Titre : Revue du Havre et de la Seine-Inférieure : marine, commerce, agriculture, horticulture, histoire, sciences, littérature, beaux-arts, voyages, mémoires, mœurs, romans, nouvelles, feuilletons, tribunaux, théâtres, modes
Éditeur : [s.n.] (Havre)
Date d'édition : 1847-01-23
Contributeur : Morlent, Joseph (1793-1861). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859149v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 23 janvier 1847 23 janvier 1847
Description : 1847/01/23. 1847/01/23.
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
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Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque municipale du Havre, Y2-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/05/2014
s
Vent-en-Panne demeura morne, accablé, immobile, les regardant s’é
loigner; mais il tressaillit tout-à-coup en entendant une voix prononcer
tout bas son nom derrière lui. lise retourna : c’était Joaquin, qui lui dit
brièvement :
— Ce soir, à la nuit tombante, nous partirons ensemble, si tu veux,
et quand nous les renconlrerons à moitié route ils ne pourront plus nous
renvoyer.
Pendant les deux premières journées do marche, les boucaniers ne
virent pas un ennemi dans les solitudes qu’ils traversèrent ; mais vers la
fin do la troisième, Michol-lo-Basque aperçut une légère- fumée qui s’é
levait au milieu d’un petit bois de palmistes épinés. Le guide demanda
la permission d’aller à la découverte. Le Léopard refusa et se glissa lui-
môme dans le bois avec Grammont; mais quelle fut leur surprise, quand
ils furent à portée de vue, de reconnaître Joaquin Montbars et Vent-
en-Panne qui soupaient tranquillement d’un quartier de sanglier fumé,
et qui, sans bouger, sans échanger un regard entre eux, sentant par ins
tinct le poids des regards qui les observaient et l’inquiétude d’un péril
quelconque, saisirent nonchalamment leurs fusils, placés devant eux,
comme par un mouvement de distraction, sans but, et les armèrent le
plus doucement possible.
Mais le vieux chef cria aussitôt : Léopard! et s’avança vers eux avec
Grammont. Joaquin l’attendit en baissant les yeux.
— Malheureux enfant, tu es donc fou, lui dit le boucanier avec un ac
cent plus tendre que courroucé. Est-ce ainsi que tu apprends à obéir!
Tu mériterais d’èlre renvoyé à l’instant au Port de la Paix, mais le dan
ger serait encore plus grand que celui de venir avec nous.
—- Mais, s’écria Grammont, voyez donc cette cargaison de ballots et de
tonneaux, Léopard!
En effet, une pile de ballots était entassée sous les palmistes avec trois
ou quatre barils cerclés de fer.
— Vous vdyez que je n’ai pas perdu mon temps en route, mon oncle,
répondit Joaquin avec un sourire caressant. Nous avons trouvé cette
pacotille abandonnée à la garde de quelques lanceros qui ont voulu faire
les médians avec nous, et ma foi nous les avons mis en déroule, et les
ballots nous sont restés.
— Bien travaillé! dit Grammont.
Le léopard fronça le sourcil.
— Imprudent 1 "répliqua-t-il, tu triomphes d’une folie qui va attirer
sur notre troupe la surveillance des Espagnols et perdre peul-ôtre notre
expédition.
Puis il ordonna qu’on fit halte dans cet endroit, et pendant lo repas il
alla visiter, accompagné seulement deson engage, la prise de Joaquin,
afin de reudro un compte exact, suivant l’usage, lors du partage général.
Elle consistait en cochenille, indigo, jalape, mccoachan et salsepareille.
Tout à coup l’engagé, qui examinait lo contenu d’un des tonneaux,
s’écria :
— Maîlro, voici quelque chose de plus lourd qu’il importo do vérifier.
Il renversa le tonneau et fit tomber à torro quelques saumons (lingots
de plomb.)
—- C’est étrange ! dit le Léopard.
Et tirant un do ses couteaux de chasse , il se mit 5 couper lo lingot.
Sous la croûte du plomb , il vit bientôt briller une couche d’argent mas-
— Joaquin a débuté par une magnifique prise, reprit-il. Ces tonneaux
contiennent bien trois cents saumons d’argent environ. Mais n'en parlons
pas à nos compagnons. L'inquiétude de perdre ce riche butin lour ôte
rait le courage d’aller en avant.
Au même instant, il prêta l’orcillo , croyant entendre un pas léger
bruire près d’eux ; il crut même voir étinceler dans le feuillage deux
yeux fixés sur lui. Mais dans le mouvement qu’il fit pour s’élancer , ses
pieds s’embarrassèrent à des lianes pendantes. 11 tomba , et quand il se
releva tout était tranquille autour d’eux.
— Je crois avoir reconnu le regard de notre guide catalan, dit le bou-
cannier.
Bah ! vous êtes trop défiant, reprit l’engagé. Pour moi, je n’ai rien
vu m rien entendu. Mais je crois qu'il est temps d’aller souper, et c’est
a quoi le guide pense lui-même beaucoup plus qu’à nous épier; car je
l’aperçois là bas qui vide une outre avec beaucoup do«dexlérité.
Le Léopard secoua la tûte d’un air de doute, mais ne répliqua rien.
Le jour suivant, nos aventuriers curent à traverser une rivière dont le
courant était assez fort. Le guide déclara qu’il connaissait un gué et de
manda à aller à la découverte. Le chef y consentit quand l’engagé lui eut
dit a voix basse : En lui donnant deux gardiens robustes et bons nageurs,
que risquez-vous ?
On confia le soin de le surveiller à Joaquin et à Michel-le-Basque. Mais
une fois au milieu du courant, les deux aventuriers se sentirent soudai
nement le cou serré par un poignet de fer, et pendant qu’ils se débat
taient, le guide plongea et disparut. Ce fut en vain que toute la troupe
s eparpilla le long de la rivière, et que Joaquin et Michel fouillèrent la
rive opposée : on ne put lo retrouver.
Cet événement commença à inspirer quelques appréhensions. Mais ce
‘ut bien autre chose quand, après deux autres journées de marche, nos
aventuriers se trouvèrent égarés dans une savane d’une prodigieuse
étendue. Déjà l’azur du ciel commençait à prendre une teinte plus som
bre; pourtant l’immense savane était encore éclairée par cette frange
d’or et de pourpre qui étincelait à l’horizon. Pas un flocon de nuage ne
pommelait la tenture bleuo dn firmament ; la plaine, échauffée tout le
jour par le soleil ardent, frémissaii du bourdonnement des insertes. Les
boucaniers, épuisés de fatigue, cherchant en vain un filet d’eau perdu
sous lo sable, une citerne à demie tarie, un bouquet d’arbres qui étendit
sur leurs tôles son parasol de feuillage , commençaient à sentir leurs
^'ijblouis par les fascinations du mirage. Ils croyaient voir au loin
mais nî .^.S'nnds lacs, reluisant au soleil comme des miroirs d’acier ;
Ip.ir- r, 1 s fiançaient d’un pas rapide, plus les lacs fuyaient devant
p . ,f res altérées et allaient creuser au loin leurs lits fantastiques.
J uis cotaient des mornes qui semblaient vouloir escalader le ciel et l'en
trouvrir de la pointe do louis crêtes sauvages; mais ces masses gigan
tesques ne lardaient pus à s’évaporer comme un essaim do vapeurs. Enfin
quelquefois un boucanier pous ait un cri de joie; il venait de découvrir
une ville; il distinguait k flèche élancée do l’église, les remparts, les
losses, les terrasses, des maisons embaumées par les orangers; mais
bientôt la flèche s’affilait au point de devenir imperceptible, les terrasses
s abaissaienl, les remparts croulaient et le sable finissait toujours par
combler les fossés. Le flair des chiens était perdu comme l’expérience
do leurs maîtres était inutile; car lu sable,ainsi que le flot de la mer, ne
garde aucuno trace? un souffle do vent y balaie l’empreinto d’une ar-
méo.
Lu découragement troublait pou à peu les cœurs do nos braves com
pagnons. Ils eussent aimé à renconier des ennemis, mais que pouvait
1° courage contre cet océan de sable qui tourbillonnait autour d’eux, qui
a chaque instant se creusait devant leurs pas en sépulcres béans. Pen
dant celle marche terrible ce guide ou plutôt cet espion qui les a trahis,
assemble peut-être dos bandes d’Espagnols. Eh bien 1 ils aimeraient
mieux
ce ciel
(x voir apparaître une armée entière d’ennemis que de contempler
oelln » lout a * a ^°' s «»ag ,l,[ iqn e et sinistre. De tous leurs vœux ils ap-
leur, ; d ( JS nua g es >, uno tempête, un ouragan ; mais Dieu est sourd à
sucpfJKs cre P usc . u , ro P an d son ombre et les étoiles s’allument
, Etifl V i C ' nBnt comme des lustres do fête, à la voûte céleste,
les ri" boucaniers dressent leurs tentes, d’après l’ordre du Léopard.
Dcndantn S , so C0ll chent halelans sur lo seuil et s’endorment, la langue
avoir nlaoA i musea " creusant lo sable. Le vieux chef se retire, apres
oui s'assoit sentinelles dont les yeux no lardent pas à se fermer et
lence 1 sont d’un sommeil tebrile. Le désert tout entier fait si-
rier 1 TJn »! ( , lu Léopard se promènent lentement ce brave aventu-
tent Déridant H ; c "S a Sé- Mais tous deux ont quitté le rôle qu’ils affec-
lAlnl anslak rn J ,?i U î" é °; lo vieillard a le Iront découvert devant le ma-
Nnnfn’ n inn dl , 1 "’une voix tremblante :
P. lus do provisions. Encore un jour do marcho inutile
et nous sommes perdue Er j 0 n > auraipas tenu parole.
— Lct l'itarno <..italun nous a trahis. Ce n’est pas votre faute, mon
vieux Léopard. Qui peut vous accuser? C’est ma folle confiance...
— J ai eu tort, répondit sourdement le boucanier. Je devais vous résis
ter ; je devais mieux le surveiller. J’ai été faible et crédule. Je suis un
homme déshonoré.
— Calmez-vous I dit l’engagé. Demain pout-ôtre nous parviendrons à
sorlir de cette savane.
— Jamais peut-être ! murmura le Léopard. Mais qui vient? s’écrie-t-il
en entendant le sable crier sous des pas précipités.
La portière de la tente se relève et Joaquin entre brusquement en di
sant :
— Alerte! mon oncle, nous avons été vendus. Nous sommes cernés
par une cinquantaine.
— AhI s’écrie le vieux boucanier on relevant fièrement sa tête basa
née, voici donc les ennemis! Si nous devons mourir, ce sera sur des ca
davres espagnols, sur un sable rougi de leur sang. Nous mourrons bra
vement, en gens de cœur, et non en chiens malades. A moi, ma bonne
arme, ajouta-t-il en serrant son fusil dans ses mains; tu rendras encore
un dernier service à ton maître. Tu ne te rouilleras pas enterrée dans le
désert.
Joaquin fut ému on voyant l’enthousiasme juvénile du Léopard. Mais
le calme insouciant de l’engagé dont le regard était resté muet, qui n’a
vait pas fait un geste ni prononcé une parole, l’indigna. U allait lui
adresser quelque sanglant reproche, quand cet homme singulier, se tour
nant du côté du boucanier, qui venait de faire deux pas vers l’entrée do
la tente, lui dit simplement :
— Iicmcmbcr 1 souviens-toi.
Jamais un changement si prompt ne s’opéra au coup de baguette d’une
fée. L’ardeur du chef s’éteignit soudainement; les rides de son front se
creusèrent en plis plus profonds, et Joaquin crut voir pâlir ses joues
cuivrées. Ses lèvres remueront, et, à coup sûr, si la source des larmes
n'eût pas été tarie sous ses paupières brûlées, il eût pleuré. Tout son
corps trembla comme la feuille ; puis, poussant du pied avec humeur son
fusil dans un coin, il dit froidement à Joaquin.
— Fais mettre le campement en défenso, et d’abord envoie demander
aux Espagnols ce qu’ils nous veulent.
Joaquin tomba de son haut en entendant la réponse du Léopard.
Quello magie secrète renfermait donc cette parole qui avait si subite
ment refroidi le courage de son oncle? Quelle inflence mystérieuse pou
vait courber sous son joug cet hôte indépendant des forêts? 11 no put
s’empêcher, dans son premier mouvement de surprise de s’écrier :
— Ce qu’ils nous veulent ! mais avons-nous jamais eu besoin de le
leur demander? Et eux, no savent-ils pas que notre but est de délivrer de
leur tyrannie les pauvres Indiens et de les débarrasser de leurs trésors
volés!
Mais son oncle l’interrompit par un regard impérieux et sévère :
—Nous sommes dans un guêpier, répliqua-t-il ; le guide catalan nous
a trahis. Combien sont-ils, ces hidalgos do chasse ? Une cinquantaine
pour commencer le fondango 1 mais toutes so tiennent par la manche, et
une fois la danse en troin, nous aurons une armée sur le dos.
— Qu'importe lo nombre! s’écria impétueusement Joaquin Montbars.
Nous pouvons mourir, comme vous le disiez vous-même tout à l’heure,
mon oncle.
— Nous ne pouvons pas mourir, dit sôchemont la boucanier.
— La pour a-t-elle jamais compté dans ves calculs, mon oncle?
— Est-ce ainsi que vous parlez au Léopard, s’écria d’uno voix farou
che le vieux chef, dont les dents se contractèrent avec force. Croyez-
vous que l’Age ait glacé lo sang dans mes veines et que j’aie besoin de
vos leçons, jeune homme! Obéissez, vous dis-je!
Joaquin ne bougea pas.
Le Léopard, qui sentait la colore monter à son cœur, s’efforça de con
tinuer doucement :
— Vous vous fiez beaucoup à ce que vous ôtes le fils do mon frère,
monsieur! Mais nos règlemens me donnent lo droit de châtier la déso
béissance, ne l’oubliez pas! Vous dois-je donc compte do ma conduite, et
preniez-vous votre oncle pour un lâche quand il força don Ramon Car
rai à s’agenouiller devant vous?
Ce souvenir émut Joaquin , et il s’inclina en murmurant : —J’ai eu
tort, mon oncle I
— Les balles des Espagnols, reprit le boucanier en tirant familière
ment la moustache de son neveu, peuvent siffler tant qu’elle voudront
à mes oreilles, sans faire remuer un poil sur ma figure tannée ; mais au
jourd'hui.... il faut bien rassurer cet enfant, dit-il en regardant l’en
gagé. C’est un entêté, comme vous voyez, mais un coeur de fer dans le
péril I
L’engagé s’inclina en souriant.
— Vois-tu, Joaquin, continua le Léopard, les Espagnols nous ont ten
du ce piège dans un but facile à comprendre. Us veulent nous faire tous
prisonniers pour prouver aux Anglais qu’ils ne doivent plus conser
ver aucun espoir d’être dégagés par les Frères de la Côte. Si nous nous
faisons tuer ou si nous nous rendons, c’est manquer également à notre
mission !
— Lo croyez vous en effet, mon oncle?
— Oui, mon enfant. Je pense donc qu’il vaut mieux parlementer et
user do ruse pour leur échapper. Si, en leur rendant lo butin et en leur
faisant craindre un effort désespéré, nous obtenons des conditions hono
rables...
— Honorables 1... une retraite ! dit amèrement Joaquin.
— Maintenant, monsieur, voulez-vous obéir à votre chef? interrompit
le boucannior.
Joaquin so retira en hésitant. Le léopard et l’engagé se regardèrent.
Ce dernier tendit la main avec émotion au prudent aventurier :
— Mon vieil ami, lui dit-il, faites tous les sacrifices possibles pour
éviter le combat! mais s’il fallait pourtant en venir à cette exlrémilé, ma
main connaît le poids d’uno épée, et vous me trouverez toujours à côté
de vous !
— J’espôro que nous n’en serons pas réduits là, répondit le bouca
nier. Mais j’entends le refrain guerrier do nos frères. Asseyons-nous ot
restons aussi calmes que si nous assistions au grand conseil, au port de
la Paix !
Il alluma son cigarrc à celui do l’engagé, et tous deux s’accroupirent
sur les nattes , avec la gravité d’un pacha entouré de sa cour, de son
bourreau et de son tigre favori.
Peu après Joaquin Montbars entra dans la tenle, précédant un alferez
(enseigne) et notre ancienne connaissance fray Eusebio Carrai. Le pre
mier avait la main sur la garde de son épée, et le second sur les grains
d’ébène de son chapelet. Tous deux portaient la tête haute.
Lo boucanier regarda les envoyés avec indifférence , et entre deux
bouffées de tabac demanda laconiquement à Joaquin :
— Pourquoi amenez-vous ici ces prisonniers, monsieur ?
A ce début singulier, fray Eusebio regarda avec inquiétude son com
pagnon. Mais l’alferez poussant un éclat do rire s’écria:
— Les prisonniers ! Ah ! ce diable incarné est toujours plaisant. Mais
c’est vous, honnête gibier de potence, qui êtes notre prisonnier.
— Que veut diro ce fou , Joaquin? dit lo boucanier on haussant les
épaules.
— Ce fou, répliqua l’alferez avec hauteur, vous déclare qu'il parle au
nom do don Christoval de Figuera, qui vous entoure à cette heure avec
huit cinquantaines, prêt à exterminer tous vos bandits jusqu’au dernier
si vous n’acceptez pas toutes nos conditions.
Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut so reporter par l’ima
gination à cette époque, et s'identifier, pour ainsi dire, avec la terreur
que le nom seul de flibustier inspirait aux Espagnols. La plupart do ces
derniers regardaient presque les pirates comme des démons invulnéra
bles, que des talismans mettaient à l’épreueve des balles et dos coups
d’épée. L’audace de ces écumeurs de galions passait en effet les limites
du possible. La prise do Gronada et celle do Maracaïbo tenaient du fan
tastique.
Los Espagnols, en offrant à leurs ennemis surpris et qu’ils se croyaient
sûts de vaincre cette fois, des conditions jugées inacceptables, avaient
été dominés, à leur insu, par une secrète hésitation à tenter cette lutte
désespérée ; et ils pensaient que si, par un hasard inouï, les Frères do la
côte so montraient lâches, leur triomphe à eux serait bien plus complet
| en laissant quelques-uns des aventuriers survivre pour raconter ce hon-
" tetix désastre
Cette victoire accomplie sans perdre de leur côté une seule goulle do
sang devait bien mieux détruire le prestige attaché à l’héroïsme inflexi
ble de ces - ladrones.
Le Léopard fit signe à Joaquin de relever la portière de la tenta et
d’appeler ses compagnons.
Les boucaniers entrèrent silencieusement. Quand le Léopard eut vu
toutes ces figures mâles et bronzées se tourner avidement vers lui, il
demanda avec calme aux Espagnols étonnés :
— Peut-on savoir, senor alferez, quelles sont ces conditions?
L’alferez lui-même ne put maîtriser son étonnement et regarda avec
attention lo visage du boucanier avant de répondre :
— 11 faut d’abord que vous regorgiez tout le butin que vous avez volé
depuis que vous avez quitté le port de la Paix.
11 se lit un profond silence.
— Pauvre butin 1 répondit le Léopard. Nous vous le rendrons volon
tiers, car il embarrasserait notre marche.
Les boucaniers se regardèrent les uns les autres ; puis retenant leur
respiration, ils écoutèrent avec une anxiété croissante. Joaquin sentait la
rougeur do la honte lui monter au front.
— En quoi consiste ce butin ? reprit l’alferez avec un accent singulier.
— Eu cochenille, jalape, mecoacnan et en indigo, je crois, répliqua
insoucieusement le Léopard.
— Est-ce tout ? demanda l’alferez.
— C’est tout, répéta le boucanier.
— Vous montez ! dit l’Espagnol d’une voix éclatante qui ne sembla
pas inconnue à Joaquin.
— Ah ! je mens ! s’écria le Léopard en pâlissant et saisissant son fusil
d’une main tremblante tandis qu’un éclair de rage luisait dans son re
gard. Fray Eusebio reculait déjà do terreur. Mais en se retournant, lo
boucanier vit la figure impassible de son engagé. Il lâcha son arme aus
sitôt baissa les yeux, et répéta doucement avec un sourire railleur ;
— Ah ! je mens 1 Pas un homme vivant ne saurait se vanter de m’en
avoir dit autant que vous, jeune barbe!
Les Frères de la côte se regardèrent encore avec stupeur. Puis l’un
d’eux murmura :
— Le vieux Léopard raille I il s’amuse!
— Voyez connue il mord le bout do sa moustache grise, dit un autre!
Il crève de rire, le sournois, avec son air calme !
— Il médite quelque ruse diabolique.
— 11 fait patte de velours; ça ne lui arive pas souvent,
Le moine devenait de plus en plus inquiet et regardait derrière lui.
L’alfercz conservait sa physionomie hautaine. Le cerclo des boucaniers
se rétrécissait autour d’eux. Quelques couteaux de chasse sortaient à
moitié de leurs étuis de peau de crocodile. Le Léopard reprit d’un ton
presque jovial :
— Et votre seigneurie voudrait-elle m’expliquer en quoi j’ai menti?
— Dans vôtre compte, vous avez oublié les trois cents saumons, ver
tueux chef, répliqua l’alferez avec le même son de voix qui avait déjà
frappé Joaquin.
— Les saumons! s’écria le Léopard, fort surpris, en jetant un regard
perçant sur l'Espagnol. Ahl vous savez... mais que voulez-vous fairo de
trois cents saumons de plomb?
— Vous mentez encore !
Le boucanier tressaillit comme un taureau piqué dans l’arène par une
(lèche ardente.
— Je parle de trois cenis saumons d’argent, continua l’alferez.
— D’argent! répétèrent tous les aventuriers, dont la cupidité s’émut à
celte étrange nouvelle. Impossible!
— Ah ! mes braves, votre digne chef no vous avait pas parlé do cette
portion de butin et'pourtant il la connaissait bien, car je l’ai vu moi-
même rogner un do ces saumons pour s’assurer de leur valeur.
Fray Eusébio lui fit signe do se taire. Mais il n’était plus temps.
— Tu m’as vu ! cria le Léopnrtf d’une voix tonnante. Ah ! je ne me
trompais donc pas, misérable 1 C’est toi qui nous a trahis. Tu es le guide
catalan, réponds; tu es le guide !
L’alferez pâlit. Mais il répondit: — Oui!
— Eh bien! dit avec force Joaquin, tu n’es plus sous la sauve-garde
de la mission. Les traîtres sont hors le droit dos gons. Ah ! c’est toi qui
es venu le glisser parmi nous, commo un reptile rampant dans les hau
tes herbes I C’est toi qui as bu dans nos verres et chanté le cri de guerre
avec nous, et qui d’avance, en riant, au fond de ta pensée, désignais la
place du poignard sur nos poitrines, et appuyais sur nos fronts le canon
des fusils espagnols ! Tu as Vendu tes regards, tes sermens, ta conscien
ce, oh! lâcheté 1 Mais aucun do nous, que tu regardes comme des bri
gands, aucun, sais-tu bien, n’eût voulu faire ce métier infâme 1 Un es
pion! et lu as osé entrer dans l’antre du Léopard, et tu as cru que tu en
sortirais la tête haute ! Mais nous sommes maîtres de ta vie, entends-tu?
— D’un seul mot, d’un seul cri, jo puis vous fairo écraser par quatre
cents Espagnols, répliqua fièrement l’atferez.
— Oui, dit gravement Joaquin, mais auparavant justice aura été faite !
Ah ! si lu étais bravement venu suivre nos traces au périt de ta vie,
écouter lo bruit de notre marche, l’oreille collée au sol, epier l’empreinte
'de nos pas sur les feuilles humides qui tapissent les sentiers des forêts,
alors tu aurais rempli loyalement ton devoir. Mais une trahison comme
la tienne ne mérite aucune pitié. Léopard, ajouta-t-il en se tournant
brusquement vers le boucanier, qui sera l’exécuteur de cet homme?
— Personne! répondit froidement le vieux chef. Senor Alferez, les
trois cents saumons vous seront vendus. Est-ce tout?
— Mais, mon oncle, s’écria Mentbars, qui venait de se faire apporter
un de ces lingots par un engagé et de couper avec sa mancheta la cou
che de plomb : — Us sont véritablement d'argent massif!
— Je lésais, dit le Léopard.
Un murmure de surprise circula dans les rangs des boucaniers.
— Mais il faut les rendre, continua le chef.
On entendit quelques imprécations. Joaquin restait anéanti.
— Est-ce tout? demanda do nouveau le Léopard.
— Non, dit l’alferez avec un regard féroce.
— Parlez ! s’écria le vieux boucanier, dont le cœur trembla d’une in
définissable émotion. C’était pourtant un homme que l’aspect d’un abîme
s’enir’ouvratit sous ses pieds travail pas fait sourciller, et qui suspendu
un jour à la corne d’un taureau, par la manche de sa chemise do toile,
n’avait pos poussé un seul cri d’alarme.
—Vous nous rendez notre bien que nous pouvions reprendre par force,
répliqua l’alferez, cela ne nous venge pas!
— Il faut que vous soyez punis du vol ! ajouta fray Eusebio Carrai.
— Punis du vol, vous avez raison 1 balbutia le Léopard, qui sentit sa
gorge se serrer comme sous une tnaiti de fer et un brouillard s’étendre
sur ses yeux.
— Il faut que trois de vos bandits se rendent à discrétion pour être
exécutés par la horca, l’un devant les tentes anglaises au Pori-Margol,
les autros devant la hatlo de la llancheria 1 dit fray Eusebio en regar
dant fixement Joaquin.
Ici les Frères de la côte poussèrent un éclat de rire formidable. La
proposition du moine leur parut bouffonne. Le Léopard laissa tomber sa
tête dans ses main ; glacée;; mais l’engagé se penchant à son oreille lui
dit quelques mots. Aussitôt il releva son visage, où se peignait l’acca
blement, et ordonna le silence d’un geste absolu.
— Me laissez-vous le droit de choisir les victimes? dit-il à l’alferez
avec attxiéjé.
— Oui.
Les aventuriers ne comprirent pas losens de cette question.
— Alors la condition est acceptée, reprit lo Léopard. Vous pouvez l’an
noncer à don Christoval de F ignora, senor I
Cette fois les boucaniers avaient trop bien compris, quelle que fût leur
confiance dans le chef héroïque qu’ils setaient donné. Ils restaient con
fondus, terrifiés, mais silencieux. Enfin l’un d’eux, Grammont, prononça
ce seul mot : Traydor!
Le Léopard lui dit froidement :
— Sortez des rangs, Grammont. Jo vous pardonne l’insulte pour mon
compte. Mais elle mérite la mort. Vous serez livré. Une mort honorable,
Grantmenl. Vous montrez pour vos frères!
Grammont croisa ses bras sur sa poitrine d'un air sombre et s’avança
près des Espagnols, sans prononcer une parole. Mais un autre aventu
rier, le fameux Michel le basque, emporté par sa fougue méridionale
Vent-en-Panne demeura morne, accablé, immobile, les regardant s’é
loigner; mais il tressaillit tout-à-coup en entendant une voix prononcer
tout bas son nom derrière lui. lise retourna : c’était Joaquin, qui lui dit
brièvement :
— Ce soir, à la nuit tombante, nous partirons ensemble, si tu veux,
et quand nous les renconlrerons à moitié route ils ne pourront plus nous
renvoyer.
Pendant les deux premières journées do marche, les boucaniers ne
virent pas un ennemi dans les solitudes qu’ils traversèrent ; mais vers la
fin do la troisième, Michol-lo-Basque aperçut une légère- fumée qui s’é
levait au milieu d’un petit bois de palmistes épinés. Le guide demanda
la permission d’aller à la découverte. Le Léopard refusa et se glissa lui-
môme dans le bois avec Grammont; mais quelle fut leur surprise, quand
ils furent à portée de vue, de reconnaître Joaquin Montbars et Vent-
en-Panne qui soupaient tranquillement d’un quartier de sanglier fumé,
et qui, sans bouger, sans échanger un regard entre eux, sentant par ins
tinct le poids des regards qui les observaient et l’inquiétude d’un péril
quelconque, saisirent nonchalamment leurs fusils, placés devant eux,
comme par un mouvement de distraction, sans but, et les armèrent le
plus doucement possible.
Mais le vieux chef cria aussitôt : Léopard! et s’avança vers eux avec
Grammont. Joaquin l’attendit en baissant les yeux.
— Malheureux enfant, tu es donc fou, lui dit le boucanier avec un ac
cent plus tendre que courroucé. Est-ce ainsi que tu apprends à obéir!
Tu mériterais d’èlre renvoyé à l’instant au Port de la Paix, mais le dan
ger serait encore plus grand que celui de venir avec nous.
—- Mais, s’écria Grammont, voyez donc cette cargaison de ballots et de
tonneaux, Léopard!
En effet, une pile de ballots était entassée sous les palmistes avec trois
ou quatre barils cerclés de fer.
— Vous vdyez que je n’ai pas perdu mon temps en route, mon oncle,
répondit Joaquin avec un sourire caressant. Nous avons trouvé cette
pacotille abandonnée à la garde de quelques lanceros qui ont voulu faire
les médians avec nous, et ma foi nous les avons mis en déroule, et les
ballots nous sont restés.
— Bien travaillé! dit Grammont.
Le léopard fronça le sourcil.
— Imprudent 1 "répliqua-t-il, tu triomphes d’une folie qui va attirer
sur notre troupe la surveillance des Espagnols et perdre peul-ôtre notre
expédition.
Puis il ordonna qu’on fit halte dans cet endroit, et pendant lo repas il
alla visiter, accompagné seulement deson engage, la prise de Joaquin,
afin de reudro un compte exact, suivant l’usage, lors du partage général.
Elle consistait en cochenille, indigo, jalape, mccoachan et salsepareille.
Tout à coup l’engagé, qui examinait lo contenu d’un des tonneaux,
s’écria :
— Maîlro, voici quelque chose de plus lourd qu’il importo do vérifier.
Il renversa le tonneau et fit tomber à torro quelques saumons (lingots
de plomb.)
—- C’est étrange ! dit le Léopard.
Et tirant un do ses couteaux de chasse , il se mit 5 couper lo lingot.
Sous la croûte du plomb , il vit bientôt briller une couche d’argent mas-
— Joaquin a débuté par une magnifique prise, reprit-il. Ces tonneaux
contiennent bien trois cents saumons d’argent environ. Mais n'en parlons
pas à nos compagnons. L'inquiétude de perdre ce riche butin lour ôte
rait le courage d’aller en avant.
Au même instant, il prêta l’orcillo , croyant entendre un pas léger
bruire près d’eux ; il crut même voir étinceler dans le feuillage deux
yeux fixés sur lui. Mais dans le mouvement qu’il fit pour s’élancer , ses
pieds s’embarrassèrent à des lianes pendantes. 11 tomba , et quand il se
releva tout était tranquille autour d’eux.
— Je crois avoir reconnu le regard de notre guide catalan, dit le bou-
cannier.
Bah ! vous êtes trop défiant, reprit l’engagé. Pour moi, je n’ai rien
vu m rien entendu. Mais je crois qu'il est temps d’aller souper, et c’est
a quoi le guide pense lui-même beaucoup plus qu’à nous épier; car je
l’aperçois là bas qui vide une outre avec beaucoup do«dexlérité.
Le Léopard secoua la tûte d’un air de doute, mais ne répliqua rien.
Le jour suivant, nos aventuriers curent à traverser une rivière dont le
courant était assez fort. Le guide déclara qu’il connaissait un gué et de
manda à aller à la découverte. Le chef y consentit quand l’engagé lui eut
dit a voix basse : En lui donnant deux gardiens robustes et bons nageurs,
que risquez-vous ?
On confia le soin de le surveiller à Joaquin et à Michel-le-Basque. Mais
une fois au milieu du courant, les deux aventuriers se sentirent soudai
nement le cou serré par un poignet de fer, et pendant qu’ils se débat
taient, le guide plongea et disparut. Ce fut en vain que toute la troupe
s eparpilla le long de la rivière, et que Joaquin et Michel fouillèrent la
rive opposée : on ne put lo retrouver.
Cet événement commença à inspirer quelques appréhensions. Mais ce
‘ut bien autre chose quand, après deux autres journées de marche, nos
aventuriers se trouvèrent égarés dans une savane d’une prodigieuse
étendue. Déjà l’azur du ciel commençait à prendre une teinte plus som
bre; pourtant l’immense savane était encore éclairée par cette frange
d’or et de pourpre qui étincelait à l’horizon. Pas un flocon de nuage ne
pommelait la tenture bleuo dn firmament ; la plaine, échauffée tout le
jour par le soleil ardent, frémissaii du bourdonnement des insertes. Les
boucaniers, épuisés de fatigue, cherchant en vain un filet d’eau perdu
sous lo sable, une citerne à demie tarie, un bouquet d’arbres qui étendit
sur leurs tôles son parasol de feuillage , commençaient à sentir leurs
^'ijblouis par les fascinations du mirage. Ils croyaient voir au loin
mais nî .^.S'nnds lacs, reluisant au soleil comme des miroirs d’acier ;
Ip.ir- r, 1 s fiançaient d’un pas rapide, plus les lacs fuyaient devant
p . ,f res altérées et allaient creuser au loin leurs lits fantastiques.
J uis cotaient des mornes qui semblaient vouloir escalader le ciel et l'en
trouvrir de la pointe do louis crêtes sauvages; mais ces masses gigan
tesques ne lardaient pus à s’évaporer comme un essaim do vapeurs. Enfin
quelquefois un boucanier pous ait un cri de joie; il venait de découvrir
une ville; il distinguait k flèche élancée do l’église, les remparts, les
losses, les terrasses, des maisons embaumées par les orangers; mais
bientôt la flèche s’affilait au point de devenir imperceptible, les terrasses
s abaissaienl, les remparts croulaient et le sable finissait toujours par
combler les fossés. Le flair des chiens était perdu comme l’expérience
do leurs maîtres était inutile; car lu sable,ainsi que le flot de la mer, ne
garde aucuno trace? un souffle do vent y balaie l’empreinto d’une ar-
méo.
Lu découragement troublait pou à peu les cœurs do nos braves com
pagnons. Ils eussent aimé à renconier des ennemis, mais que pouvait
1° courage contre cet océan de sable qui tourbillonnait autour d’eux, qui
a chaque instant se creusait devant leurs pas en sépulcres béans. Pen
dant celle marche terrible ce guide ou plutôt cet espion qui les a trahis,
assemble peut-être dos bandes d’Espagnols. Eh bien 1 ils aimeraient
mieux
ce ciel
(x voir apparaître une armée entière d’ennemis que de contempler
oelln » lout a * a ^°' s «»ag ,l,[ iqn e et sinistre. De tous leurs vœux ils ap-
leur, ; d ( JS nua g es >, uno tempête, un ouragan ; mais Dieu est sourd à
sucpfJKs cre P usc . u , ro P an d son ombre et les étoiles s’allument
, Etifl V i C ' nBnt comme des lustres do fête, à la voûte céleste,
les ri" boucaniers dressent leurs tentes, d’après l’ordre du Léopard.
Dcndantn S , so C0ll chent halelans sur lo seuil et s’endorment, la langue
avoir nlaoA i musea " creusant lo sable. Le vieux chef se retire, apres
oui s'assoit sentinelles dont les yeux no lardent pas à se fermer et
lence 1 sont d’un sommeil tebrile. Le désert tout entier fait si-
rier 1 TJn »! ( , lu Léopard se promènent lentement ce brave aventu-
tent Déridant H ; c "S a Sé- Mais tous deux ont quitté le rôle qu’ils affec-
lAlnl anslak rn J ,?i U î" é °; lo vieillard a le Iront découvert devant le ma-
Nnnfn’ n inn dl , 1 "’une voix tremblante :
P. lus do provisions. Encore un jour do marcho inutile
et nous sommes perdue Er j 0 n > auraipas tenu parole.
— Lct l'itarno <..italun nous a trahis. Ce n’est pas votre faute, mon
vieux Léopard. Qui peut vous accuser? C’est ma folle confiance...
— J ai eu tort, répondit sourdement le boucanier. Je devais vous résis
ter ; je devais mieux le surveiller. J’ai été faible et crédule. Je suis un
homme déshonoré.
— Calmez-vous I dit l’engagé. Demain pout-ôtre nous parviendrons à
sorlir de cette savane.
— Jamais peut-être ! murmura le Léopard. Mais qui vient? s’écrie-t-il
en entendant le sable crier sous des pas précipités.
La portière de la tente se relève et Joaquin entre brusquement en di
sant :
— Alerte! mon oncle, nous avons été vendus. Nous sommes cernés
par une cinquantaine.
— AhI s’écrie le vieux boucanier on relevant fièrement sa tête basa
née, voici donc les ennemis! Si nous devons mourir, ce sera sur des ca
davres espagnols, sur un sable rougi de leur sang. Nous mourrons bra
vement, en gens de cœur, et non en chiens malades. A moi, ma bonne
arme, ajouta-t-il en serrant son fusil dans ses mains; tu rendras encore
un dernier service à ton maître. Tu ne te rouilleras pas enterrée dans le
désert.
Joaquin fut ému on voyant l’enthousiasme juvénile du Léopard. Mais
le calme insouciant de l’engagé dont le regard était resté muet, qui n’a
vait pas fait un geste ni prononcé une parole, l’indigna. U allait lui
adresser quelque sanglant reproche, quand cet homme singulier, se tour
nant du côté du boucanier, qui venait de faire deux pas vers l’entrée do
la tente, lui dit simplement :
— Iicmcmbcr 1 souviens-toi.
Jamais un changement si prompt ne s’opéra au coup de baguette d’une
fée. L’ardeur du chef s’éteignit soudainement; les rides de son front se
creusèrent en plis plus profonds, et Joaquin crut voir pâlir ses joues
cuivrées. Ses lèvres remueront, et, à coup sûr, si la source des larmes
n'eût pas été tarie sous ses paupières brûlées, il eût pleuré. Tout son
corps trembla comme la feuille ; puis, poussant du pied avec humeur son
fusil dans un coin, il dit froidement à Joaquin.
— Fais mettre le campement en défenso, et d’abord envoie demander
aux Espagnols ce qu’ils nous veulent.
Joaquin tomba de son haut en entendant la réponse du Léopard.
Quello magie secrète renfermait donc cette parole qui avait si subite
ment refroidi le courage de son oncle? Quelle inflence mystérieuse pou
vait courber sous son joug cet hôte indépendant des forêts? 11 no put
s’empêcher, dans son premier mouvement de surprise de s’écrier :
— Ce qu’ils nous veulent ! mais avons-nous jamais eu besoin de le
leur demander? Et eux, no savent-ils pas que notre but est de délivrer de
leur tyrannie les pauvres Indiens et de les débarrasser de leurs trésors
volés!
Mais son oncle l’interrompit par un regard impérieux et sévère :
—Nous sommes dans un guêpier, répliqua-t-il ; le guide catalan nous
a trahis. Combien sont-ils, ces hidalgos do chasse ? Une cinquantaine
pour commencer le fondango 1 mais toutes so tiennent par la manche, et
une fois la danse en troin, nous aurons une armée sur le dos.
— Qu'importe lo nombre! s’écria impétueusement Joaquin Montbars.
Nous pouvons mourir, comme vous le disiez vous-même tout à l’heure,
mon oncle.
— Nous ne pouvons pas mourir, dit sôchemont la boucanier.
— La pour a-t-elle jamais compté dans ves calculs, mon oncle?
— Est-ce ainsi que vous parlez au Léopard, s’écria d’uno voix farou
che le vieux chef, dont les dents se contractèrent avec force. Croyez-
vous que l’Age ait glacé lo sang dans mes veines et que j’aie besoin de
vos leçons, jeune homme! Obéissez, vous dis-je!
Joaquin ne bougea pas.
Le Léopard, qui sentait la colore monter à son cœur, s’efforça de con
tinuer doucement :
— Vous vous fiez beaucoup à ce que vous ôtes le fils do mon frère,
monsieur! Mais nos règlemens me donnent lo droit de châtier la déso
béissance, ne l’oubliez pas! Vous dois-je donc compte do ma conduite, et
preniez-vous votre oncle pour un lâche quand il força don Ramon Car
rai à s’agenouiller devant vous?
Ce souvenir émut Joaquin , et il s’inclina en murmurant : —J’ai eu
tort, mon oncle I
— Les balles des Espagnols, reprit le boucanier en tirant familière
ment la moustache de son neveu, peuvent siffler tant qu’elle voudront
à mes oreilles, sans faire remuer un poil sur ma figure tannée ; mais au
jourd'hui.... il faut bien rassurer cet enfant, dit-il en regardant l’en
gagé. C’est un entêté, comme vous voyez, mais un coeur de fer dans le
péril I
L’engagé s’inclina en souriant.
— Vois-tu, Joaquin, continua le Léopard, les Espagnols nous ont ten
du ce piège dans un but facile à comprendre. Us veulent nous faire tous
prisonniers pour prouver aux Anglais qu’ils ne doivent plus conser
ver aucun espoir d’être dégagés par les Frères de la Côte. Si nous nous
faisons tuer ou si nous nous rendons, c’est manquer également à notre
mission !
— Lo croyez vous en effet, mon oncle?
— Oui, mon enfant. Je pense donc qu’il vaut mieux parlementer et
user do ruse pour leur échapper. Si, en leur rendant lo butin et en leur
faisant craindre un effort désespéré, nous obtenons des conditions hono
rables...
— Honorables 1... une retraite ! dit amèrement Joaquin.
— Maintenant, monsieur, voulez-vous obéir à votre chef? interrompit
le boucannior.
Joaquin so retira en hésitant. Le léopard et l’engagé se regardèrent.
Ce dernier tendit la main avec émotion au prudent aventurier :
— Mon vieil ami, lui dit-il, faites tous les sacrifices possibles pour
éviter le combat! mais s’il fallait pourtant en venir à cette exlrémilé, ma
main connaît le poids d’uno épée, et vous me trouverez toujours à côté
de vous !
— J’espôro que nous n’en serons pas réduits là, répondit le bouca
nier. Mais j’entends le refrain guerrier do nos frères. Asseyons-nous ot
restons aussi calmes que si nous assistions au grand conseil, au port de
la Paix !
Il alluma son cigarrc à celui do l’engagé, et tous deux s’accroupirent
sur les nattes , avec la gravité d’un pacha entouré de sa cour, de son
bourreau et de son tigre favori.
Peu après Joaquin Montbars entra dans la tenle, précédant un alferez
(enseigne) et notre ancienne connaissance fray Eusebio Carrai. Le pre
mier avait la main sur la garde de son épée, et le second sur les grains
d’ébène de son chapelet. Tous deux portaient la tête haute.
Lo boucanier regarda les envoyés avec indifférence , et entre deux
bouffées de tabac demanda laconiquement à Joaquin :
— Pourquoi amenez-vous ici ces prisonniers, monsieur ?
A ce début singulier, fray Eusebio regarda avec inquiétude son com
pagnon. Mais l’alferez poussant un éclat do rire s’écria:
— Les prisonniers ! Ah ! ce diable incarné est toujours plaisant. Mais
c’est vous, honnête gibier de potence, qui êtes notre prisonnier.
— Que veut diro ce fou , Joaquin? dit lo boucanier on haussant les
épaules.
— Ce fou, répliqua l’alferez avec hauteur, vous déclare qu'il parle au
nom do don Christoval de Figuera, qui vous entoure à cette heure avec
huit cinquantaines, prêt à exterminer tous vos bandits jusqu’au dernier
si vous n’acceptez pas toutes nos conditions.
Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut so reporter par l’ima
gination à cette époque, et s'identifier, pour ainsi dire, avec la terreur
que le nom seul de flibustier inspirait aux Espagnols. La plupart do ces
derniers regardaient presque les pirates comme des démons invulnéra
bles, que des talismans mettaient à l’épreueve des balles et dos coups
d’épée. L’audace de ces écumeurs de galions passait en effet les limites
du possible. La prise do Gronada et celle do Maracaïbo tenaient du fan
tastique.
Los Espagnols, en offrant à leurs ennemis surpris et qu’ils se croyaient
sûts de vaincre cette fois, des conditions jugées inacceptables, avaient
été dominés, à leur insu, par une secrète hésitation à tenter cette lutte
désespérée ; et ils pensaient que si, par un hasard inouï, les Frères do la
côte so montraient lâches, leur triomphe à eux serait bien plus complet
| en laissant quelques-uns des aventuriers survivre pour raconter ce hon-
" tetix désastre
Cette victoire accomplie sans perdre de leur côté une seule goulle do
sang devait bien mieux détruire le prestige attaché à l’héroïsme inflexi
ble de ces - ladrones.
Le Léopard fit signe à Joaquin de relever la portière de la tenta et
d’appeler ses compagnons.
Les boucaniers entrèrent silencieusement. Quand le Léopard eut vu
toutes ces figures mâles et bronzées se tourner avidement vers lui, il
demanda avec calme aux Espagnols étonnés :
— Peut-on savoir, senor alferez, quelles sont ces conditions?
L’alferez lui-même ne put maîtriser son étonnement et regarda avec
attention lo visage du boucanier avant de répondre :
— 11 faut d’abord que vous regorgiez tout le butin que vous avez volé
depuis que vous avez quitté le port de la Paix.
11 se lit un profond silence.
— Pauvre butin 1 répondit le Léopard. Nous vous le rendrons volon
tiers, car il embarrasserait notre marche.
Les boucaniers se regardèrent les uns les autres ; puis retenant leur
respiration, ils écoutèrent avec une anxiété croissante. Joaquin sentait la
rougeur do la honte lui monter au front.
— En quoi consiste ce butin ? reprit l’alferez avec un accent singulier.
— Eu cochenille, jalape, mecoacnan et en indigo, je crois, répliqua
insoucieusement le Léopard.
— Est-ce tout ? demanda l’alferez.
— C’est tout, répéta le boucanier.
— Vous montez ! dit l’Espagnol d’une voix éclatante qui ne sembla
pas inconnue à Joaquin.
— Ah ! je mens ! s’écria le Léopard en pâlissant et saisissant son fusil
d’une main tremblante tandis qu’un éclair de rage luisait dans son re
gard. Fray Eusebio reculait déjà do terreur. Mais en se retournant, lo
boucanier vit la figure impassible de son engagé. Il lâcha son arme aus
sitôt baissa les yeux, et répéta doucement avec un sourire railleur ;
— Ah ! je mens 1 Pas un homme vivant ne saurait se vanter de m’en
avoir dit autant que vous, jeune barbe!
Les Frères de la côte se regardèrent encore avec stupeur. Puis l’un
d’eux murmura :
— Le vieux Léopard raille I il s’amuse!
— Voyez connue il mord le bout do sa moustache grise, dit un autre!
Il crève de rire, le sournois, avec son air calme !
— Il médite quelque ruse diabolique.
— 11 fait patte de velours; ça ne lui arive pas souvent,
Le moine devenait de plus en plus inquiet et regardait derrière lui.
L’alfercz conservait sa physionomie hautaine. Le cerclo des boucaniers
se rétrécissait autour d’eux. Quelques couteaux de chasse sortaient à
moitié de leurs étuis de peau de crocodile. Le Léopard reprit d’un ton
presque jovial :
— Et votre seigneurie voudrait-elle m’expliquer en quoi j’ai menti?
— Dans vôtre compte, vous avez oublié les trois cents saumons, ver
tueux chef, répliqua l’alferez avec le même son de voix qui avait déjà
frappé Joaquin.
— Les saumons! s’écria le Léopard, fort surpris, en jetant un regard
perçant sur l'Espagnol. Ahl vous savez... mais que voulez-vous fairo de
trois cents saumons de plomb?
— Vous mentez encore !
Le boucanier tressaillit comme un taureau piqué dans l’arène par une
(lèche ardente.
— Je parle de trois cenis saumons d’argent, continua l’alferez.
— D’argent! répétèrent tous les aventuriers, dont la cupidité s’émut à
celte étrange nouvelle. Impossible!
— Ah ! mes braves, votre digne chef no vous avait pas parlé do cette
portion de butin et'pourtant il la connaissait bien, car je l’ai vu moi-
même rogner un do ces saumons pour s’assurer de leur valeur.
Fray Eusébio lui fit signe do se taire. Mais il n’était plus temps.
— Tu m’as vu ! cria le Léopnrtf d’une voix tonnante. Ah ! je ne me
trompais donc pas, misérable 1 C’est toi qui nous a trahis. Tu es le guide
catalan, réponds; tu es le guide !
L’alferez pâlit. Mais il répondit: — Oui!
— Eh bien! dit avec force Joaquin, tu n’es plus sous la sauve-garde
de la mission. Les traîtres sont hors le droit dos gons. Ah ! c’est toi qui
es venu le glisser parmi nous, commo un reptile rampant dans les hau
tes herbes I C’est toi qui as bu dans nos verres et chanté le cri de guerre
avec nous, et qui d’avance, en riant, au fond de ta pensée, désignais la
place du poignard sur nos poitrines, et appuyais sur nos fronts le canon
des fusils espagnols ! Tu as Vendu tes regards, tes sermens, ta conscien
ce, oh! lâcheté 1 Mais aucun do nous, que tu regardes comme des bri
gands, aucun, sais-tu bien, n’eût voulu faire ce métier infâme 1 Un es
pion! et lu as osé entrer dans l’antre du Léopard, et tu as cru que tu en
sortirais la tête haute ! Mais nous sommes maîtres de ta vie, entends-tu?
— D’un seul mot, d’un seul cri, jo puis vous fairo écraser par quatre
cents Espagnols, répliqua fièrement l’atferez.
— Oui, dit gravement Joaquin, mais auparavant justice aura été faite !
Ah ! si lu étais bravement venu suivre nos traces au périt de ta vie,
écouter lo bruit de notre marche, l’oreille collée au sol, epier l’empreinte
'de nos pas sur les feuilles humides qui tapissent les sentiers des forêts,
alors tu aurais rempli loyalement ton devoir. Mais une trahison comme
la tienne ne mérite aucune pitié. Léopard, ajouta-t-il en se tournant
brusquement vers le boucanier, qui sera l’exécuteur de cet homme?
— Personne! répondit froidement le vieux chef. Senor Alferez, les
trois cents saumons vous seront vendus. Est-ce tout?
— Mais, mon oncle, s’écria Mentbars, qui venait de se faire apporter
un de ces lingots par un engagé et de couper avec sa mancheta la cou
che de plomb : — Us sont véritablement d'argent massif!
— Je lésais, dit le Léopard.
Un murmure de surprise circula dans les rangs des boucaniers.
— Mais il faut les rendre, continua le chef.
On entendit quelques imprécations. Joaquin restait anéanti.
— Est-ce tout? demanda do nouveau le Léopard.
— Non, dit l’alferez avec un regard féroce.
— Parlez ! s’écria le vieux boucanier, dont le cœur trembla d’une in
définissable émotion. C’était pourtant un homme que l’aspect d’un abîme
s’enir’ouvratit sous ses pieds travail pas fait sourciller, et qui suspendu
un jour à la corne d’un taureau, par la manche de sa chemise do toile,
n’avait pos poussé un seul cri d’alarme.
—Vous nous rendez notre bien que nous pouvions reprendre par force,
répliqua l’alferez, cela ne nous venge pas!
— Il faut que vous soyez punis du vol ! ajouta fray Eusebio Carrai.
— Punis du vol, vous avez raison 1 balbutia le Léopard, qui sentit sa
gorge se serrer comme sous une tnaiti de fer et un brouillard s’étendre
sur ses yeux.
— Il faut que trois de vos bandits se rendent à discrétion pour être
exécutés par la horca, l’un devant les tentes anglaises au Pori-Margol,
les autros devant la hatlo de la llancheria 1 dit fray Eusebio en regar
dant fixement Joaquin.
Ici les Frères de la côte poussèrent un éclat de rire formidable. La
proposition du moine leur parut bouffonne. Le Léopard laissa tomber sa
tête dans ses main ; glacée;; mais l’engagé se penchant à son oreille lui
dit quelques mots. Aussitôt il releva son visage, où se peignait l’acca
blement, et ordonna le silence d’un geste absolu.
— Me laissez-vous le droit de choisir les victimes? dit-il à l’alferez
avec attxiéjé.
— Oui.
Les aventuriers ne comprirent pas losens de cette question.
— Alors la condition est acceptée, reprit lo Léopard. Vous pouvez l’an
noncer à don Christoval de F ignora, senor I
Cette fois les boucaniers avaient trop bien compris, quelle que fût leur
confiance dans le chef héroïque qu’ils setaient donné. Ils restaient con
fondus, terrifiés, mais silencieux. Enfin l’un d’eux, Grammont, prononça
ce seul mot : Traydor!
Le Léopard lui dit froidement :
— Sortez des rangs, Grammont. Jo vous pardonne l’insulte pour mon
compte. Mais elle mérite la mort. Vous serez livré. Une mort honorable,
Grantmenl. Vous montrez pour vos frères!
Grammont croisa ses bras sur sa poitrine d'un air sombre et s’avança
près des Espagnols, sans prononcer une parole. Mais un autre aventu
rier, le fameux Michel le basque, emporté par sa fougue méridionale
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