Titre : Revue du Havre et de la Seine-Inférieure : marine, commerce, agriculture, horticulture, histoire, sciences, littérature, beaux-arts, voyages, mémoires, mœurs, romans, nouvelles, feuilletons, tribunaux, théâtres, modes
Éditeur : [s.n.] (Havre)
Date d'édition : 1846-11-22
Contributeur : Morlent, Joseph (1793-1861). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859149v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 22 novembre 1846 22 novembre 1846
Description : 1846/11/22. 1846/11/22.
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : Fonds régional :... Collection numérique : Fonds régional : Haute-Normandie
Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k923477f
Source : Bibliothèque municipale du Havre, Y2-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/05/2014
— 2 —
\
Un mnîin, les antichambres du palais de Versailles étaient plus bruyan
tes et plus animées (juo do coutume.
C’était le 15 septembre 1748.
Une grande nouvelle occupait tous les esprits, un nom se trouvait
dans la bouche de tous.
Celle nouvelle so rapportait à l’arrivée soudaino d’un homme qui fut
longtemps l'oracle de la cour ei do la ville; — d’un homme qui réunis
sait en sa personno les qualités des gentilhoinmes du siècle passé, sans
oublier ausd leur frivo'ité éléginm, leur ignorance prétentieuse, leurs
mœurs corrompues ; — d’un homme que chacun avait vu, que chacun
connaissait en France, les seigneurs et les bourgeois, le peuple et les pre
miers dignitaires du royaume, les marchandes, les simples ouvrières
aussi bien que les comtesses, les marquises, les duchesses et les dames
les plus haut placées pur leur naissance, leurs titres et leur fortune, —
de Richelieu, enfin !
Ce retour faisait événement h Versailles c’est tout simple.
Après un an d'absence, Richelieu reparaissait à la cour : Richelieu , le
noble proteeleur des arts! le modèle des gentilshommes aiu aides ol.ga-
laris 1 le roué des beaux jours do la régence! le conseiller et l'ami du roi
Louis XV.
Que de titres pour justifier l’empressement qui se manifestait dans les
antichambres du château !
Mais comme si ceux-là no suffisaient pas, Richelieu en apportait un
nouveau qui devait raviver encore le durable engoûment do.it il était
l’objet.
Aux palmes de Fonlenoy et do Muhon il avait le droit désormais de
marier les lauriers cueillis a Gênes.
Dans les groupes nombreux qui occupaient les vastes s-files du palais
on s'entretenait de sa brillante audace et du succès qu’elle avait obtenu.
On répétait que les Autrichiens, vigoureusement attaqués, avaient dû
s’enfuir honteusement devant les troupes commandées pu- le vaillant
Richelieu. On ajouta-1 que les Génois, pour leconnaitrc ce Le tu fait d’ar
mes, avaient élevé dans le sénat une statue au noble duc, et que son nom
figurait maintenant dans le Livre d’or, à côte des noms les plus célèbres
de celle fière république.
lit comme si ces récits glorieux ne suffisaient pas pour absorber l’at
tention, quelques vieux amis de Richelieu, quelques jeunes gentilshom
mes, également friands d’avanturcs galantes, faisaient circuler à la ronde
certaines historiettes assez lestes dont le vainqueur des Autrichiens au
rait été le héros.
Le guilleret marquis des Aubes prononça même, mais (oui bas et d'une
façon mystérieuse, le nom d’une proche parente du doge, dont il aurait
gagné le cœur.
Pouvait-on parler do Richelieu, en effet, sans que l’amour ne défrayât
une partie d: la conversation?...
— Eh! ch! Mars est de droit le favori de Vénus, comme dirait M. do
Remis, observa le baron do Biron.
Cet le remarque amena un malicieux sourire sur les lèvres du comte do
Marcieu.
— Eh! mais, j’y pense, s’écria-t-il, la drolatique cu'otlo qui a si fort
excité notre hilarité ce matin ne serait-elle point, par hasard, un don de
Vénus à Mars?
— Quelle idée! observèrent les gentilshommes du groupe.
— Pourquoi pas, messieurs, reprit le comte d’uu ton légèrement rail-
cur. Los usages, vous le savez, varient suivant les temps et les lieux.
Autrefois les tendres châtelaines brodaient des écharpes pour leurs che
valiers. Aujourd'hui, chez, nous, un mouchoir marqué au coin de deux
chiffres entrelacés devient un gage précieux qu’un amont brûle d’obte
nir. Cupidon no peut-il pas avoir adopté un autre emblème par delà les
monts et avoir remplacé le mouchoir et l’écharpe par une culotte en peau
de daim ? Qu’en pensez-vous, chevalier? Est-ce la coutume parmi les
belles dames de Genos do témoigner ainsi à un gentilhomme l’estime
toute particulière qu’il a su inspirer ?
Celui auquel le comte s’adressait était un tout petit jeune homme ,
mince, élancé, à. taille svelte, dont, la lèvre supérieure brunissait a peine
sous des moustaches naissantes. La blancheur de sa peau et la délica
tesse de ses (rails, non moins que la douemr de sa voix et la grâce de
ses manières, donnaient do primo-aboid à toute sa personne quelque
chose do féminin.
Cependant, à bien examiner sa figura, on ne tardait pas à y découvrir
un caractère d’énergie et de fierté qui changeait alors complètement
l’expression première de sa physionomie.
A l'interpellation du comte, le chevalier fronça le sourcil, et avec un
accent dont la douceur n’excluait pas la fermeté :
— Je ne sais si vous voulez rallier, monsieur le comlo, suivant votre
habitude, répondit-il; dans ce cas, ou vous devriez mieux choisir le su
jet de vus moqueries, ou, du moins, attendre que le duc de Richelieu
puisse les om ndro.
— Chevalier! chevalierI vous êtes de mauvaise humour aujourd’hui,
observa le comte dont les yeux gris, eri dépit do l’exquise politesse do
ses manièr s, reflétaient une piquante ironie.
Le chevalier répliqua aussitôt :
— Vous savez, monsieur le comte, quels sont mes sentimens pour le
maréchal duc. Sou caractère, autant que sa haute position devraient, ce
semble, le mettre à l’abri de certains commentaires. Mais puisqu’il n'en
est rien, perniettcz-moi de vous rappeler qu’en son absence, il rie man
que pas ici de gentilshommes qui lui sont assez dévoués pour imposer
silence à ceux qui voudraient le tourner en ridicule.
En prononçant ces mots, le chevalier pariait la tête liante. Son regard
assur é, la fierté do son maintien et la main qu’il appuyait sur la garde do
son épée, achevaient do donner un sens précis à ses paroles.
Le comte sourit assez dédaigneusement du reste.
— Palsambleu ! motisior de Kheruel, s’écria-t-il, esl-co une provoca-
•ion que vous prétendez me faire?
— C’est à vi us de décider si mon discours porto ce caractère. J’ai ré
pondu d’avance à ceux qui auraient l’intention de tourner M. de Riche
lieu on ridicule.
— Alors, chevalier, votre voix a retenti dans le désert; car tous ici
nous professons pour le duc lu plus profonde estime, cl, pour ma part, je
m’enorgueillis d'ôtro un de ses vi< ux amis.
Une intention d’ironie perçait toujours dons l’accent du comte, et le
malicieux gentilhomme, de pour do ne l’avoir pas suffi-amment indiqué,
y ajouta un geste trop solennel pour qu’il fût véritablement senti.
M. do Marcieu avait la réputation d’avoir infiniment d’esprit, mais do
cet esprit caustique et railleur qui rend si dangereux dans les salons ce
lui qui le possède. Lo persifllage du comte était d’autant plus redouta
ble qu’il se produisait avec des formes aimables et polies , avec un ton
des plus exquis. A la faveur do ses manières de bonne compagnie, il no
pcrdiiit pas une occasion do décocher un trait, une saillie, une allusion
qui manquait rarement leur but.
Toutefois co tôle n’était—il pas sans danger. Aussi, bien souvent, M. do
Marcieu fut-il forcé de mettre l’épée à la main pour répondre d’une plai
santerie par trop hasardée. Mais comme son adresse sur les armes éga
lait en profondeur la causticité de son esprit, il était rare qu’il ne se
tirât pas à son honneur des fréquentes rencontres où il s'engageait.
Sa langue et son épée avaient reçu également une trempe supérieure.
Celle disposition naturelle sert assez a i xpliquer l’espèce d’aigreur qui
venait de percer dans les discours du comte. Mais un autre motif dé-i-
gnait plus [particulièrement le chevalier de Khéruel et Richelieu lui-
même à ses traits acérés.
M. de Marcieu se montrait fort épris d’une jeune personne de haute
naissance. Favorablement accueilli par la mère, il no trouvait que dédain
chez l’objet de ses amours. Or, on n’ignorait pas quo si Mlle de Moulue
témoignait innt de froideur au comte, c'est qu’elle était touchée des hom
mages d’un jeune cadet do Rretagne dont tout lo crime, aux yeux de la
marquise, consistait à n’avoir pour fortune que son épée.
Ce cadet n’était autre que le chevalier do Khéruel, dont Richelieu fa
vorisait les prétentions.
On comprend maintenant et l’obstination du vieux ceinte à poursuivre
Richelieu de scs épigrammes et les susceptibilités du jeune cadet do Bre
tagne. 1
L’apparition soudaine do deux dames suivit la réponse hautaine quo lo
chevalier venait d’adresser à son rival.
C’étaient précisément les dames de Monlnc.
La marquise était de moyenne grandeur, un peu trop développée des
hanches, peut-être, mais fraîche, accorte et parfaitement conservée. Elle
possédait encore cotte florissante sanié do la_ seconde jeunesse, qui no
manque pas d’un certain attrait. Rien de bien distingué chez elle, du
reste, ni dans son air, ni dans ses manières, en dépit do scs poses à effet
et de ses gestes étudiés.
Si nous no craignions de blesser la susceptibilité aristocratique d ) ses
mânes, nous dirions que la marquise, toute grande dame qu’elle était,
ressemblait à une bonne petite mère, toute rende, toute guillerette, et
qui n’avait pas entièrement renoncé b plaire.
La chronique scandaleuse prétendait quo sa vertu ne s’effarouchait pas
trop autrefois dos assiduités du galant duc de Fronsne; elle assurait que
son portrait se trouvait dans celte collection singulière qui garnissait lo
boudoir de Richelieu, et dont chaque sujet rappelait une de ses maî
tresses.
On allait même jusqu’à trouver un faux air du noble duc dans les traits
de la jeune personne qui accompagnait la marquise.
Athénaïs de Moulue était pâle, chétive et délicate à l’excès. Elle pa
raissait marcher avec peine, et son regard voilé laissait soupçonner lo
secret de quelque souffrance cachée.
Lo comte et lo chevalier s’avancèrent en même temps à la rencontre
des dames de Monluc.
— Mme la marquise et Mlle de Monluc me permettront-elles do dépo
ser à leurs pieds mon respectueux hommage? dit M. do Marcieu du ton
le plus galant.
— Bonjour, comte, b injour, répondit la marquise.
Et elle lui donna sa main à baiser.
Seulement alors elle aperçut le chevalier qui s’inclinait profondément
devant eile.
— Madame la marquiso et mademoiselle de Morilluc daigneront-elles
agréer l’expression do mes sentimens? répéta le chevalier d’uno voix
émue.
La marquise prit un air glacé ; elle répondit au salut de M. de Khéruel
par une révérence froide et digne ; et, comme pour achever de traduire
sa pensée tout entière, elle enveloppa Athénaïs d'un regard soupçonneux.
Il était visible quo lo jeune Breton ne possédait pas les bonnes grâces
de Mine de Monluc et que sa présence la contrariait fort en ce moment.
Cet échec valut au chevalier un coup-d’œil ironique de la part du
comte.
Il se contint pourtant, et il fit bien; car un adoucissement ne tarda pas
être donné à scs peines.
Malgré l’active surveillance dont elle était l’objet, Athénaïs sut trouver
le moyen do mettre dans sos yeux un doux regard et sur ses lèvres un
sourire charmant destinés à corriger l’accueil trop cérémonieux de sa
mère.
— Eh bien! reprit la marquise en s’adressant à M. do Marcio i, il est
donc vrai, lo vainqueur des vainqueurs est arrivé?
—Oui, madame ; depuis près d’une heure ils sont ici, lui et sa culotte;
répondit lo comte d’un air goguenard.
Le chevalier fit un geste concentré.
— Lui et sa culotte! quelle est cette plaisanterie? demanda la mar-
— Ah! vous ne savez pas?...
— Quoi donc?
— Mais le singulier accoutrement qu’a choisi lo maréchal.
— J’ignore ce que vous voulez dire... Je me trouvais tout à l’heure en
visite chez Mme do Prie, lorsqu’on est venu nous annoncer l’arrivée du
duc do Richelieu. Curieuse comme des femmes, comme des femmes de
cour, comte, nous nous sommes rendues chez la duchesse, et làon nous
a appris que son noble époux s’était dirigé vers le palais. Alors, laissant
Mme de Prie, je suis accourue avec ma fille, désirant être des premières
à complimenter l’heureux libérateur des Génois, et me voilà impatiente
do lo voir.
— Mais vous ignore/, donc co qui s’csl pa-sô co malin u son entrée
dans Versailles? demanda le marquis des Aubes.
— Que s’est-il donc passé?
— Une chose plaisante, très plaisante en vérité; interrogez plutôt ces
messieurs.
— Je doute que M. lo maréchal duc s'en soit encore consolé, observa
le comte.
— De grâce, messieurs, prenez en pitié la curiosilé que vous venez d'é
veiller en moi, dit Mina de Monluc.
— Oh! dé.icieux, délicieux ! Cette culotte en peau de daim...
Un regara suppliant do la marquise empêcha le comte de terminer sa
phrase.
— Pardon, madame, pardon, voici ce que vous dé-iriez apprendre :
Ce matin, au polit lever, S. M. se trouvait d'une humeur charmante.
En nous annonçant l’arrivée du duc elle a ajouté : Massieurs, il s’agit do
jouer un excellent tour à Richelieu.
Alors lo roi nous a développé son plan :
Il s’agissait d’aller attendre Richelieu sur la roule de Paris, do l'entou
rer dès qu’il paraîtrait, do l’envelopper on quelque sorte, et de l’amener
tout crotté, tout poudreux à Versai,'les.
Nous partîmes aussitôt et ne tardâmes pas à rejoindre celui que nous
cherchions. — Oh! madame, vous auriez ri do bon cœur si vous aviez
assisté à celte reconnaissance !
Le duc s’est d’abord montré fusiouxet a voulu met Ire l’opée à la main
Il s’était imaginé qu’on venait l’arrêter pour le jeter de nouveau à la
Bastille; vous comprenez?
Cettto grande coièro s'est calmée cependant, lorsqu’il nous a entendu
dire que S, M. désirait l’entretenir à l’instant même.
Richelieu s’est décidé alors à rengainer, mais en nous suppliant de lui
permettre do secouer la poussière do ses bottes et de réparer le désordre
de scs cheveux. Nous nous y sommes opposés, en lui déclarant quo c’é
tait encore par la volonté du roi quo nous agissions ains.
il fallait voir alors la figure pileuse du pauvre duc. Cent fois il nous
demanda l’explication do ce qui arrivait.
— C’est l’ordre de S. M., répétions nous invariablement.
Richelieu, étonné au dernier point, nous examinait attentivement,
cherchant à deviner sur notre figure le mot de l'énigme. Les sourires et
les regards d'intelligence que nous échangions, à defaut de réponse ca
tégorique, no lui paraissaient pas do bon augure sans doute, car, renon
çant à pénétrer le mystère, il s’est rejeté au fond du sa voiture en pous
sant un profond soupir.
Le coup d’œil était vraiment fort beau.
Noos tonnions une magnifique cavalcade autour du carrosse, et lui,
Richelieu, aurait très bien figuré un triomphateur antique, n’était l’ex
pression inquiète qui su peignait malgré lui sur ses traits.
C’est on vain que nous le félicitions du succès do ses armes, le due no
so montrait pas du tout touché de nos complimens, et, comme si cha
cune de nos paroles renfermait une ironie amère, il répondait d’un ton
bourru, lorsqu’il répondait toutefois.
— Avouez qu’il avait bien un peu raison do vous traiter ainsi, observa
la marquise.
— Oui, notre conduite pouvait lui paraître assez suspecte, j’en conviens.
MVst avis, cependant, qu’il ne nourrissait aucune crainte sérieuse, et que
l’idée d’un danger réel ne causait pas chez lui cette tristesse qui nous pa
raissait si comique.
Près de deux ans d'absence ne vous ont pas fait oublier ce qu’a tou
jours été Richelieu , depuis son enfance, c’est à-dire un modèle de re
cherche, do ralflnement et d’élégance.
Eh bien 1 ôtait-il possible qu’un homme aussi soigneux de sa loilelto
ne conçût pas un dépit mortel à l’idée qu'il allait paraître devant le roi
dans un accoutrement pareil au sien?
— Vous lui en voulez donc toujours? demanda Mme de Montluc.
— Moi, lui en vouloir! mais je m’honore, au contraire, d’être un de
ses meilleurs amis, ainsi que je me faisais l’honneur de le déclarer tou
à l’heure ou chevalier do Kheruel.
— En cifet, c’est bien là ce quo vous m’avez dit, répondit le cadet
d’un ton et avec un air qui exprimaient a:s;z co qu’il pen ait de cette
allégation.
Le cprrite reprit :
— Figurez-vous, madame, lo maréchal en grandes bottes à éperons ,
culotte en peau de daim , cuirasse, chapeau gris , sacs poudre ni man
chettes. Je recommande surtout à votre attention cette culotte fantas
tique, et ne crains pas d’être démenti en assurant qu’elle est uniquo
dans son genre. Sou état de conservation, sa coupe, scs broderies ou liant
un objet rare et digne d’être exposé dans un musée. Vous la veirez, du
reste.
Lo chevalier no souffla pas un mot ; mais les sarcasmes dont Richelieu
était l’objet l’atteignaient profondément, il n'était pas jusqu’à l’espèce do
faveur qui accueillait les remarques du comte, qui ne redoublât encore
son ressenlimont.
La prononce d : la marquise et do sa fille réussirent pourtant à lo ren
dre m Aire do lui. Il sa promit, toutefois, que M. de Marcieu ne perdrait
rien pour attendre.
— Toujours méchant! comlo, observa la marquise, qui ne put ce
pendant s’empêcher do sourire.
— Toujours vrai, madame, et en voici la prouve :
Lorsque nous avons présenté noire captif au roi, S. M. a ri aux éclats.
Cette culotte a luit merveille sur son esprit. Du reste, S. M. a témoigné
au maréchal toute la satisfaction qu’elle éprouvait au sujet de sa Ivllo
conduite à Gênes : elle lui a trouvé un air guerrier qui lo charmait fort.
(Test la culotte qui lui donnait cet air-là.
M. de Biron prétend que celte culotte le fait ressembler à Jean-Bart.
Je ne suis pas d : cet avis, et tout en goûtant beaucoup l'appréciation de
S. M., je dois avouer que Richelieu, grâce à celte partie de son costume,
m’ost apparu comme lecapitan do la comédie.
Ali ! ali! ali! c’est parfait de ressemblance : jugez-en plutôt, car le
voici lu'-môme.
La p rte du cabinet royal venait de s’ouvrir en effet, livrant passage
au duc d : Richelieu.
Un murmure confus salua sou apparition, troublé lôulefois par la voix
railleuse de M. de Marcieu.
Pendant que chacun se pressait sur son passage, le chevalier s’appro
cha du corn e, et, lui posant la m fin sur l’épaule :
— Deux mots, s’il vous plaît, monsieur de Marcieu, dit-il.
— Eh quoi! chevalier, s’écria le comte avec une colère feinte, vous
roulez m’empêcher do serrer la main du plus cher de mes amis?
Le cadet entraîna le comte daus un coin alors désert.
— Monsieur de Marcieu, vous n’avez donc pas compris co que j’ai eu
l'honneur de vous dre tout à l’heure au sujet du maréchal-duc?
— Et de sa culotte de peau de daim? ajouta lo comte en continuant
n léger persifllage.
Kheiuel lui jeta un regard courroucé.
— Il paraît que je me suis mal expliqué, ropiit-il. Je regretle que mon
service me ri tienne encore trois jours au château ; mais dans la matinée
du quatrième je me trouverai derrière les murs du petit Trianon. Si vous
me faites l’honneur de venir vous y promener, jo tâcherai d’être plus
clair et plus explicite.
— Ah ça ! quelle mouche vous pique donc aujourd’hui, chevalier?
C’est, jo crois, un duel que vous me proposez là ?
— Non pas, c’est uno explication seulement quo jo demande.
— Vive Dieu 1 comme vous prenez à cœur la défense du maréchal i Et
en aura-t-il une culotte moins fantastique, lorsque vous m’aurez traversé
do part en part?
Le chevalier frappa du pied le parquet.
— Assez , monsieur, assez fie railleries. Me ferez-vous l’honneur do
venir me rejoindre?
— Vos insiaiices triomphent de mes derniers scrupules, chevalier. Bii n
que jo no ma rende pas compte d’une coièro aussi violente, ne doutez
pas qu’au jour dit vous me voyiez au lieu désigné.
Et attachant ses deux yeux gris sur ceux de son rival, avec uno ex
pression indicible de moquerie :
— Ah! jo comprends, reprit-il; Richelieu va ôlro plus puissant que
jamais, il vous protège... Le calcul est excellent! vous forez votre che
min, crevaliiT, c’est moi qui vous le prédis.
— Monsieur le comte ! s’écria lo caJoi rouge d’indîgnalion.
— Palsombleu! chevalier, calmcz-vous. Le comte de Marcieu n’a ja
mais refusé de payer ses dettes d’honneur, même en y comprenant l’ar
riéré. Vous avez sa parole; ainsi, rongez votre frein jusqu’à mercredi.
Maintenant, je vous demaudo la permission d’aller rendre mes devoirs
à mon vieil ami... età sa culotte, acheva-t-il en ricanant toujours.
Pendant cet à parle,qui n'avait pas échappé à tout lo monde, Riche
lieu parcourait lus groupes et recevait partout les félicitations que méri
tait ni conduite à Gênes.
En apercevant les dames de Monluc , il s’avança vivement vers elles
et baisa tendrement Athénaïs au front.
Celte marque d'olfaction ne surprit personne, d’abord parce qu'on :e
rappela lo portrait qui ornai, le boudoir du maréchal, et ensuite parce
qu’on savait f rl bien que. malgré son libertinage effréné, Richelieu ne
perlait pas l'amour de la famille aussi loin que feu son ami le Régent.
— Vivo Dieu I s’écria -1 - il en enveloppant la jeune fille d’un regard
tout paternel, combien deux ans profitent à cet âge ! un peu pâlotte , un
peu maigre ; mais il n’en est pas moins vrai que je retrouve uno femme
là où j’ai laissé uno enfant.
Cet éloge fit baiser les yeux à Athénaïs.
Richelieu s’adressa alors à la marquise.
— Eli bien ! dit— 1, pensons-nous maintenant à lui donner un mari?
— Sans doute, répondit Mme d i Monluc. Voilà , outre autres adora
teurs le comte de Marcieu qui ne demanderait pas mieux qne de s’allier
à notre famille.
— Lo confie de Marcieu ! y pensez-vous, madame?
— Le comte est bien né; sa fortune passe pour très considérable, el
do plus...
— Et. il) plus il a quarante-cinq ans, marquise, ne l’oubliez pas.
— Mais ou est jeune encore à cet âge, maréchal, objecta lu marquiso
en so pinçant les lèvres.
— Certainement, certainement; aussi n’ai-jo voulu quo signaler li dif
férence qui existe entre lui et celte chère enfant. Mais je vous avais insi
nué d’autres idées...
— Ali! oui, des idées extravagantes; un cadet de Bretagne... un clie-
valior de Khéruel qui n’a ni feu ni lieu.
— Co qui ne l’empêche pas d'ôtro un gentilhomme accompli. Tenez ,
portez vos regards de ce côté; voyez mon jeune protégé, et dites-moi si,
a vingt ans, vous n’auriez pas rendu plusde justice au mérite d’un pa
reil adulateur ?
La marquise jeta un rapide coup d'œil sur le chevalier et répondit
d’un Ion sévère :
— Jo ne sais si à vingt ans j’aurais remarqué le mérite do votre pro
tégé, mais, à coup sûr, mes parons n’auraient jamais consenti à me 1
donner pour époux.
— Il reste à savoir si vous no vous seriez pas passé de leur consente
ment, lui glissa Richelieu à l’oreillo.
— Armani, Armand, vous serez donc toujours un mauvais sujet?
murmura la marquise en minaudant.
Elle ajouta à haute voix :
— Du reste, le cœur d’Athonaïs n'a point parlé encore , et jo ne sache
pas si, comme vous le prétendez, le chevalier aune ma fille, qu’elle soit
touchée elle-même des sentimens qu’elle a inspirés.
Mile de Monluc s’apprêtait à protester contre la déclaration do sa mère,
mais, intimidée par le regard qui rencontra le sien, elle poussa un sou
pir et baissa la tête sans proférer un seul mot qui pût éclairer Richelieu.
Celte pantomime n’échappa point au duc.
— Alors, c’est différent, observa-t-il; et puisque Athénaïs no l’a pas
remarqué... Cependant je m’imaginais... jo supposais... mais n’en par
lons plus.
La pauvre enfant adressa un regard suppliant à Richelieu; un secun
coup d'œil de sa mère l’empêcha de rien ajouter à cette prière si t a
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Un mnîin, les antichambres du palais de Versailles étaient plus bruyan
tes et plus animées (juo do coutume.
C’était le 15 septembre 1748.
Une grande nouvelle occupait tous les esprits, un nom se trouvait
dans la bouche de tous.
Celle nouvelle so rapportait à l’arrivée soudaino d’un homme qui fut
longtemps l'oracle de la cour ei do la ville; — d’un homme qui réunis
sait en sa personno les qualités des gentilhoinmes du siècle passé, sans
oublier ausd leur frivo'ité éléginm, leur ignorance prétentieuse, leurs
mœurs corrompues ; — d’un homme que chacun avait vu, que chacun
connaissait en France, les seigneurs et les bourgeois, le peuple et les pre
miers dignitaires du royaume, les marchandes, les simples ouvrières
aussi bien que les comtesses, les marquises, les duchesses et les dames
les plus haut placées pur leur naissance, leurs titres et leur fortune, —
de Richelieu, enfin !
Ce retour faisait événement h Versailles c’est tout simple.
Après un an d'absence, Richelieu reparaissait à la cour : Richelieu , le
noble proteeleur des arts! le modèle des gentilshommes aiu aides ol.ga-
laris 1 le roué des beaux jours do la régence! le conseiller et l'ami du roi
Louis XV.
Que de titres pour justifier l’empressement qui se manifestait dans les
antichambres du château !
Mais comme si ceux-là no suffisaient pas, Richelieu en apportait un
nouveau qui devait raviver encore le durable engoûment do.it il était
l’objet.
Aux palmes de Fonlenoy et do Muhon il avait le droit désormais de
marier les lauriers cueillis a Gênes.
Dans les groupes nombreux qui occupaient les vastes s-files du palais
on s'entretenait de sa brillante audace et du succès qu’elle avait obtenu.
On répétait que les Autrichiens, vigoureusement attaqués, avaient dû
s’enfuir honteusement devant les troupes commandées pu- le vaillant
Richelieu. On ajouta-1 que les Génois, pour leconnaitrc ce Le tu fait d’ar
mes, avaient élevé dans le sénat une statue au noble duc, et que son nom
figurait maintenant dans le Livre d’or, à côte des noms les plus célèbres
de celle fière république.
lit comme si ces récits glorieux ne suffisaient pas pour absorber l’at
tention, quelques vieux amis de Richelieu, quelques jeunes gentilshom
mes, également friands d’avanturcs galantes, faisaient circuler à la ronde
certaines historiettes assez lestes dont le vainqueur des Autrichiens au
rait été le héros.
Le guilleret marquis des Aubes prononça même, mais (oui bas et d'une
façon mystérieuse, le nom d’une proche parente du doge, dont il aurait
gagné le cœur.
Pouvait-on parler do Richelieu, en effet, sans que l’amour ne défrayât
une partie d: la conversation?...
— Eh! ch! Mars est de droit le favori de Vénus, comme dirait M. do
Remis, observa le baron do Biron.
Cet le remarque amena un malicieux sourire sur les lèvres du comte do
Marcieu.
— Eh! mais, j’y pense, s’écria-t-il, la drolatique cu'otlo qui a si fort
excité notre hilarité ce matin ne serait-elle point, par hasard, un don de
Vénus à Mars?
— Quelle idée! observèrent les gentilshommes du groupe.
— Pourquoi pas, messieurs, reprit le comte d’uu ton légèrement rail-
cur. Los usages, vous le savez, varient suivant les temps et les lieux.
Autrefois les tendres châtelaines brodaient des écharpes pour leurs che
valiers. Aujourd'hui, chez, nous, un mouchoir marqué au coin de deux
chiffres entrelacés devient un gage précieux qu’un amont brûle d’obte
nir. Cupidon no peut-il pas avoir adopté un autre emblème par delà les
monts et avoir remplacé le mouchoir et l’écharpe par une culotte en peau
de daim ? Qu’en pensez-vous, chevalier? Est-ce la coutume parmi les
belles dames de Genos do témoigner ainsi à un gentilhomme l’estime
toute particulière qu’il a su inspirer ?
Celui auquel le comte s’adressait était un tout petit jeune homme ,
mince, élancé, à. taille svelte, dont, la lèvre supérieure brunissait a peine
sous des moustaches naissantes. La blancheur de sa peau et la délica
tesse de ses (rails, non moins que la douemr de sa voix et la grâce de
ses manières, donnaient do primo-aboid à toute sa personne quelque
chose do féminin.
Cependant, à bien examiner sa figura, on ne tardait pas à y découvrir
un caractère d’énergie et de fierté qui changeait alors complètement
l’expression première de sa physionomie.
A l'interpellation du comte, le chevalier fronça le sourcil, et avec un
accent dont la douceur n’excluait pas la fermeté :
— Je ne sais si vous voulez rallier, monsieur le comlo, suivant votre
habitude, répondit-il; dans ce cas, ou vous devriez mieux choisir le su
jet de vus moqueries, ou, du moins, attendre que le duc de Richelieu
puisse les om ndro.
— Chevalier! chevalierI vous êtes de mauvaise humour aujourd’hui,
observa le comte dont les yeux gris, eri dépit do l’exquise politesse do
ses manièr s, reflétaient une piquante ironie.
Le chevalier répliqua aussitôt :
— Vous savez, monsieur le comte, quels sont mes sentimens pour le
maréchal duc. Sou caractère, autant que sa haute position devraient, ce
semble, le mettre à l’abri de certains commentaires. Mais puisqu’il n'en
est rien, perniettcz-moi de vous rappeler qu’en son absence, il rie man
que pas ici de gentilshommes qui lui sont assez dévoués pour imposer
silence à ceux qui voudraient le tourner en ridicule.
En prononçant ces mots, le chevalier pariait la tête liante. Son regard
assur é, la fierté do son maintien et la main qu’il appuyait sur la garde do
son épée, achevaient do donner un sens précis à ses paroles.
Le comte sourit assez dédaigneusement du reste.
— Palsambleu ! motisior de Kheruel, s’écria-t-il, esl-co une provoca-
•ion que vous prétendez me faire?
— C’est à vi us de décider si mon discours porto ce caractère. J’ai ré
pondu d’avance à ceux qui auraient l’intention de tourner M. de Riche
lieu on ridicule.
— Alors, chevalier, votre voix a retenti dans le désert; car tous ici
nous professons pour le duc lu plus profonde estime, cl, pour ma part, je
m’enorgueillis d'ôtro un de ses vi< ux amis.
Une intention d’ironie perçait toujours dons l’accent du comte, et le
malicieux gentilhomme, de pour do ne l’avoir pas suffi-amment indiqué,
y ajouta un geste trop solennel pour qu’il fût véritablement senti.
M. do Marcieu avait la réputation d’avoir infiniment d’esprit, mais do
cet esprit caustique et railleur qui rend si dangereux dans les salons ce
lui qui le possède. Lo persifllage du comte était d’autant plus redouta
ble qu’il se produisait avec des formes aimables et polies , avec un ton
des plus exquis. A la faveur do ses manières de bonne compagnie, il no
pcrdiiit pas une occasion do décocher un trait, une saillie, une allusion
qui manquait rarement leur but.
Toutefois co tôle n’était—il pas sans danger. Aussi, bien souvent, M. do
Marcieu fut-il forcé de mettre l’épée à la main pour répondre d’une plai
santerie par trop hasardée. Mais comme son adresse sur les armes éga
lait en profondeur la causticité de son esprit, il était rare qu’il ne se
tirât pas à son honneur des fréquentes rencontres où il s'engageait.
Sa langue et son épée avaient reçu également une trempe supérieure.
Celle disposition naturelle sert assez a i xpliquer l’espèce d’aigreur qui
venait de percer dans les discours du comte. Mais un autre motif dé-i-
gnait plus [particulièrement le chevalier de Khéruel et Richelieu lui-
même à ses traits acérés.
M. de Marcieu se montrait fort épris d’une jeune personne de haute
naissance. Favorablement accueilli par la mère, il no trouvait que dédain
chez l’objet de ses amours. Or, on n’ignorait pas quo si Mlle de Moulue
témoignait innt de froideur au comte, c'est qu’elle était touchée des hom
mages d’un jeune cadet do Rretagne dont tout lo crime, aux yeux de la
marquise, consistait à n’avoir pour fortune que son épée.
Ce cadet n’était autre que le chevalier do Khéruel, dont Richelieu fa
vorisait les prétentions.
On comprend maintenant et l’obstination du vieux ceinte à poursuivre
Richelieu de scs épigrammes et les susceptibilités du jeune cadet do Bre
tagne. 1
L’apparition soudaine do deux dames suivit la réponse hautaine quo lo
chevalier venait d’adresser à son rival.
C’étaient précisément les dames de Monlnc.
La marquise était de moyenne grandeur, un peu trop développée des
hanches, peut-être, mais fraîche, accorte et parfaitement conservée. Elle
possédait encore cotte florissante sanié do la_ seconde jeunesse, qui no
manque pas d’un certain attrait. Rien de bien distingué chez elle, du
reste, ni dans son air, ni dans ses manières, en dépit do scs poses à effet
et de ses gestes étudiés.
Si nous no craignions de blesser la susceptibilité aristocratique d ) ses
mânes, nous dirions que la marquise, toute grande dame qu’elle était,
ressemblait à une bonne petite mère, toute rende, toute guillerette, et
qui n’avait pas entièrement renoncé b plaire.
La chronique scandaleuse prétendait quo sa vertu ne s’effarouchait pas
trop autrefois dos assiduités du galant duc de Fronsne; elle assurait que
son portrait se trouvait dans celte collection singulière qui garnissait lo
boudoir de Richelieu, et dont chaque sujet rappelait une de ses maî
tresses.
On allait même jusqu’à trouver un faux air du noble duc dans les traits
de la jeune personne qui accompagnait la marquise.
Athénaïs de Moulue était pâle, chétive et délicate à l’excès. Elle pa
raissait marcher avec peine, et son regard voilé laissait soupçonner lo
secret de quelque souffrance cachée.
Lo comte et lo chevalier s’avancèrent en même temps à la rencontre
des dames de Monluc.
— Mme la marquise et Mlle de Monluc me permettront-elles do dépo
ser à leurs pieds mon respectueux hommage? dit M. do Marcieu du ton
le plus galant.
— Bonjour, comte, b injour, répondit la marquise.
Et elle lui donna sa main à baiser.
Seulement alors elle aperçut le chevalier qui s’inclinait profondément
devant eile.
— Madame la marquiso et mademoiselle de Morilluc daigneront-elles
agréer l’expression do mes sentimens? répéta le chevalier d’uno voix
émue.
La marquise prit un air glacé ; elle répondit au salut de M. de Khéruel
par une révérence froide et digne ; et, comme pour achever de traduire
sa pensée tout entière, elle enveloppa Athénaïs d'un regard soupçonneux.
Il était visible quo lo jeune Breton ne possédait pas les bonnes grâces
de Mine de Monluc et que sa présence la contrariait fort en ce moment.
Cet échec valut au chevalier un coup-d’œil ironique de la part du
comte.
Il se contint pourtant, et il fit bien; car un adoucissement ne tarda pas
être donné à scs peines.
Malgré l’active surveillance dont elle était l’objet, Athénaïs sut trouver
le moyen do mettre dans sos yeux un doux regard et sur ses lèvres un
sourire charmant destinés à corriger l’accueil trop cérémonieux de sa
mère.
— Eh bien! reprit la marquise en s’adressant à M. do Marcio i, il est
donc vrai, lo vainqueur des vainqueurs est arrivé?
—Oui, madame ; depuis près d’une heure ils sont ici, lui et sa culotte;
répondit lo comte d’un air goguenard.
Le chevalier fit un geste concentré.
— Lui et sa culotte! quelle est cette plaisanterie? demanda la mar-
— Ah! vous ne savez pas?...
— Quoi donc?
— Mais le singulier accoutrement qu’a choisi lo maréchal.
— J’ignore ce que vous voulez dire... Je me trouvais tout à l’heure en
visite chez Mme do Prie, lorsqu’on est venu nous annoncer l’arrivée du
duc do Richelieu. Curieuse comme des femmes, comme des femmes de
cour, comte, nous nous sommes rendues chez la duchesse, et làon nous
a appris que son noble époux s’était dirigé vers le palais. Alors, laissant
Mme de Prie, je suis accourue avec ma fille, désirant être des premières
à complimenter l’heureux libérateur des Génois, et me voilà impatiente
do lo voir.
— Mais vous ignore/, donc co qui s’csl pa-sô co malin u son entrée
dans Versailles? demanda le marquis des Aubes.
— Que s’est-il donc passé?
— Une chose plaisante, très plaisante en vérité; interrogez plutôt ces
messieurs.
— Je doute que M. lo maréchal duc s'en soit encore consolé, observa
le comte.
— De grâce, messieurs, prenez en pitié la curiosilé que vous venez d'é
veiller en moi, dit Mina de Monluc.
— Oh! dé.icieux, délicieux ! Cette culotte en peau de daim...
Un regara suppliant do la marquise empêcha le comte de terminer sa
phrase.
— Pardon, madame, pardon, voici ce que vous dé-iriez apprendre :
Ce matin, au polit lever, S. M. se trouvait d'une humeur charmante.
En nous annonçant l’arrivée du duc elle a ajouté : Massieurs, il s’agit do
jouer un excellent tour à Richelieu.
Alors lo roi nous a développé son plan :
Il s’agissait d’aller attendre Richelieu sur la roule de Paris, do l'entou
rer dès qu’il paraîtrait, do l’envelopper on quelque sorte, et de l’amener
tout crotté, tout poudreux à Versai,'les.
Nous partîmes aussitôt et ne tardâmes pas à rejoindre celui que nous
cherchions. — Oh! madame, vous auriez ri do bon cœur si vous aviez
assisté à celte reconnaissance !
Le duc s’est d’abord montré fusiouxet a voulu met Ire l’opée à la main
Il s’était imaginé qu’on venait l’arrêter pour le jeter de nouveau à la
Bastille; vous comprenez?
Cettto grande coièro s'est calmée cependant, lorsqu’il nous a entendu
dire que S, M. désirait l’entretenir à l’instant même.
Richelieu s’est décidé alors à rengainer, mais en nous suppliant de lui
permettre do secouer la poussière do ses bottes et de réparer le désordre
de scs cheveux. Nous nous y sommes opposés, en lui déclarant quo c’é
tait encore par la volonté du roi quo nous agissions ains.
il fallait voir alors la figure pileuse du pauvre duc. Cent fois il nous
demanda l’explication do ce qui arrivait.
— C’est l’ordre de S. M., répétions nous invariablement.
Richelieu, étonné au dernier point, nous examinait attentivement,
cherchant à deviner sur notre figure le mot de l'énigme. Les sourires et
les regards d'intelligence que nous échangions, à defaut de réponse ca
tégorique, no lui paraissaient pas do bon augure sans doute, car, renon
çant à pénétrer le mystère, il s’est rejeté au fond du sa voiture en pous
sant un profond soupir.
Le coup d’œil était vraiment fort beau.
Noos tonnions une magnifique cavalcade autour du carrosse, et lui,
Richelieu, aurait très bien figuré un triomphateur antique, n’était l’ex
pression inquiète qui su peignait malgré lui sur ses traits.
C’est on vain que nous le félicitions du succès do ses armes, le due no
so montrait pas du tout touché de nos complimens, et, comme si cha
cune de nos paroles renfermait une ironie amère, il répondait d’un ton
bourru, lorsqu’il répondait toutefois.
— Avouez qu’il avait bien un peu raison do vous traiter ainsi, observa
la marquise.
— Oui, notre conduite pouvait lui paraître assez suspecte, j’en conviens.
MVst avis, cependant, qu’il ne nourrissait aucune crainte sérieuse, et que
l’idée d’un danger réel ne causait pas chez lui cette tristesse qui nous pa
raissait si comique.
Près de deux ans d'absence ne vous ont pas fait oublier ce qu’a tou
jours été Richelieu , depuis son enfance, c’est à-dire un modèle de re
cherche, do ralflnement et d’élégance.
Eh bien 1 ôtait-il possible qu’un homme aussi soigneux de sa loilelto
ne conçût pas un dépit mortel à l’idée qu'il allait paraître devant le roi
dans un accoutrement pareil au sien?
— Vous lui en voulez donc toujours? demanda Mme de Montluc.
— Moi, lui en vouloir! mais je m’honore, au contraire, d’être un de
ses meilleurs amis, ainsi que je me faisais l’honneur de le déclarer tou
à l’heure ou chevalier do Kheruel.
— En cifet, c’est bien là ce quo vous m’avez dit, répondit le cadet
d’un ton et avec un air qui exprimaient a:s;z co qu’il pen ait de cette
allégation.
Le cprrite reprit :
— Figurez-vous, madame, lo maréchal en grandes bottes à éperons ,
culotte en peau de daim , cuirasse, chapeau gris , sacs poudre ni man
chettes. Je recommande surtout à votre attention cette culotte fantas
tique, et ne crains pas d’être démenti en assurant qu’elle est uniquo
dans son genre. Sou état de conservation, sa coupe, scs broderies ou liant
un objet rare et digne d’être exposé dans un musée. Vous la veirez, du
reste.
Lo chevalier no souffla pas un mot ; mais les sarcasmes dont Richelieu
était l’objet l’atteignaient profondément, il n'était pas jusqu’à l’espèce do
faveur qui accueillait les remarques du comte, qui ne redoublât encore
son ressenlimont.
La prononce d : la marquise et do sa fille réussirent pourtant à lo ren
dre m Aire do lui. Il sa promit, toutefois, que M. de Marcieu ne perdrait
rien pour attendre.
— Toujours méchant! comlo, observa la marquise, qui ne put ce
pendant s’empêcher do sourire.
— Toujours vrai, madame, et en voici la prouve :
Lorsque nous avons présenté noire captif au roi, S. M. a ri aux éclats.
Cette culotte a luit merveille sur son esprit. Du reste, S. M. a témoigné
au maréchal toute la satisfaction qu’elle éprouvait au sujet de sa Ivllo
conduite à Gênes : elle lui a trouvé un air guerrier qui lo charmait fort.
(Test la culotte qui lui donnait cet air-là.
M. de Biron prétend que celte culotte le fait ressembler à Jean-Bart.
Je ne suis pas d : cet avis, et tout en goûtant beaucoup l'appréciation de
S. M., je dois avouer que Richelieu, grâce à celte partie de son costume,
m’ost apparu comme lecapitan do la comédie.
Ali ! ali! ali! c’est parfait de ressemblance : jugez-en plutôt, car le
voici lu'-môme.
La p rte du cabinet royal venait de s’ouvrir en effet, livrant passage
au duc d : Richelieu.
Un murmure confus salua sou apparition, troublé lôulefois par la voix
railleuse de M. de Marcieu.
Pendant que chacun se pressait sur son passage, le chevalier s’appro
cha du corn e, et, lui posant la m fin sur l’épaule :
— Deux mots, s’il vous plaît, monsieur de Marcieu, dit-il.
— Eh quoi! chevalier, s’écria le comte avec une colère feinte, vous
roulez m’empêcher do serrer la main du plus cher de mes amis?
Le cadet entraîna le comte daus un coin alors désert.
— Monsieur de Marcieu, vous n’avez donc pas compris co que j’ai eu
l'honneur de vous dre tout à l’heure au sujet du maréchal-duc?
— Et de sa culotte de peau de daim? ajouta lo comte en continuant
n léger persifllage.
Kheiuel lui jeta un regard courroucé.
— Il paraît que je me suis mal expliqué, ropiit-il. Je regretle que mon
service me ri tienne encore trois jours au château ; mais dans la matinée
du quatrième je me trouverai derrière les murs du petit Trianon. Si vous
me faites l’honneur de venir vous y promener, jo tâcherai d’être plus
clair et plus explicite.
— Ah ça ! quelle mouche vous pique donc aujourd’hui, chevalier?
C’est, jo crois, un duel que vous me proposez là ?
— Non pas, c’est uno explication seulement quo jo demande.
— Vive Dieu 1 comme vous prenez à cœur la défense du maréchal i Et
en aura-t-il une culotte moins fantastique, lorsque vous m’aurez traversé
do part en part?
Le chevalier frappa du pied le parquet.
— Assez , monsieur, assez fie railleries. Me ferez-vous l’honneur do
venir me rejoindre?
— Vos insiaiices triomphent de mes derniers scrupules, chevalier. Bii n
que jo no ma rende pas compte d’une coièro aussi violente, ne doutez
pas qu’au jour dit vous me voyiez au lieu désigné.
Et attachant ses deux yeux gris sur ceux de son rival, avec uno ex
pression indicible de moquerie :
— Ah! jo comprends, reprit-il; Richelieu va ôlro plus puissant que
jamais, il vous protège... Le calcul est excellent! vous forez votre che
min, crevaliiT, c’est moi qui vous le prédis.
— Monsieur le comte ! s’écria lo caJoi rouge d’indîgnalion.
— Palsombleu! chevalier, calmcz-vous. Le comte de Marcieu n’a ja
mais refusé de payer ses dettes d’honneur, même en y comprenant l’ar
riéré. Vous avez sa parole; ainsi, rongez votre frein jusqu’à mercredi.
Maintenant, je vous demaudo la permission d’aller rendre mes devoirs
à mon vieil ami... età sa culotte, acheva-t-il en ricanant toujours.
Pendant cet à parle,qui n'avait pas échappé à tout lo monde, Riche
lieu parcourait lus groupes et recevait partout les félicitations que méri
tait ni conduite à Gênes.
En apercevant les dames de Monluc , il s’avança vivement vers elles
et baisa tendrement Athénaïs au front.
Celte marque d'olfaction ne surprit personne, d’abord parce qu'on :e
rappela lo portrait qui ornai, le boudoir du maréchal, et ensuite parce
qu’on savait f rl bien que. malgré son libertinage effréné, Richelieu ne
perlait pas l'amour de la famille aussi loin que feu son ami le Régent.
— Vivo Dieu I s’écria -1 - il en enveloppant la jeune fille d’un regard
tout paternel, combien deux ans profitent à cet âge ! un peu pâlotte , un
peu maigre ; mais il n’en est pas moins vrai que je retrouve uno femme
là où j’ai laissé uno enfant.
Cet éloge fit baiser les yeux à Athénaïs.
Richelieu s’adressa alors à la marquise.
— Eli bien ! dit— 1, pensons-nous maintenant à lui donner un mari?
— Sans doute, répondit Mme d i Monluc. Voilà , outre autres adora
teurs le comte de Marcieu qui ne demanderait pas mieux qne de s’allier
à notre famille.
— Lo confie de Marcieu ! y pensez-vous, madame?
— Le comte est bien né; sa fortune passe pour très considérable, el
do plus...
— Et. il) plus il a quarante-cinq ans, marquise, ne l’oubliez pas.
— Mais ou est jeune encore à cet âge, maréchal, objecta lu marquiso
en so pinçant les lèvres.
— Certainement, certainement; aussi n’ai-jo voulu quo signaler li dif
férence qui existe entre lui et celte chère enfant. Mais je vous avais insi
nué d’autres idées...
— Ali! oui, des idées extravagantes; un cadet de Bretagne... un clie-
valior de Khéruel qui n’a ni feu ni lieu.
— Co qui ne l’empêche pas d'ôtro un gentilhomme accompli. Tenez ,
portez vos regards de ce côté; voyez mon jeune protégé, et dites-moi si,
a vingt ans, vous n’auriez pas rendu plusde justice au mérite d’un pa
reil adulateur ?
La marquise jeta un rapide coup d'œil sur le chevalier et répondit
d’un Ion sévère :
— Jo ne sais si à vingt ans j’aurais remarqué le mérite do votre pro
tégé, mais, à coup sûr, mes parons n’auraient jamais consenti à me 1
donner pour époux.
— Il reste à savoir si vous no vous seriez pas passé de leur consente
ment, lui glissa Richelieu à l’oreillo.
— Armani, Armand, vous serez donc toujours un mauvais sujet?
murmura la marquise en minaudant.
Elle ajouta à haute voix :
— Du reste, le cœur d’Athonaïs n'a point parlé encore , et jo ne sache
pas si, comme vous le prétendez, le chevalier aune ma fille, qu’elle soit
touchée elle-même des sentimens qu’elle a inspirés.
Mile de Monluc s’apprêtait à protester contre la déclaration do sa mère,
mais, intimidée par le regard qui rencontra le sien, elle poussa un sou
pir et baissa la tête sans proférer un seul mot qui pût éclairer Richelieu.
Celte pantomime n’échappa point au duc.
— Alors, c’est différent, observa-t-il; et puisque Athénaïs no l’a pas
remarqué... Cependant je m’imaginais... jo supposais... mais n’en par
lons plus.
La pauvre enfant adressa un regard suppliant à Richelieu; un secun
coup d'œil de sa mère l’empêcha de rien ajouter à cette prière si t a
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