Titre : Revue du Havre et de la Seine-Inférieure : marine, commerce, agriculture, horticulture, histoire, sciences, littérature, beaux-arts, voyages, mémoires, mœurs, romans, nouvelles, feuilletons, tribunaux, théâtres, modes
Éditeur : [s.n.] (Havre)
Date d'édition : 1846-10-11
Contributeur : Morlent, Joseph (1793-1861). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859149v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 11 octobre 1846 11 octobre 1846
Description : 1846/10/11. 1846/10/11.
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : Fonds régional :... Collection numérique : Fonds régional : Haute-Normandie
Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k923472j
Source : Bibliothèque municipale du Havre, Y2-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/05/2014
LA QUSQUE1VGR0GAE.
FIN.
— Il y a un peu plus de deux mois, dit le Prévôt, à cette même place
où nous sommes, un duel eut liou entre le capitaine Clément et le fiancé
de Raoulelte do Bizien. Le sort-fut contraire au fils du gouverneur, qui
tomba, percé par le poignard quo voici; puis son corps fut lancé du haut
de la plate-forme dans la mer. Croyez-vous maintenant, madame la
princesse, que Clément de Charolles revienne de l’autre monde pour en
lever traitrousemeni la fille de celui qu’il a fait massacrer?
Renée frissonnait en écoutant le récit de cette scène horrible.
— C’est étrange, dit-elle; le capitaine Clément a survécujcependant à
moins que cette lettre qu’il a écrite ne soit antérieure Mais non...
c’est étrange... étrange!.... lit quel est donc, continua-t-elle, ce fiancé
pour lequel mademoiselle de Bizien s’est dévouée si héroïquement?
Quel était donc le second acteur dans ce combat dont vous mo parliez .
—JjLe fiancé de Raoulelte, le vainqueur du capitaine de Charolles....
c’est mo ; , madame.
— Vous!
Il y avait dans cette exclamation "de l’étonnement, du désespoir, de
la colère, de l’indignation, de l’orgueil ; pourtant ce fut l’orgueil qui pa
rut avoir reçu la plus cuisante blessure, car Renée ajouta , en accompa
gnant sa parole d’un regard plein de hauteur :
— Par le vrai Dieu! monsieur , je lie sais si vous avez montré un
grand courage dans cet affreux duel , dont vous auriez pu m’épargner
le récit, mais à coup sûr vous en avez manqué en laissant peser sur une
jeune fille innocente la responsabilité d’un meurtre.
— Avez-vous de moi une telle opinion, madame? Ai-je Besoin de vous
dire que j’ignorais le dévoûment do mademoiselle do Bizien, dévoûment,
inutile, puisque je n’ai jamais songé h faire un mystère de la peine quo
j’ai infligée à un infâme ravisseur.
— Au fait, monsieur, interrompit la princesse toujours sous l’impres
sion des sentimens confus qui l’agitaient. Est-ce pour réclamer votrefian-
cée, que vous m’avez amenée ici?
Le vicomte de Frapesles lisait trop clairement dans le cœur de Renée
pour 11e pas lui pardonner l’injure qu’elle lui faisait en changeant brus
quement de ton et do langage; aussi no se vengea-l-il qu’en paraissant
ne pas voir son irritation ét eu conservant vis-à-vis d’elle les formes les
plus douces et les plus calmes. •*»
— Madame la princesse, lui dit-il, mademoiselle do Bizien m’a prié do
vous présenter on son nom une requête, et j’ai cru pouvoir m’engager à
la lui faire obtenir.
— Peut-être avez-vous trop présumé de mes bonnes dispositions pour
vous, monsieur. Voyons cette requête.
— Ma fiancée a voulu que les engagemens qui avaient existé entre
nous fussent rompus , et so regardant comme dépendante do vous, elle
vous supplie de l’autoriser à prendre le voile au couvent des tilles de l’A
doration perpétuelle.
— Vraiment 1 s’écria la princesse, Mlle do Bizien vous a témoigné de
telles intentions? Mais s’il en est ainsi, mon cousin, continua-t-elle en
reprenant tout-à-coup ses manières affectueuses envers Yorik, et si vous-
même ne vous opposez pas à cette détermination, j’y donne do grand
cœur mon assentiment. Venez, mon cousin, cette jeune tille m’intéresse
plus que je ne saurais vous le dire; je veux l’interroger» je la conduirai
moi-même dans la sainlo maison où elle veut se réfugier. Venez.
Et s’appuyant avec abandon sur le bras d’Yorik, Renée disparut dans
la cage tortueuso do l’escalier.
Quand ils eurent descendu quelques marches, ils trouvèrent sur le
seuil d’une porte percée dans la profondeur de la muraille une femme
de haute stature, et qui semblait s’être postée là pour les guetter au pas
sage.
A cette rencontre inattendue, la princesse fit un mouvement involon
taire de surprise et d’effroi, et tous deux s’arrêtèrent.
— Voyez donc, mon cousin, dit-elle, voyez donc cette grande ombre...
Est-ce une fornmo?Esl-co uno statue?
— C’est la baronne do Kcrloguen, répondit Yorik.
— Cette pauvre femme dont la reine Anne, ma mère, ma parlé quel
quefois? demanda la princesse.
— C’est en effet à la reine Anne qü’ello doit le privilège d’habiter la
Quiquengrogno.
— Mais on dit qu’elle est folle cette malheureuse créature, ajouta Re
née avec compassion.
— Il en est qui la croient en communication avec les êtres surnaturels
et qui lui attribuent lo don de lire dans le passé et dans l’avenir.
C’est elle qui m’a appris ce quo je vous ai dit de ma naissance. Voulez-
vous la voir, lui parler?
— Volontiers, mon cousin. Celte femme connaît sans doute l’astro
logie; et s’il en est ainsi, rien n’est caché pour elle, il faut croire à ses
prédictions ; ce n’est pas de la sorcellerie, comme disent les ignorans,
c’est do la science.
Après avoir échangé ces paroles rapidement et à voix basse, ils conti
nuèrent de descendre et arrivèrent auprès de la vieille Berthe, toujours
immobile, la lôto inclinée par ses réflexions.
— Berthe de Kerloguen, lui dit Yorik, Mme la princesse Renée vous
fait l’honneur de vous visiter dans votre demeure.
— Que la tille do la rcino Anna soit la bienvenue, répondit Berthe en
s’agenouillant devant la princesse, je l’attendais. Entrez, mes nobles en-
ans; j’ai do grandes choses à vous annoncer.
XIV-
Sur Sa reine Jeanne.
Les historiens no commencent à s’occuper sérieusement do la prin
cesse Renée de France, qu’à l’époquo des guerres de religion, auxquelles
son nom so trouve associé d’une manière remarquable, à cause de ses
tendances prononcées pour le luthéranisme. Quant à ce qui précède son
mariage avec le duc de Ferrare, il en est à peine fait mention, et nous
savons seulement par un de ses biographes qu’elle passa en Bretagne
une grande partie de l’année 1519, pour se soustraire à la tyrannie do
mestique do madame la régente, qui la traitait en véritable marâtre.
Mais si l’histoire a des limites qu’elle 110 doit pas franchir, si sa mis
sion consiste à grouper avec ordre les faits généraux qui se rattachent à
l’ensemble des systèmes politiques, le romancier n’est pas obligé à lant
do réserve, et c’est en mettant à profit les lacunes forccos do l'historien,
qu’il parvient à donner aux personnages qu’il lui emprunte la physiono
mie qui leur est propre, et à mettre en lumière les événemens intimes
qui ont lo plus souvent déterminé ceux appartenant aux écrivains d’un
ordro plus sérieux.
Nous plaçons ici ces réflexions pour ceux de nos lecteurs qui pour
raient s’étonner de l’importance quo nous donnons à une période de
l’existence de la princesse Renée, que les historiens indiquent a poine.
Quatre mois s’étaient écoulés depuis que Renée avait quitté Blois, et,
à l’exception d’un voyage à Rennes, elle avait passé tout ce temps au
château de Saint-Malo. Instruite par M. le vicomte do Frapesles des pro
jets formés par la noblesse de Bretagne, elle s’était fait expliquer l’orga
nisation do la ligue dos barons , et avait voulu connaître en détail les
ressources dont ils pouvaient disposer; après avoir reconnu quo toutes
les circonstances se réunissaient pour lavoriser leur entreprise, elle
s’était engagée à accepter la couronne qu’on lui offrait, exigeant toute
fois quo l’on attendît, pour proclamer l’indépendance du duché, que la
guerre eût éclaté entre la France et l’Espagne, ce qui no pouvait pas tar
der d’arriver.
A la cour on recevait fréquemment des messages de la princesse an
nonçant qu’ello avait bon espoir do réussir dans la mission dont on l’avait
chargée, et qu’il n’y avait pas à craindre lo moindre soulèvement en
Bretagne tant qu’elle resterait dans cette province; do sorte qu’on était
loin de se douter dos intrigues qui so tramaient contre la couroune, et
encore moins qu’.une fille do France y prit part.
Cependant, sans avoir précisément des soupçons contre Renée , mais
avertie seulement par les instincts de la haine, Louise de Savoie avait,
à l’insu du roi, envoyé à Saint-Malo un espion chargé do surveiller toutes
les actions de l’ambassadrice, de tenir note de chacune do ses dé
marches, do rendre un compte détaillé du nom et des personnes qui
Du reste, les préoccupations politiques ne tenaient, pour le moment,
qu’une place secondaire dans l’esprit de Renée, et si son désir de régner
sur la Bretagne était grand, plus grand encore était l’attachement sin
gulier qu’elle éprouvait pour lo vicomte de Frapesles, attachement qui
n’avait fait que grandir depuis leur première entrevue.
La présence d’Yorik était devenue pour elle un besoin ; il fallait qu’elle
le vît chaque jour. Elle se plaisait à l’entendre faire le récit do ses fabu
leux voyages, à s’entretenir avec lui des sciences qui leur étaient fami
lières à eux d’eux, à interroger ses souvenirs do jeunesse, à lui parler
des modifications profondes qu’un dominicain de l’Allemagne faisait su
bir à l’église romaine, et vers lesquelles elle se sentait d’autant plus por
tée, qu’elle se souvenait des mille tracasseries suscitées naguère au roi
son père par les papes. Les mérites de la réformalion, soutenus par elle
et combattus par Yorik, qui comprenait trop combien l’unité est chose
essentielle à la stabilité des institutions, pour approuver les dissidences
fâcheuses qui se manifestaient dans la chrétienté, donnaient lieu à do
véritables disputes théologiques et politiques pendant lesquelles toute
différence de rang disparaissait entre les deux joûteurs, sans pour cela
refroidir la sympathie qui les unissait.
avaient accès près d’elle. Mais il semblait qu’en entrant dans une cons
piration, la jeune princesse eût acquis tout-à-coup une prudence con
sommée, et qu’elle pressentît la surveillance occulte dont elle était l’ob
jet; car les barons, sur lesquels la cour do France pouvait concevoir
quelques doutes, furent invités à ne pas venir au château do Saint-Malo
sans y être mandés, et elle prit un soin extrême de conserver à sa trahi
son les apparences de la plus parfaite loyauté.
Lo vicomte de Frapesles, qui avait rarement rencontré des hommes
avec lesquels il pût échanger des idées, était émerveillé do l’instruction,
du bon sens et de la dialectique vigoureuse do Renée , qui no tarissait
jamais d’éloquence pour faire prévaloir ses opinions , et qui néanmoins
avait assez do bonne foi pour se reconnaître vaincuo , lorsque l’argu
mentation puissante de son redoutable adversaire faisait pénétrer de
nouvelles lumières dans son intelligence.
Heureux de se voir, de se parler, de se comprendre , ils ne songeaient
ni l’un ni l’autre à se faire l’aveu de la mutuelle affection qu’ils se por
taient, et comme s’il leur eût suffi de se donner réciproquement la preu
ve du plaidr qu’ils avaient à so rechercher l’un l’autre, et qu’ils eussent
voulu éloigner toute occasion do tendres épanchemens , la princesse lais
sait toujours assister à ses entretiens avec Yorik , le baron de Rohan ,
quelquefois mémo Méliso Caritas, tandis que le prévôt, do son côté, se
faisait accompagner par son jeune discipline, Jacques Cartier, qu’il des
tinait à poursuivre ses voyages de découverte.
Le temps marchait vite pourYorick et Renée. Il no faudrait pas croire
qu’ils se bornassent à discourir sur les sciences, ni qu’ils perdissent de
vue l’intérêt de la cause qu’ils avaient embrassée : le premier corres
pondait activement avec les principaux membres do la ligne, achetait se
crètement des armes et des munitions qu’il faisait distribuer sur tous les
points du duché, et la princesse observait d’un œil attentif les événe-
încns qui présageaient une conflagration générale en Europe, ot à la fa
veur de laquelle son avènement à la souveraineté pourrait s’effectuer
sans do grands obstacles.
Il se passait peu de jours qu’elle n’allât faire une visite à la vieille
Berthe, par les conseils de laquelle elle paraissait se laisser diriger. A la
suite de ses entrevues avec celto femme, Renée ne manquait jamais do
témoigner combien elle était contrariée de l’absence do Mme Alix de Ker
loguen, mèro d’Yorik, laquelle était allée à Bourges pour accomplir un
vœu formé au moment de l’arrestation du prévôt, et par lequel elle s’é
tait engagée à prier pendant un an sur la tombe de sa sainte maîtresse,
si elle parvenait à obtenir la liberté do son cher prisonnier.
C’est quo la princesse attachait la plus grande importance à constater
officiellement la haute origine du vicomte do Frapesles, ot qu’elle voulait
acquérir le droit de lui donner en public le nom de cousin qu’elle lui ac
cordait seulement dans l’intimité. L’acte de naissanco, signé de la main
do la reino Jeanne, était une garantie de la grando extraction d’Yorik,
mais il renfermait des lacunes qu’il était essentiel de combler, et l’on n’y
pouvait parvenir qu’à l’aido des docuinens et des dépositions que Mme
Alix de Korloguon pouvait seule fournir.
Et Mme Alix no revenait pas à Saint-Malo, malgré les instances que
son fils lui faisait dans ses lettres pour hâter son retour.
Les barons de Bretagne no connaissant pas les motifs secrets qui re
tenaient leur futuro duchesse dans cette longue inaction, la sollicitaient
vivement do parcourir la province pour s’y populariser, prétendant qu’il
n’y avait plus de temps à perdre, que toutes les dispositions étaient pri
ses et qu’il fallait profiter do co quo les forces do la France allaient être
concentrées sur les frontières d’Italie pour reconquérir l’indépendance.
Ils représentèrent qu’un nouveau délai pourrait avoir les plus graves in-
conveniens, en ce que plusieurs villes considérables no voyant point se
réaliser les promesses qu’on leur avait faites, suivraient l’exemple que
venait de donner la ville de Nantes en séparant ses intérêts de ceux de
lajliguo.
Il fallut so rendre h ses raisons et se résoudre à entreprendre tout do
suite un voyage quo la princesse eût mieux aimé no faire quo plus tard,
après qu’ello aurait recueilli sur la naissance d'Yorik, des renseignemens
qui lui eussent permis de présenter le chef de la ligue, non plus comme
un aventurier, mais comme un gentilhomme de souche royale, et aussi
digne par sa noblesse que par ses grandes facultés, de marcher en tête
do l’aristocratie bretonne. Heureusement que le temps n’était pas encore
arrivé pour elle, où, maîtresse du pouvoir, elle serait mise en demeure
d’exécuter la condition qu’on lui avait imposée de se choisir un époux
parmi ceux dos barons qui auraient contribué à l’asseoir sur lo trône
ducal.
Par les frequentes conversations qu’elle avait eues avec lui, Renée
avait pu juger combien lo vicomte do Frapesles était un esprit supérieur;
dans quelques tournois ouverts à l’occasion de son séjour à Saint-Malo,
elle s’était assurée quo personne n’était plus habile dans le jeux de che
valerie, ot qu’il n’avait pas son égal pour l’adresse, la bravoure et le
sang-froid dans les exercices do la guerre ; par l’etude qu’elle avait faite
des combinaisons employées par lui pour préparer la Bretagne a sa pro
chaine indépendance, elle avait reconnu dans cet homme prodigieux, lo
génie du politique profond qui ombrasse d’un coup-d’œil les mille détails
d’une vaste organisation administrative ; enfin, et cette dernière consi
dération rehaussait encore les qualités morales du vicomte do Frapesles,
elle ne pouvait douter que les trésors du nouveau monde 110 lui consti
tuassent une richesse princière.
11 ne restait plus maintenaul à Renée que de connaître Yorik comme
navigateur, et ne pouvant espérer de lo voir jamais à l’œuvre dans le
cours d’une longue expédition, il lui vint le désir de faire par mer lo
voyage de Saint-Malo à Nantes, et pria à cet effet le capitaine de dispo
ser son bâtiment de la même manière que s’il devait retourner en Amé
rique, afin qu’elle pût se faire une idée exacte de ce qu’avait été la tra
versée immense qu’il avait si heureusement exécutée.
Les barons fu.eut informés aussitôt de la détermination do la prin
cesse, et chargés de préparer les Nantais à son auguste visite, dont on
espérait les meilleurs résultats.
Yorik, de son côté, fit un appel à ses fidèles marins, qui déposèrent
leurs costumes do miliciens pour reprendre avec joio leur jaquette de
matelot.
La Heine-Jeanne fut repeinte à neuf, ses agrès renouvelés; en un
mot, on lui fit une toilette de fête et telle qu’ello devait être pour rece
voir dignement à son bord la noble passagère.
Jacques Cartier présida à ces divers préparatifs, ainsi qu’à l’achat des
comestibles les plus rares et qui figuraient a’ordinairo sur la table de la
princesse, afin que son voyage en mer n’apportât aucun changement à
sa nourriture. La cabine du capitaine fut agrandie, meublée et ornée avec
la plus grande magnificence, et destinée à loger Renée de France.
Au commencement du mois de mars, la Heine-Jeanne fut prête à so
mettre en'marcho. N \ ^
L’aurore qui annonça le jour du départ répandit sa lumière faiblo et
voiléo sur l’horizon de l’orient avec celto sérénité de l’air, cette douco
gradation de teintes roses et dorées qui présagent uno belle journée do
fin d’hiver. Une légère brise do l’est semblait apporter la lumière sur ses
ailes, et les navires, encore enveloppés d’ombre, s’éveillaient au murmure
qui frémissait dans leurs agrès. Au large, dans l’avant-port de Saint-
Malo, la Heine-Jeanne so berçait mollement sur son ancre, impatiente
de s’élancer dans l'espace.
Déjà un grand nombre do personnes s’attroupaient sur les murs pour
voir partir la Heine-Jeanne, quand lo bruit strident des palmes du guin
deau annonça qu’ello allait mettre à la voile. Sur lo pont, régnaient cette
activité, co tumulte, cette sorte de confusion, conséquences nécessaires
d’un départ. Le temps était si favorable, qu’on s’était un peu hâté pour
en profiler. Cependant les manœuvres s’exécutaient avec ordre et rapi
dité à la voix de Jacques Cartier, qui, debout sur l’avant du navire, sur
veillait les travaux do l’appareillage. Bientôt la chaîne prit uno position
perpericiculaire, et comme le capitaine n’était pas encore à bord, le gra
cieux navire resta sur son ancre demi-soulevée, les ailes entre ouvertes,
n’attendant que le signal pour prendre son essor sur cetlo mer cares
sante, et qui faisait scintiller les mille facettes de ses petits flots aux lueurs
du matin.
Yorik ot Renée, revêtus de leurs habits de cérémonio, étaient montés
sur la tour de la Générale, la plus haute do la citadelle, ot de là leurs
regards embrassaient un immense horizon. Le capitaine, en apercevant
son vaisseau si lin, si élancé, avec cette apparence do désordre harmo
nieux que lui donnaient ses voiles pendantes sur les carguos, et ce ba
lancement indolent et uniformo quo lui imprimait la brise; sentit mon
ter à ses lèvres un sourire do bonheur, et so tournant vers Renée toute
palpitante d’émotion :
— Madame la princesse, lui dit-il, vous avez devant les yeux lo plus
élégant navire qui ait jamais flotté sur la surface de l’Océan. La Heine-
Jeanne est une vaillante coureuse d’aventures, et je regrette qu’au lieu
d’un insignifiant voyage le long des côtes, vous 11’ayez pas à faire à son
bord uno glorieuse traversée comme celle dont elle est revenue saine et
sauve. Mais l’honneur de recevoir Votre Altesse Royale la dédommagera
grandement de ce qui lui manquera du côté des périls à surmonter.
Mais je vois quo l’heure est venue ; la briso est favorable, le navire
n’attend plus quo votre prôsoncc. Venez, madame la princesse.
— Partons, mon cousin, partons, dit Renée avec enthousiasme. Je
suis heureuse de confier mon existence à votre habileté
La science nautique était si peu avancée à cette époque, et les sinis-
nistres maritimes si fréquens, qu’il fallait en effet quo la jeune princesse
fut douée du courage le plus énergique pour s*exposer, sans aucuno
nécessité, aux dangers d’un pareil voyage. Elle allait monter pour la
première fois sur un vaisseau, et aucune appréhension no venait trou
bler la joie de son cœur.
En sortant du château, ils trouvèrent la milice rassemblée en bon
ordro sur la place Saint-Vincent, et attendant leur sortie pour les escor
ter jusqu’à la barque qui devait les conduire au navire. Une denn-heure
après ils montaient sur le pont, au milieu des acclamations de l’équipa
ge, et la Heine-Jeanne, gracieuse et cambréo sous la brise, glissait vers
l’horizon.
A bord, tout ôtait encore en activité; les matelots achevaient do met
tre en ordre tout ce qui se trouvait sur le pont. On assujétissait la cha
loupe sur le panneau, les manœuvres étaient roulées sur les chevilles,
la chaîne était arrimée dans sa boîte, on accrochait les ancres au bossoir.
Lo contentement brillait sur lo visago des matelots. La surface do l’O
céan, émaillée do points blancs formés par los ailes dos mouettes, sou
riait do placilude et de joio, et, sous los flancs rapides du navire qui y
creusait un léger sillage, faisait entendre un harmonieux clapotement qui
jetait dans l’atmophère comme un murmure do bonheur.
La journée s’écoula ainsi. La brise, toujours douco et prospère, empor
ta la Heine-Jeanne vers le sud-ouest ; puis lo soir vint, pâle et d’abord
voilé dans ces vapeurs diaphanes qui répandent tant do mélancolie su
toute la nature ; puis encore cos vapeurs s’étant■condencéos à l’air deve
nu plus froid, so détachaient en mille flocons où l’or, la pourpre et l’iris
luttaient de splendeur.
Cependant le soleil, en s’affaisant de plus en plus, variait les teintes
et les rendait plus sombres, tantôt bordant d’une frange d’or pur co long
nuage qui, comme un immense crododile, semblait ramper sur l’horizon,
tantôt teignant do rose ce petit nuago bouffi, lui donnait l’apparenco d’un
chérubin traversant les airs.
Assise à l’avant du vaisseau à côté d’Yorik, ltenéo admirait dans uno
naïvo extase co magique spectacle dont rien encore n’avait pu lui don
ner une idée. Do temps en temps elle laissait échapper de courtes excla
mations.
— Que c’est beau I Mon Dieu quo c’est beau 1 disait-elle. Quo nous
sommes petits on face do cetlo grande nature 1
Et sa main cherchait colle d’Yorik pour la presser, lo remerciant ainsi
du bonheur qu’il lui procurait.
Enfin, lo crépuscule rétrécit la perspective; les points blancs disparu
rent un à un, ot à mesure qu’ils s’éclipsèrent, les étoiles s’allumèrent
aux cioux. La nuit noire descendit sur l’Océan, sans que los ténèbres eus
sent, dans leur intensité, lo moindre trait sinistre qui pût faire craindre
aux plus vieux matelots la discontinuation d’un temps si favorable.
Le capitaine Yorik s’approcha de Jacques Cartier pour lui donner les
instructions nécessaires à la routo du navire pendant la nuit, et ayant
jeté un coup d’œil sur la voilure, et un autre vers lo lit de la brise, il
ramena la princesse dans sa cabine et s’enferma lui-même dans la sienne.
Jacques Cartier, resté seul sur le pont, confiant dans cette apparence
do beau temps, so promenait lentement, le front baissé, songeant au ca
pitaine, son maître, qui avait cultivé sa vocation avec tant de soins et
d’affection, et sa pensée allant du présent à l’avenir, il se voyait peut-
être capitaine à son tour, dirigeant de grands voyages d’exploration , et
léguant son nom célèbre à la postérité, lorsque tout-à-coup les voiles
jusqu’alors tendues par lo vent nord-est, so collèrent avec fracas contre
les mâts. Les vergues agitèrent leurs bras,et les cordages serpentèrent en
sifflant.
Par un changement soudain, très commun dans cette saison, lo vein
avait sauté au sud-ouest, et commençait à souffler avec une grando vio
lence. Les manœuvres judicieuses ordonnées par Jacques Cartier, mirent
bientôt l’ordre dans la voilure, qui, orientée de manière à recevoir l’im
pulsion du vent dans un sens favorable, lança le navire dans une roule
différente.
Co contre-temps assombrit la figure dos matelots. On s’accoutume si
vite à ce qui semble le bonheur.
Cependant le vent augmentait de violence. La Heine-Jeanne, orientée
au plus près, penchée sur lo flanc, laissant derrière ello une longue
nappe d’écume, faisait entendre des craquemcns qui ressemblaient à des
plaintes.
— En haut lo monde 1 serrez les perroquets 1 cria lo porte-voix do
Jacques Cartier. , , .
A peine cet ordre fut-il exécuté, qu’il on fallut donner une autre, celui
d’amoindrir la surfaces des huniers en prenant un ris. Ce fut alors quo
le capitaine Yorik, éveillé par un bruit do pas précipités qu’on entend
toujours sur lo pont pondant los grandes manœuvres, monta a son tour,
et fut très étonné do voir lo brusque changement qui s’était opéré dans
la température. 11 recommanda beaucoup do prudence, approuva les pré
cautions déjà prises, puis so retira une seconde fois.
Les matelots ayant vu leur capitaine calme et satisfait des manœuvres,
se tranquillisèrent comme par enchantement.
Le jour vint ; mais aucune déviation notable ne se produisit dans la
brise, qui continua de souffler avec fureur.
Le navire, toujours un ris dans les huniers, courut des bordées à an
gles plus ou moins aigus, présentant tantôt un flanc à la brise, tantôt
l’autre, mais en somme 11e faisant que très peu do roule, Sept jours sb
passèrent ainsi, et enfin la Heine-Jeanne arriva en vue du cap Finistère.
Si encore, à ce point du voyage, une briso tavorablo était venue rani
mer l’esprit de l’équipage ; mais non ; sur cette côte terrible où le nau
frage vous regarde en face; où lo salut est une rare exception, les matc=
lots eurent la douleur do voir la brise so danger en ouragan, et quoique
> le pauvre navire eût à peine quelques lambeaux de toile à opposer à la
FIN.
— Il y a un peu plus de deux mois, dit le Prévôt, à cette même place
où nous sommes, un duel eut liou entre le capitaine Clément et le fiancé
de Raoulelte do Bizien. Le sort-fut contraire au fils du gouverneur, qui
tomba, percé par le poignard quo voici; puis son corps fut lancé du haut
de la plate-forme dans la mer. Croyez-vous maintenant, madame la
princesse, que Clément de Charolles revienne de l’autre monde pour en
lever traitrousemeni la fille de celui qu’il a fait massacrer?
Renée frissonnait en écoutant le récit de cette scène horrible.
— C’est étrange, dit-elle; le capitaine Clément a survécujcependant à
moins que cette lettre qu’il a écrite ne soit antérieure Mais non...
c’est étrange... étrange!.... lit quel est donc, continua-t-elle, ce fiancé
pour lequel mademoiselle de Bizien s’est dévouée si héroïquement?
Quel était donc le second acteur dans ce combat dont vous mo parliez .
—JjLe fiancé de Raoulelte, le vainqueur du capitaine de Charolles....
c’est mo ; , madame.
— Vous!
Il y avait dans cette exclamation "de l’étonnement, du désespoir, de
la colère, de l’indignation, de l’orgueil ; pourtant ce fut l’orgueil qui pa
rut avoir reçu la plus cuisante blessure, car Renée ajouta , en accompa
gnant sa parole d’un regard plein de hauteur :
— Par le vrai Dieu! monsieur , je lie sais si vous avez montré un
grand courage dans cet affreux duel , dont vous auriez pu m’épargner
le récit, mais à coup sûr vous en avez manqué en laissant peser sur une
jeune fille innocente la responsabilité d’un meurtre.
— Avez-vous de moi une telle opinion, madame? Ai-je Besoin de vous
dire que j’ignorais le dévoûment do mademoiselle do Bizien, dévoûment,
inutile, puisque je n’ai jamais songé h faire un mystère de la peine quo
j’ai infligée à un infâme ravisseur.
— Au fait, monsieur, interrompit la princesse toujours sous l’impres
sion des sentimens confus qui l’agitaient. Est-ce pour réclamer votrefian-
cée, que vous m’avez amenée ici?
Le vicomte de Frapesles lisait trop clairement dans le cœur de Renée
pour 11e pas lui pardonner l’injure qu’elle lui faisait en changeant brus
quement de ton et do langage; aussi no se vengea-l-il qu’en paraissant
ne pas voir son irritation ét eu conservant vis-à-vis d’elle les formes les
plus douces et les plus calmes. •*»
— Madame la princesse, lui dit-il, mademoiselle do Bizien m’a prié do
vous présenter on son nom une requête, et j’ai cru pouvoir m’engager à
la lui faire obtenir.
— Peut-être avez-vous trop présumé de mes bonnes dispositions pour
vous, monsieur. Voyons cette requête.
— Ma fiancée a voulu que les engagemens qui avaient existé entre
nous fussent rompus , et so regardant comme dépendante do vous, elle
vous supplie de l’autoriser à prendre le voile au couvent des tilles de l’A
doration perpétuelle.
— Vraiment 1 s’écria la princesse, Mlle do Bizien vous a témoigné de
telles intentions? Mais s’il en est ainsi, mon cousin, continua-t-elle en
reprenant tout-à-coup ses manières affectueuses envers Yorik, et si vous-
même ne vous opposez pas à cette détermination, j’y donne do grand
cœur mon assentiment. Venez, mon cousin, cette jeune tille m’intéresse
plus que je ne saurais vous le dire; je veux l’interroger» je la conduirai
moi-même dans la sainlo maison où elle veut se réfugier. Venez.
Et s’appuyant avec abandon sur le bras d’Yorik, Renée disparut dans
la cage tortueuso do l’escalier.
Quand ils eurent descendu quelques marches, ils trouvèrent sur le
seuil d’une porte percée dans la profondeur de la muraille une femme
de haute stature, et qui semblait s’être postée là pour les guetter au pas
sage.
A cette rencontre inattendue, la princesse fit un mouvement involon
taire de surprise et d’effroi, et tous deux s’arrêtèrent.
— Voyez donc, mon cousin, dit-elle, voyez donc cette grande ombre...
Est-ce une fornmo?Esl-co uno statue?
— C’est la baronne do Kcrloguen, répondit Yorik.
— Cette pauvre femme dont la reine Anne, ma mère, ma parlé quel
quefois? demanda la princesse.
— C’est en effet à la reine Anne qü’ello doit le privilège d’habiter la
Quiquengrogno.
— Mais on dit qu’elle est folle cette malheureuse créature, ajouta Re
née avec compassion.
— Il en est qui la croient en communication avec les êtres surnaturels
et qui lui attribuent lo don de lire dans le passé et dans l’avenir.
C’est elle qui m’a appris ce quo je vous ai dit de ma naissance. Voulez-
vous la voir, lui parler?
— Volontiers, mon cousin. Celte femme connaît sans doute l’astro
logie; et s’il en est ainsi, rien n’est caché pour elle, il faut croire à ses
prédictions ; ce n’est pas de la sorcellerie, comme disent les ignorans,
c’est do la science.
Après avoir échangé ces paroles rapidement et à voix basse, ils conti
nuèrent de descendre et arrivèrent auprès de la vieille Berthe, toujours
immobile, la lôto inclinée par ses réflexions.
— Berthe de Kerloguen, lui dit Yorik, Mme la princesse Renée vous
fait l’honneur de vous visiter dans votre demeure.
— Que la tille do la rcino Anna soit la bienvenue, répondit Berthe en
s’agenouillant devant la princesse, je l’attendais. Entrez, mes nobles en-
ans; j’ai do grandes choses à vous annoncer.
XIV-
Sur Sa reine Jeanne.
Les historiens no commencent à s’occuper sérieusement do la prin
cesse Renée de France, qu’à l’époquo des guerres de religion, auxquelles
son nom so trouve associé d’une manière remarquable, à cause de ses
tendances prononcées pour le luthéranisme. Quant à ce qui précède son
mariage avec le duc de Ferrare, il en est à peine fait mention, et nous
savons seulement par un de ses biographes qu’elle passa en Bretagne
une grande partie de l’année 1519, pour se soustraire à la tyrannie do
mestique do madame la régente, qui la traitait en véritable marâtre.
Mais si l’histoire a des limites qu’elle 110 doit pas franchir, si sa mis
sion consiste à grouper avec ordre les faits généraux qui se rattachent à
l’ensemble des systèmes politiques, le romancier n’est pas obligé à lant
do réserve, et c’est en mettant à profit les lacunes forccos do l'historien,
qu’il parvient à donner aux personnages qu’il lui emprunte la physiono
mie qui leur est propre, et à mettre en lumière les événemens intimes
qui ont lo plus souvent déterminé ceux appartenant aux écrivains d’un
ordro plus sérieux.
Nous plaçons ici ces réflexions pour ceux de nos lecteurs qui pour
raient s’étonner de l’importance quo nous donnons à une période de
l’existence de la princesse Renée, que les historiens indiquent a poine.
Quatre mois s’étaient écoulés depuis que Renée avait quitté Blois, et,
à l’exception d’un voyage à Rennes, elle avait passé tout ce temps au
château de Saint-Malo. Instruite par M. le vicomte do Frapesles des pro
jets formés par la noblesse de Bretagne, elle s’était fait expliquer l’orga
nisation do la ligue dos barons , et avait voulu connaître en détail les
ressources dont ils pouvaient disposer; après avoir reconnu quo toutes
les circonstances se réunissaient pour lavoriser leur entreprise, elle
s’était engagée à accepter la couronne qu’on lui offrait, exigeant toute
fois quo l’on attendît, pour proclamer l’indépendance du duché, que la
guerre eût éclaté entre la France et l’Espagne, ce qui no pouvait pas tar
der d’arriver.
A la cour on recevait fréquemment des messages de la princesse an
nonçant qu’ello avait bon espoir do réussir dans la mission dont on l’avait
chargée, et qu’il n’y avait pas à craindre lo moindre soulèvement en
Bretagne tant qu’elle resterait dans cette province; do sorte qu’on était
loin de se douter dos intrigues qui so tramaient contre la couroune, et
encore moins qu’.une fille do France y prit part.
Cependant, sans avoir précisément des soupçons contre Renée , mais
avertie seulement par les instincts de la haine, Louise de Savoie avait,
à l’insu du roi, envoyé à Saint-Malo un espion chargé do surveiller toutes
les actions de l’ambassadrice, de tenir note de chacune do ses dé
marches, do rendre un compte détaillé du nom et des personnes qui
Du reste, les préoccupations politiques ne tenaient, pour le moment,
qu’une place secondaire dans l’esprit de Renée, et si son désir de régner
sur la Bretagne était grand, plus grand encore était l’attachement sin
gulier qu’elle éprouvait pour lo vicomte de Frapesles, attachement qui
n’avait fait que grandir depuis leur première entrevue.
La présence d’Yorik était devenue pour elle un besoin ; il fallait qu’elle
le vît chaque jour. Elle se plaisait à l’entendre faire le récit do ses fabu
leux voyages, à s’entretenir avec lui des sciences qui leur étaient fami
lières à eux d’eux, à interroger ses souvenirs do jeunesse, à lui parler
des modifications profondes qu’un dominicain de l’Allemagne faisait su
bir à l’église romaine, et vers lesquelles elle se sentait d’autant plus por
tée, qu’elle se souvenait des mille tracasseries suscitées naguère au roi
son père par les papes. Les mérites de la réformalion, soutenus par elle
et combattus par Yorik, qui comprenait trop combien l’unité est chose
essentielle à la stabilité des institutions, pour approuver les dissidences
fâcheuses qui se manifestaient dans la chrétienté, donnaient lieu à do
véritables disputes théologiques et politiques pendant lesquelles toute
différence de rang disparaissait entre les deux joûteurs, sans pour cela
refroidir la sympathie qui les unissait.
avaient accès près d’elle. Mais il semblait qu’en entrant dans une cons
piration, la jeune princesse eût acquis tout-à-coup une prudence con
sommée, et qu’elle pressentît la surveillance occulte dont elle était l’ob
jet; car les barons, sur lesquels la cour do France pouvait concevoir
quelques doutes, furent invités à ne pas venir au château do Saint-Malo
sans y être mandés, et elle prit un soin extrême de conserver à sa trahi
son les apparences de la plus parfaite loyauté.
Lo vicomte de Frapesles, qui avait rarement rencontré des hommes
avec lesquels il pût échanger des idées, était émerveillé do l’instruction,
du bon sens et de la dialectique vigoureuse do Renée , qui no tarissait
jamais d’éloquence pour faire prévaloir ses opinions , et qui néanmoins
avait assez do bonne foi pour se reconnaître vaincuo , lorsque l’argu
mentation puissante de son redoutable adversaire faisait pénétrer de
nouvelles lumières dans son intelligence.
Heureux de se voir, de se parler, de se comprendre , ils ne songeaient
ni l’un ni l’autre à se faire l’aveu de la mutuelle affection qu’ils se por
taient, et comme s’il leur eût suffi de se donner réciproquement la preu
ve du plaidr qu’ils avaient à so rechercher l’un l’autre, et qu’ils eussent
voulu éloigner toute occasion do tendres épanchemens , la princesse lais
sait toujours assister à ses entretiens avec Yorik , le baron de Rohan ,
quelquefois mémo Méliso Caritas, tandis que le prévôt, do son côté, se
faisait accompagner par son jeune discipline, Jacques Cartier, qu’il des
tinait à poursuivre ses voyages de découverte.
Le temps marchait vite pourYorick et Renée. Il no faudrait pas croire
qu’ils se bornassent à discourir sur les sciences, ni qu’ils perdissent de
vue l’intérêt de la cause qu’ils avaient embrassée : le premier corres
pondait activement avec les principaux membres do la ligne, achetait se
crètement des armes et des munitions qu’il faisait distribuer sur tous les
points du duché, et la princesse observait d’un œil attentif les événe-
încns qui présageaient une conflagration générale en Europe, ot à la fa
veur de laquelle son avènement à la souveraineté pourrait s’effectuer
sans do grands obstacles.
Il se passait peu de jours qu’elle n’allât faire une visite à la vieille
Berthe, par les conseils de laquelle elle paraissait se laisser diriger. A la
suite de ses entrevues avec celto femme, Renée ne manquait jamais do
témoigner combien elle était contrariée de l’absence do Mme Alix de Ker
loguen, mèro d’Yorik, laquelle était allée à Bourges pour accomplir un
vœu formé au moment de l’arrestation du prévôt, et par lequel elle s’é
tait engagée à prier pendant un an sur la tombe de sa sainte maîtresse,
si elle parvenait à obtenir la liberté do son cher prisonnier.
C’est quo la princesse attachait la plus grande importance à constater
officiellement la haute origine du vicomte do Frapesles, ot qu’elle voulait
acquérir le droit de lui donner en public le nom de cousin qu’elle lui ac
cordait seulement dans l’intimité. L’acte de naissanco, signé de la main
do la reino Jeanne, était une garantie de la grando extraction d’Yorik,
mais il renfermait des lacunes qu’il était essentiel de combler, et l’on n’y
pouvait parvenir qu’à l’aido des docuinens et des dépositions que Mme
Alix de Korloguon pouvait seule fournir.
Et Mme Alix no revenait pas à Saint-Malo, malgré les instances que
son fils lui faisait dans ses lettres pour hâter son retour.
Les barons de Bretagne no connaissant pas les motifs secrets qui re
tenaient leur futuro duchesse dans cette longue inaction, la sollicitaient
vivement do parcourir la province pour s’y populariser, prétendant qu’il
n’y avait plus de temps à perdre, que toutes les dispositions étaient pri
ses et qu’il fallait profiter do co quo les forces do la France allaient être
concentrées sur les frontières d’Italie pour reconquérir l’indépendance.
Ils représentèrent qu’un nouveau délai pourrait avoir les plus graves in-
conveniens, en ce que plusieurs villes considérables no voyant point se
réaliser les promesses qu’on leur avait faites, suivraient l’exemple que
venait de donner la ville de Nantes en séparant ses intérêts de ceux de
lajliguo.
Il fallut so rendre h ses raisons et se résoudre à entreprendre tout do
suite un voyage quo la princesse eût mieux aimé no faire quo plus tard,
après qu’ello aurait recueilli sur la naissance d'Yorik, des renseignemens
qui lui eussent permis de présenter le chef de la ligue, non plus comme
un aventurier, mais comme un gentilhomme de souche royale, et aussi
digne par sa noblesse que par ses grandes facultés, de marcher en tête
do l’aristocratie bretonne. Heureusement que le temps n’était pas encore
arrivé pour elle, où, maîtresse du pouvoir, elle serait mise en demeure
d’exécuter la condition qu’on lui avait imposée de se choisir un époux
parmi ceux dos barons qui auraient contribué à l’asseoir sur lo trône
ducal.
Par les frequentes conversations qu’elle avait eues avec lui, Renée
avait pu juger combien lo vicomte do Frapesles était un esprit supérieur;
dans quelques tournois ouverts à l’occasion de son séjour à Saint-Malo,
elle s’était assurée quo personne n’était plus habile dans le jeux de che
valerie, ot qu’il n’avait pas son égal pour l’adresse, la bravoure et le
sang-froid dans les exercices do la guerre ; par l’etude qu’elle avait faite
des combinaisons employées par lui pour préparer la Bretagne a sa pro
chaine indépendance, elle avait reconnu dans cet homme prodigieux, lo
génie du politique profond qui ombrasse d’un coup-d’œil les mille détails
d’une vaste organisation administrative ; enfin, et cette dernière consi
dération rehaussait encore les qualités morales du vicomte do Frapesles,
elle ne pouvait douter que les trésors du nouveau monde 110 lui consti
tuassent une richesse princière.
11 ne restait plus maintenaul à Renée que de connaître Yorik comme
navigateur, et ne pouvant espérer de lo voir jamais à l’œuvre dans le
cours d’une longue expédition, il lui vint le désir de faire par mer lo
voyage de Saint-Malo à Nantes, et pria à cet effet le capitaine de dispo
ser son bâtiment de la même manière que s’il devait retourner en Amé
rique, afin qu’elle pût se faire une idée exacte de ce qu’avait été la tra
versée immense qu’il avait si heureusement exécutée.
Les barons fu.eut informés aussitôt de la détermination do la prin
cesse, et chargés de préparer les Nantais à son auguste visite, dont on
espérait les meilleurs résultats.
Yorik, de son côté, fit un appel à ses fidèles marins, qui déposèrent
leurs costumes do miliciens pour reprendre avec joio leur jaquette de
matelot.
La Heine-Jeanne fut repeinte à neuf, ses agrès renouvelés; en un
mot, on lui fit une toilette de fête et telle qu’ello devait être pour rece
voir dignement à son bord la noble passagère.
Jacques Cartier présida à ces divers préparatifs, ainsi qu’à l’achat des
comestibles les plus rares et qui figuraient a’ordinairo sur la table de la
princesse, afin que son voyage en mer n’apportât aucun changement à
sa nourriture. La cabine du capitaine fut agrandie, meublée et ornée avec
la plus grande magnificence, et destinée à loger Renée de France.
Au commencement du mois de mars, la Heine-Jeanne fut prête à so
mettre en'marcho. N \ ^
L’aurore qui annonça le jour du départ répandit sa lumière faiblo et
voiléo sur l’horizon de l’orient avec celto sérénité de l’air, cette douco
gradation de teintes roses et dorées qui présagent uno belle journée do
fin d’hiver. Une légère brise do l’est semblait apporter la lumière sur ses
ailes, et les navires, encore enveloppés d’ombre, s’éveillaient au murmure
qui frémissait dans leurs agrès. Au large, dans l’avant-port de Saint-
Malo, la Heine-Jeanne so berçait mollement sur son ancre, impatiente
de s’élancer dans l'espace.
Déjà un grand nombre do personnes s’attroupaient sur les murs pour
voir partir la Heine-Jeanne, quand lo bruit strident des palmes du guin
deau annonça qu’ello allait mettre à la voile. Sur lo pont, régnaient cette
activité, co tumulte, cette sorte de confusion, conséquences nécessaires
d’un départ. Le temps était si favorable, qu’on s’était un peu hâté pour
en profiler. Cependant les manœuvres s’exécutaient avec ordre et rapi
dité à la voix de Jacques Cartier, qui, debout sur l’avant du navire, sur
veillait les travaux do l’appareillage. Bientôt la chaîne prit uno position
perpericiculaire, et comme le capitaine n’était pas encore à bord, le gra
cieux navire resta sur son ancre demi-soulevée, les ailes entre ouvertes,
n’attendant que le signal pour prendre son essor sur cetlo mer cares
sante, et qui faisait scintiller les mille facettes de ses petits flots aux lueurs
du matin.
Yorik ot Renée, revêtus de leurs habits de cérémonio, étaient montés
sur la tour de la Générale, la plus haute do la citadelle, ot de là leurs
regards embrassaient un immense horizon. Le capitaine, en apercevant
son vaisseau si lin, si élancé, avec cette apparence do désordre harmo
nieux que lui donnaient ses voiles pendantes sur les carguos, et ce ba
lancement indolent et uniformo quo lui imprimait la brise; sentit mon
ter à ses lèvres un sourire do bonheur, et so tournant vers Renée toute
palpitante d’émotion :
— Madame la princesse, lui dit-il, vous avez devant les yeux lo plus
élégant navire qui ait jamais flotté sur la surface de l’Océan. La Heine-
Jeanne est une vaillante coureuse d’aventures, et je regrette qu’au lieu
d’un insignifiant voyage le long des côtes, vous 11’ayez pas à faire à son
bord uno glorieuse traversée comme celle dont elle est revenue saine et
sauve. Mais l’honneur de recevoir Votre Altesse Royale la dédommagera
grandement de ce qui lui manquera du côté des périls à surmonter.
Mais je vois quo l’heure est venue ; la briso est favorable, le navire
n’attend plus quo votre prôsoncc. Venez, madame la princesse.
— Partons, mon cousin, partons, dit Renée avec enthousiasme. Je
suis heureuse de confier mon existence à votre habileté
La science nautique était si peu avancée à cette époque, et les sinis-
nistres maritimes si fréquens, qu’il fallait en effet quo la jeune princesse
fut douée du courage le plus énergique pour s*exposer, sans aucuno
nécessité, aux dangers d’un pareil voyage. Elle allait monter pour la
première fois sur un vaisseau, et aucune appréhension no venait trou
bler la joie de son cœur.
En sortant du château, ils trouvèrent la milice rassemblée en bon
ordro sur la place Saint-Vincent, et attendant leur sortie pour les escor
ter jusqu’à la barque qui devait les conduire au navire. Une denn-heure
après ils montaient sur le pont, au milieu des acclamations de l’équipa
ge, et la Heine-Jeanne, gracieuse et cambréo sous la brise, glissait vers
l’horizon.
A bord, tout ôtait encore en activité; les matelots achevaient do met
tre en ordre tout ce qui se trouvait sur le pont. On assujétissait la cha
loupe sur le panneau, les manœuvres étaient roulées sur les chevilles,
la chaîne était arrimée dans sa boîte, on accrochait les ancres au bossoir.
Lo contentement brillait sur lo visago des matelots. La surface do l’O
céan, émaillée do points blancs formés par los ailes dos mouettes, sou
riait do placilude et de joio, et, sous los flancs rapides du navire qui y
creusait un léger sillage, faisait entendre un harmonieux clapotement qui
jetait dans l’atmophère comme un murmure do bonheur.
La journée s’écoula ainsi. La brise, toujours douco et prospère, empor
ta la Heine-Jeanne vers le sud-ouest ; puis lo soir vint, pâle et d’abord
voilé dans ces vapeurs diaphanes qui répandent tant do mélancolie su
toute la nature ; puis encore cos vapeurs s’étant■condencéos à l’air deve
nu plus froid, so détachaient en mille flocons où l’or, la pourpre et l’iris
luttaient de splendeur.
Cependant le soleil, en s’affaisant de plus en plus, variait les teintes
et les rendait plus sombres, tantôt bordant d’une frange d’or pur co long
nuage qui, comme un immense crododile, semblait ramper sur l’horizon,
tantôt teignant do rose ce petit nuago bouffi, lui donnait l’apparenco d’un
chérubin traversant les airs.
Assise à l’avant du vaisseau à côté d’Yorik, ltenéo admirait dans uno
naïvo extase co magique spectacle dont rien encore n’avait pu lui don
ner une idée. Do temps en temps elle laissait échapper de courtes excla
mations.
— Que c’est beau I Mon Dieu quo c’est beau 1 disait-elle. Quo nous
sommes petits on face do cetlo grande nature 1
Et sa main cherchait colle d’Yorik pour la presser, lo remerciant ainsi
du bonheur qu’il lui procurait.
Enfin, lo crépuscule rétrécit la perspective; les points blancs disparu
rent un à un, ot à mesure qu’ils s’éclipsèrent, les étoiles s’allumèrent
aux cioux. La nuit noire descendit sur l’Océan, sans que los ténèbres eus
sent, dans leur intensité, lo moindre trait sinistre qui pût faire craindre
aux plus vieux matelots la discontinuation d’un temps si favorable.
Le capitaine Yorik s’approcha de Jacques Cartier pour lui donner les
instructions nécessaires à la routo du navire pendant la nuit, et ayant
jeté un coup d’œil sur la voilure, et un autre vers lo lit de la brise, il
ramena la princesse dans sa cabine et s’enferma lui-même dans la sienne.
Jacques Cartier, resté seul sur le pont, confiant dans cette apparence
do beau temps, so promenait lentement, le front baissé, songeant au ca
pitaine, son maître, qui avait cultivé sa vocation avec tant de soins et
d’affection, et sa pensée allant du présent à l’avenir, il se voyait peut-
être capitaine à son tour, dirigeant de grands voyages d’exploration , et
léguant son nom célèbre à la postérité, lorsque tout-à-coup les voiles
jusqu’alors tendues par lo vent nord-est, so collèrent avec fracas contre
les mâts. Les vergues agitèrent leurs bras,et les cordages serpentèrent en
sifflant.
Par un changement soudain, très commun dans cette saison, lo vein
avait sauté au sud-ouest, et commençait à souffler avec une grando vio
lence. Les manœuvres judicieuses ordonnées par Jacques Cartier, mirent
bientôt l’ordre dans la voilure, qui, orientée de manière à recevoir l’im
pulsion du vent dans un sens favorable, lança le navire dans une roule
différente.
Co contre-temps assombrit la figure dos matelots. On s’accoutume si
vite à ce qui semble le bonheur.
Cependant le vent augmentait de violence. La Heine-Jeanne, orientée
au plus près, penchée sur lo flanc, laissant derrière ello une longue
nappe d’écume, faisait entendre des craquemcns qui ressemblaient à des
plaintes.
— En haut lo monde 1 serrez les perroquets 1 cria lo porte-voix do
Jacques Cartier. , , .
A peine cet ordre fut-il exécuté, qu’il on fallut donner une autre, celui
d’amoindrir la surfaces des huniers en prenant un ris. Ce fut alors quo
le capitaine Yorik, éveillé par un bruit do pas précipités qu’on entend
toujours sur lo pont pondant los grandes manœuvres, monta a son tour,
et fut très étonné do voir lo brusque changement qui s’était opéré dans
la température. 11 recommanda beaucoup do prudence, approuva les pré
cautions déjà prises, puis so retira une seconde fois.
Les matelots ayant vu leur capitaine calme et satisfait des manœuvres,
se tranquillisèrent comme par enchantement.
Le jour vint ; mais aucune déviation notable ne se produisit dans la
brise, qui continua de souffler avec fureur.
Le navire, toujours un ris dans les huniers, courut des bordées à an
gles plus ou moins aigus, présentant tantôt un flanc à la brise, tantôt
l’autre, mais en somme 11e faisant que très peu do roule, Sept jours sb
passèrent ainsi, et enfin la Heine-Jeanne arriva en vue du cap Finistère.
Si encore, à ce point du voyage, une briso tavorablo était venue rani
mer l’esprit de l’équipage ; mais non ; sur cette côte terrible où le nau
frage vous regarde en face; où lo salut est une rare exception, les matc=
lots eurent la douleur do voir la brise so danger en ouragan, et quoique
> le pauvre navire eût à peine quelques lambeaux de toile à opposer à la
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