Vous soupçonnez l'intérêt d'une semblable visite. Ce fut un moment délicieux. Pour en éterniser, autant que possible, l'artistique jouissance, mon frère, favorisé par un soleil ra- dieux, multiplia les clichés que je suis heureux de vous sou- mettre.
Après une moisson qui semblait complète, heureux et salis- faits, nous partions. Nous venions de saluer le beffroi (car Lu- cheux aussi a son beffroi communal), quand nous vîmmes à passer devant l'église. Au premier aspect extérieur, elle ne semble rien offrir de saillant, pourtant l'abside m'intriguait par ses formes antiques et robustes. A tout hasard, nous en- trons. Bien nous en a pris. Nous avons trouvé là la perle de notre voyage, le pendant victorieux du St-Jean-aux-Bois de la forêt de Compiègne. L'église de Lucheux est une très inté- ressante église romane du onzième siècle. M. Enlard, d'une compétence indiscutée en ces matières, en a fait l'objet d'une très savante étude dans les Monuments Romans et de la Transi- tion en Picardie; il la croit élevée entre les années 1030 et 103S. Le choeur, en particulier, avec ses voûtes contemporaines de la première efflorescence gothique, avec ses nervures décorées d'ornements géométriques, ses chapiteaux curieusement histo- riés, ses fenêtres supérieures aux profondes ébrasures, est un morceau de tout premier ordre. Tant de siècles écoulés n'ont pas été sans apporter au vénérable édifice bien des modifica- tions importantes. Le carré du transept a maintenant une voûte du seizième siècle. A la même époque, et même plus tard, on a modifié la croisée, on a réuni les deux dernières travées de la nef en une seule, de sorte que dans les diverses parties de l'église, l'aspect a été plus ou moins changé. Le choeur a été conservé intact dans la riche nudité de sa pierre décorée par ces ouvriers du onzième siècle, frères de ceux de Morien- val. Ils ont mis là tout leur entrain, leur gaucherie, leur per- pétuel élan vers le mieux, le plus parfait. De même qu'à Athè- nes, ce ne sont pas toujours les plus purs chefs-d'oeuvre qui intéressent le plus, mais que l'on trouve un plaisir plus affiné peut-être à contempler ces statues primitives, au béat et hiéra- tique sourire, qui ont été trouvées dans les fouilles méthodi- ques de l'Acropole où elles avaient été jetées pour compléter le remblai; ainsi notre oeil, habitué aux merveilles réalisées au treizième siècle, s'arrête cependant avec une jouissance
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