te-quieii, que !o public accueillit i.éiuigiiuuscmcut à sa naissance.
CeUo légèreté c unie irrita Catherine, qui, comme nous l’avons vu,
s’empara de lu lettre qu'c.le avait obtenue, et se mit à fuir sans dire un
mol.
— Marquise, avait dit Aime de Tencin au moment de la disparitiou de
C'therinc, voila ce que c’est que l’amour : voyez ce qu’il nous fait faire!
E le ajouta eiMiilç avec jiles d'abandon quo do politesse : Ai. le régent
m être n.chaîné de ma lettre; elle c.-t assez bien tournée pour cia ; il
ne la croira jamais de voit,; il pensera que c'est FonU/nelL; qui l’a faite.
Cependant Catherine n'avait point perdu de icm,s; et en quittant
line i.e Parabère , elle avait truver.-é l’espace inculte alois où est au
jourd’hui la place Louis XV, et trouvant les grilles du Cours-la Reine
mvenes, pile suivait te chemin do Saint Clou.1. Le Cours la Reine, bâti
eu 1616 par Al trie de Medicis, fut la piemiè e et longtemps la seule pro
menade des Parisiens. Deux grilles, dont l’une s’ouvrait du côté du jar-
d n dos Tuileries, l’autre sur lo quai do Dlly, en interdisaient souvent
t'entrée, suivant le bon plaisir do la cour; mais sous la régence la faci-
ité do Philippe d’Orléans avait abandonné au public la faculté de s’y
iromener s uis obstacle. Le Cours-ia-Reine était donc rempli de gens
;ui allaient à Cliaillot, do promeneurs, d’enfans jouant sous les arbres,
m do carrosses qui se rendaient à Saint-Cloud, où lo séjour du régent
amenait uno partie do la cour. Catherine traversait celte longue avoriup,
à
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