Titre : Revue du Havre et de la Seine-Inférieure : marine, commerce, agriculture, horticulture, histoire, sciences, littérature, beaux-arts, voyages, mémoires, mœurs, romans, nouvelles, feuilletons, tribunaux, théâtres, modes
Éditeur : [s.n.] (Havre)
Date d'édition : 1842-01-09
Contributeur : Morlent, Joseph (1793-1861). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859149v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 09 janvier 1842 09 janvier 1842
Description : 1842/01/09. 1842/01/09.
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
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Description : Collection numérique : Fonds régional :... Collection numérique : Fonds régional : Haute-Normandie
Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque municipale du Havre, Y2-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/05/2014
— 5 —
et l’on concevra avec quel vif intérêt j’ai dû recueillir les détails intimes
qui s’y rattachaient. J’étais surtout curieuse de savoir comment l’empe
reur avait eu connaissance assez promptement de ce qui se passait à l’as
semblée, pour frapper si vite et si fort.
Et voici, sur ce fait si diversement jugé, ce qui m’a été appris et com
muniqué pur un homme que scs fonctions et la conliance dont il était in
vesti, rendirent témoin de ce qui se passa pendant cette remarquable
journée, dans le cabinet de l’empereur...
11.
I,e cabinet «le l'empereur- le SI décembre.
« L’empereur, » me dit M. de..., « suivait de son cabinet les incitions
de la séance; il savait quart d'heure parquait d’heure ce qui se disait
à la tribune. Mais avant tout, il faut que je vous donne quelques explica
tions sur ce qui avait eu lieu précédemment, pour établir d’une part la
mauvaise foi manifeste qui dirigeait ces déplorables débats, et de l’autre,
l'opportunité du grand acte politique de la dissolution du corps législatif,
dans les circonstances exorbitantes où se t ouvait placée la France !
» Le moyen des coups d’état n’était pas dans les idées gouvernementa
les de l’empereur : il disait qu’un gouvernement fort doit être très sobre
de ces extrémités, qui ne se renouvellent pas impunément.... Dans le cas
dont il s’agit, il y avait danger imminent pour l’état, de laisser usurper
le pouvoir exécutif par quelques chefs de bande mal inlcnlionnés , dont
l'hostilité était flagrante ; comme aussi il était de sou devoir, dans l’intérêt
national, de les réduire à l’impuissance de nuire au salut public; il faut se
reporter à cet affreux moment : cent soixante mille Autrichiens avaient
franchi les frontières uisses ; trois grandes armées, commandées par les
souverains en personne , enserraient !a France dans un mur de baïon
nettes...
• Avant l’ouverture des débats, et pour ne pas perdre une heure d’un
temps que les événemens dévoraient, l’empereur avait convoqué une réu
nion de commissaires pris dans le sein de chacune des chambres et nom
més par elles, pour recevoir une communication officieuse du gouverne
ment, sur les affaires de l’état.
• Cette réunion eut lieu, dans le courant de décembre, chez l’archi
chancelier. Régnault de Sainl-Jean-d’Angely et d’Uauterivc furent char
gés par Sa Majesté de mettre sous les yeux des coin nissaires du sénat et
du corps législatif toutes les négociations avec les puissances alliées, à
dater du c mgrès de Prague en août, jusqu’à ce jour.
» Ces pièces prouvaient que l'empereur avait fait tout ce qu’il était
humainement possible pour gagner une paix honorable; et de leur exa
men ressortait pour tout homme de bonne foi, l’évidence la plus com
plète, que le but iuavouC mais palpable de la coalition, était de ne pas
traiter, d’en finir avec la France révolutionnaire, et de remplacer ce qui
existait par un ordre de choses qui convint à lu sainte-alliance, notre
implacable ennemie, ei nous livrât à sa merci.
• L’empereur donc voulait que les députés des départemens connussent
le véritable état des choses, et fussent convaincus qu'il n’avait pas dé
pendu de lui d’arrêter la continuation des hostilités, et qu’avant de de
mander de nouveaux sacrifices d’hommes et d argent, il avait épuisé toutes
les voies de négociations. Napoléon disait souvent :« En politique, et
comme axiome gouvernemental, la meilleure des finesses, c’est ta vé
rité, c'est le droit chemin. » Et d’après ce principe que je lui vis cons
tamment pratiquer en toutes circonstances, il crut de son devoir de cotn-
mun ; quer loyalement aux représentais de la nation toutes les pièces qui
tendaient à établir la situation réelle de la France vis-à-vis des puissances
coalisées: « Je veux, dit-il, que ces affaires soient traitées en famille,
comme il convient de le faire entre le chef de l’état et les pouvoirs délé
gués par la nation. »
» La commission élue par le sénat se composait de MM. Barbé-Marbois,
Fontanes Lacépède, Saint-Marsan, Beurnonvilleet Talleyrand... lequel,
malgré les justes défiances de quelques uns, avait trouvé moyen de se
faire comprendre.
• Et pour le corps législatif : MM. le duc de Massa, Maine de Btran,
Gallois, Raynouard, Flaugergues et Lainé...
• Après l’examen des pièces communiquées par ordre de l’empereur ,
aux deux commissions, à la réunion chez l arcbi-chancelier, et sur le rap
port qui en fut fait par les commissaires à leur chambre respective, le sé
nat supplia oflieiellemcnt sa majesté de tenter un dernier effort pour ob
tenir la paix. Mais, ajouta-t-il par l’organe de son rapporteur : « Si l’en
nemi persiste dans les conditions que l’honneur de la France lui ferait con
sidérer comme un refus , qu’il sache que nous le combattrons de toutes
nos forces. Nous défendrons la patrie entre les tombeaux de nos pères
• et les berceaux de nos enfansl »
• Si, de la part de tous, ce langage officiel ne fut pas sincère, au moins
était-il digne vis-à-vis de l’étranger T
• De ce côté, les choses se passaient convenablement. Restait à savoir
quelle attitude prendrait le corps législatif, et vous savez ce qui s’y passa.
• L’empereur était instruit que le député Lainé, qui avait eu l’adresse
de se faire nommer rapporteur des commissaires, appartenait à la fiction
Talleyrand... et que le rapport qu’il devait présenter serait hostile au
gouvernement, qu’on essaierait d’entraver de toutes les manières.
• Des émissaires envoyaient de la chambre à l’empereur un compte
exact de la discussion, minute par minute. Il était parfaitement au cou
rant de ce qui s'y passait. Ainsi, il sut tout d’abord l’épisode du co n-
menceincnt de la séance, relatif aux chut s, qui couvrirent le cri de : vive
l’empereur. Ceci était très significatif.
»M. de Beaumont, attaché à la maison de Madame mère, fit-il celte ma
nifestation, toute naturelle d’ailleurs, de son propre élan ? ou fut-il insti-
gué à le faire ? je ne le sais. Ce pouvait être un moyen de s'assurer de la
disposidon des esprits... mais si ce moyen a été employé, je répondrais
que ce ne fut pas par l’ordre de l’empereur : ces petits calculs ne lui ve
naient pas à l'esprit.
» Et maintenant que le dessous de cartes des intrigues, que vous avez
vues se oérouler à la tribune du corps législatif, vous est connu, je vais
vous dire ce qui se passaiten même temps dans le cabinet de l'empereur..)
» Vers deux heures, le minis're des relations cxtéiieures se lit annon
cer; il arrivait également instruit des agitations de la séance. L’empereur
était assis devant son Inceau , couvert des bulletins qui rendaient compte
par pallies brisées de la discussion, et sur lesquels il faisait lui-même des
annotations.
» En apercevant le duc de Viccnce , il s’écria : « Hé bien ! il se passe
de belles choses là-bas?...» il désignait de la main le Palais-Bour
bon. • Au lieu d’approuver de toutes ses forces une mesure qui ne
souffre aucun retard, on me demande des garanties... on discute les con
ditions auxquelles on m’accordera les moyens d • sauver le pays!... L’en
nemi est à nos portes, il viole tous les territoires neutres pour arriver au
Plus vite au cœur de la France , et pendant ce .emps, les représentans de
•a nation d'libèrent stupidement sur des questions accessoires... Pour la
première fois, ils font de l’hostilité contre le gouvernement...
"Les insensés! ils ne sentent donc pas, qu’en présence du péril de la
pairie , toute opposition qui tend à comprimer l’élan , le patriotisme du
peuple qui à ce moment décisif peut tout sauver, est un crime !... Ces
gens-là n’ont doue ni virilité, ni entrailles, que le cri de l’honneur reste
sans érho dans leur aine , qu’ils n’éprouvent pas le besoin de voicr en
masse l’énergique défense que je réclame ? Ces hommes n’ont pas de sang
dans les veines ! »
• Et repoussant avec un geste de dégoût les bulletins, l’empereur, la
physionomie empreinte de douleur, se mit à par.ourir à grands pas son
cabinet.
» D’autres avis parvinrent. La discussion prenait de plus en plus un ca
ractère alarmant. A l’extérieur, son reien issemenl pouvait avoir les plus
terribles conséquences ; à i intérieur, il devait immanquablement démo
raliser l’esprit public, et dans q, le i moment !
» Le ministre de la police générale arriva. 11 apprit à l’empereur que
par les soins de la /action, u- projet des attaques qu’on voulait diriger
contre le gouvernement a cette séance, avait été répandu et produisait
de l’inquiétude dans les salons, de l’agitation dans les rues. A cette heure,
les abords de la chambre étaient couverts de groupes inoffensifs, il
est vrai, mais dans lesquels on remarquait de ces orateurs de carrefour,
qui semblent sortir de dessous les pavés dans tous les momens de crise.
Plusieurs avaient été maltraités, et conduits au corps-de-garde par des
gens du peuple eux-tnèmes. Une capture fort importante venait d’étre faite
par la police :
» Une femme bourgeoisement vêtue, avait été arrêtée à l'instant où elle
entrait par la petite porte du Palais Bourbon, après avoir toutefois tenu
dans les groupes des propos de la dernière violence, et annoncé qu’avant
un mois il y aurait un autre maître aux Tuileries.
Les agens de police, en emmenant cette femme, s’aperçurent qu’elle
cherchait à cacher quelque chose sous scs vêtemens, et s’emparèrent d’une
lettre cachetée.
» Le contenu de cette lettre parut assez grave pour que le rapport m’en
fût fait sur-lc-cliamp, » dit le duc de Rovigo. « Je fis amener la femme en
ma présence ; après quelque résistance et sur la menace de l’envoyer en
prison, elle déclara être au service de Mine T... de Saint-G..., et avoir
été chargée par sa maîtresse de porter ce papier à un député dont elle
prétendit ignorer le nom, lequel devait se trouver au bas de l’escalier
aboutissant à la porte où elle avait été arrêtée.
• Le duc de Rovigo mil sous les yeux de l’empereur la lettre intercep
tée, qui contenait une indication de la plus haute importance. « M. te duc
vd'Angoulême (écrivait-on), est débarqué ét Saint-Jean de-Luz. Il are-
»joint le quartier-général anglais. Le général Wellington marche
»sur Bayonne et Bordeaux ! Communiquez à qui de droit l’heureuse
»nouvelle qui nous parvient à l’instant. »
« L’empereur fit un mouvement de surprise ; « Est-ce là tout? » de
manda-t-il d’un ton calme.
— « Non, sire, » répondit le duc de Rovigo ; « J’apnorte à votre majesté
d’autres renseignemens précieux. La police avait l’œil ouvert depuis quel
que temps sur cette Mme T... de Saint-G..., qui tient dans ses salons un
bureau d’esprit et des conciliabules politiques. J’ordonnaiquela femmede
chambre fût gardée à vue , et j’envoyai à l’instant saisir la dame et tous
les papiers qui se trouveraient en sa possession, ce qui a été exécuté sans
coup férir. Tout est sous ma main.
» Au nombre des pièces saisies qui présentent un vif intérêt, nous te
nons le plan de la confédération royaliste organisée depuis le mois de
mars, au centre de la France ? Voici les noms des agens actifs de la cons
piration... Le château d’Ussé, en Touraine, seitde lieu de réunion aux
conjurés.
» Il résulte de la correspondance saisie, que plusieurs des chefs du
complot ont pris secrètement le commandement du Bas-Poitou, d’Angers,
d’Orléans, de Tours et du Berry ; que toute la confédération de l’Ouest
doit se déclarer au premier signal du duc de Berry, attendu à Jersey ;
que M. T... de Saint-G... à Bordeaux, dirige une association pieuse dans
le même but politique, protégée et appuyée par le comte de Lincli, et
qu’eiifin le député Lainé, lié avec celui-ci, a reçu ses confidences, partage
ses projets, et les seconde par tous les moyens... »
— Ck-s hommes sont de grands misérables 1 s’écria l’empereur avec
force. Le bons sens le plus vulgaire n’indique-t-il pas que, rétablir les
Bourbons sur le trône par les baïonnettes de la coalition, c’est livrer la
France pieds et poings liés à l’étranger !... leur conduite est atroce !
» Prenez ces papiers, Maret, » dit-il au duc de Bassano, qui n*avait pas
quitté le cabinet de la matinée; « faites un rapport où vous me propose
rez tes mesures à prendre pour mettre un terme à ces ciiminellrs entre
prises... Ab ! maintenant, ce qui se passe au cab.net est expliqué !
» Puis se retournant vers le ministre de l’intérieur qui prenait des notes
sur le coin d’un bureau : Vous avez entendu, Montalivet?» lui dit-il.
expédiez sur-le-champ par le télégraphe des ordres en conséquence aux
préfets des départemens infestés : qu ils aient à exercer une surveillance
active et sévère sur les meneurs de ces détestables intrigues qui compro
mettent la sûreté du pays.
» Ce n’est pas assez d’avoir à repousser au dehors, il faut encore avoir
à contenir au dedans ! » ajouta-t-il avec irritation. « Trouver dans des
Français des créatures, des amis de nos ennemis? Oh! ! »
» 11 se remit à mai cher lentement, la tête inclinée sur sa poitrine, en
proie à ses cruelles préoccupations. Tous les regards fixés sur lui expri
maient une morno inquiétude.
» M is bientôt le retentissement des pas d’un cheval, entrant lancé au
galop dans la cour du château, arracha l'empereur à ses rêveries. Pour
lui, il n’avait pas un moment de repos ! Il se rapprocha vivement de son
bureau, agita sa sonnette; l’huissier se présenta aussitôt: «Fain?que
Faiu m’apporte tout de suite ces dépêches. »
— Sire, « demanda le duc de Rovigo, » votre majesté a-t-elle des or
dres à me donner relativement à Mme T... de Sai it-G...
— Je devrais la faire jeter à Saint-Lazare, ce serait bien sa place!.,.
Une femme se faire l’agent de monstrueuses menées! c’est odieux ! !
• Tout cela est vraim. ni dégoûtant! reprit il avec amertume. «Renvoyez
celte intrigante chez elle... ce n’est pas des petits complolteur» qu’il faut
nous occuper I »
« Napoléon n’aimait pas à punir, dit M. de....; je ne l’ai jamais vu
sévir de sang-froid contre des gens qu’il avait connus, et parmi les noms
qu’on venait de citer, presque tous appartenaient à des familles comblées
de scs bienfaits. Cela est affreux à dire I... Mais d ailleurs, depuis quel
ques mois, tant d’illusions s’élaicnt évanouies, tnt de déceptions avaient
brisé son aine, qu’il devenait presque indifférent aux lâchetés dont il était
l'objet' De si grands événemens aussi se succédaient sans relâche !... Au
cun de nous, témoins intimes des soucis rongeurs, des tortures attachées à
ce terrible métier de roi, et qui dérobe au vul aire, le huis-clos du cabi
net royal... nous ne comprenions pas comment l'empereur pouvait résis
ter aux fatigues matérielles d’un travail écia-ant, aux tourmensde tête et
d'ante qui dévoraient sa vie ! Que de douleurs inrompiises ! que de dé-
chireinens dn existence politique 1 Et
jamais il ne se montra plus grand que dans ses revers !
• Les embarras intérieurs de cette journée, dont je vous trace une bien
faible esquisse, n’absorbaient pas seuls son attention ; ce n’était qu’une
complication de plus à aj >uter à d'autres préoccupations, à d’autres
soins : au milieu des incidciis que vous avez vus se dérouler, et en même
temps, l’empereur depuis le matin avait dicté au moins vingt lettres, ren
fermant les insiruct ons les plus minutieuses , des ordres «le mouvemens
envoyés aux dilféreus corps d’armée échelounés sur les frontières; à cha
que instant des courriers se succédaient expédiés en tou e hâte des états-
majors les plus rnpp ocliés des points menacés. Si c’était un officier en
voyé à franc étrier, l’empereur ne manquait jamais del’i lerrogi r ; mais
toujours il prenait lui-même communication des dépêches et, to it en dic
tant la réponse, il consultait attentivement les cai tes si limitées de mil
liers d'épingles, qui couvraient lotis les meubles de son cabinet.
• Fain entra : « Sire, dit-il en retneiiant les dépêches qui venaient d’ar
river, l’officier expédié en courrier du fort de Bellegardc attend les or-
di es de voire majesté. »
• L’empereur déjà avait fait voler le cachet et parcouru ics importantes
nouvelle» que renfermait ce pli : « lnlroduisez-le à l’instant, » répun-
dii.il.
•L’officier, qui par parenthèse était le fils d’un sénateur, dont le nom
m’écha pe, fut amené couvert de boue des pieds à la léte. ses habits ruis
selant d’eau, et au moment où !a porte du cabinet s’ouvrit devant lui, il
hésita un moment à se présenter dans ce pitoyable équipage ; « Appro
chez , monsieur, approchez, » dit vivement l’empereur. « A quelle heure
av z-vous quitté le iort de Bellegardc?
— Sire, hier, à huit heures du matin.
• L’empereur ht un signe d’assentiment. Et ce si simple témoignage de
satisfaction suffit pour éclairer d’un reflet de bonheur le visage épuisé du
pauvre jeune homme, qui venait de franchir 150 lieues en 30 heures.
— Quelle était la position de l’année cnn unie à l’instant de votre dé
part? »
—Sire, d’après les rapport?, l’année autrichienne, fortede cent soixante
mille hommes, commandée par le général Bubna en personne, n’était
“ 11,11 "" -' 1 - ———■ - - ««.■«. vv-ttswasp»
plus qu’à une journée de marche de Genève ; son avant-garde occup
déjà cette ville ; ses éclaireurs poussaient des reconnaissances jusque
le territoire français. »
« Le front péniblement plissé de l’empereur accusait la profonde émo
tion que lui causait cette nouvelle ; mais rien dans sa contenance ferme
et calme ne trahit son agitation intérieure.
— Où, et quand a été surpris l’espion autrichien dont la dépêche fait
mention ? » demanda l’empereur.
— Sire, au moment où favorisé encore'par la nuit, il essayait, enaix
traînant à plat-ventre, de franchir nos lignes : il a été capturé par un*
ronde de surveillance; et la lettre écrite en allemand, envoyée sous ce pli
à votre majesté, a été découverte dans la doublure de son habit.
— C'est bien, monsieur, » dit l’empereur avec bonté à 1 officier, qui sc
retira heureux.
» La traduction de cette lettre, faite pendant qu’il interrogeait l’envoyé
de Bellegardc, lui fut présentée aussitôt : c’était un avis émané du quar
tier-général autrichien annonçant les progrès de l’armée de Bubna qui
s’avançait à marches foi eues sur la frontière, qu’elie espérait franchir te
1" janvier. On recommandait dans celte missive, qui d’ailleurs ne por
tait pas de suscriplion : « de communiquer sans délai cette indication
» imporlante, à l'astre dirigeant les conseils des souverains alliés. »
» Des traîtres partout ! c’est horrible ! horrible ! » s’écria l’empereur
exaspéré.
» Qui voulait-on désigner? quel était l’astre dirigeant les conseils
des souverains alliés?... Le nom de Talleyrand se présentait spontané
ment à la pensée de toutes les personnes prést nies, à celle de l’empe
reur aussi... dont la physionomie, le regard indigné révélaient le ressen
timent, l’indécision... « Je devrais en faire un exemple terrible ! » dit-
il en laissant échapper tout haut la pensée qui le préoccupait, « mais...
un vieillard... cela me répugnel... »
» Napoléon se livrait avec impétuosité à scs premières impressions-;
dans cette aine fougueuse, toutes les sensations étaient ardentes, passion
nées ; mais toujours la réflexion le faisait incliner pour la clémence...
Et, le bras levé pour punir, l'homme qui avait la toute-puissance en
main , épargna le coupable!
• Dans les tristes nouvelles aussi qu’il venaitde recevoir, une idée le do
minait, le déchirait bien autrement profondément que la trahison d’un
misérable : c’était la conduite de l’Autriche à son égard... à l’égard de
la France, tant de fois miséricordieuse envers cette puissance, alors que
réduite à merci, elle avait imploré l’aumône de sa magnanimité victo
rieuse !
« Vous le voyez, Caulaincour ? dit il au duc de Vicence consterné, les
assurances d’intervention officieuse, entre les autres puissances et la
France, données par le cabinet autrichien aux conférences de ManheitOv
n’étaient qu’un perfide stratagème, un vil mensonge !..
• Ainsi, ajouta-t-il avec amertume, c’est l’Autriche qui la première
mettra le pied sur le tiriitoire français!., c est l’empereur d'Autriche
qui s’est réservé l’Imnneur de tirer le premier boulet de canon à traver»
le trône ou sont assis sa fille et son petit-fils! !.. L’histoire enregistre
incxoïablemeul les faits... la postérité jugera entre moi et ces hommes
nés rois (il employait souvent celte expression), et je serai vengé !..
» Mais bientôt maîtrisant ses propres chagrins pour s’occuper du péril
imminent qui lui étaitsigna'é, ii allait de ses cartes à un plan qu’il traça
sur son bureau et d’après lequel il dicta des ordres de mouvemens pour
nos corps d’armée les plus rapprochés de la frontière, qu’à celte heure
même franchissait l'ennemi !
• Et ce travail, si important cependant, était interrompu de cinq mina-
les en cinq minutes par les bulletins apportés du corps législatif, où ce
qui se passait le préoccupait incessamment ! A plusieurs reprises il dit, en
tendant avec un geste d'impatience, à l’un des ministres, le petit carré de
papier : « 11 est certain que le moment est bien choisi, pour faire de l’op
position au gouvernement?.. Ces gens-là sont de grands coupables, ou
bien des fous stupides !.. »
» Le duc de Rovigo revint. On avait encore arrêté une trentaine d’agens
qui, dans les groupes formés aux abords de la chambre, secondaient les
meneurs du dedans en répandant les nouvelles les plus alarmantes. Des
proclamations adressées au peuple français au nom d's souverains alliés»
et quelques pamphlets en faveur des Bourbons, avaient été jetés dans la
fouie; des braves gens par lesquels ils avaient été trouvés s étaient em
pressés de les apporter au ministère de la police.
• Il n’y avait plus de doute que le complot était flagrant, et la révolte
s’organisait à l’aide d’infernales machinations.
• Enfin, le comie Regn -ult de Saint-Jean d’Angely, qui avait été chargé
de faire à la tribune du corps législatif les communications officielles du
gouvernement, arriva. Le regard interrogatif de l’empereur s'attacha sur
son commissaire avec un anxieux intérêt : il venait en droite lig .e de la
chambre, dont il avait suivi avec l’intelligence qui le caractérisait les dis
cussions animées...
III.
Le I ,r janvier 1914, aux Tuilerie*.
» Dans le rapport que fit à l’empereur le comte Régnault de Saint Jean
d’Angely qui venait de quifer l’assemblée, il analysa les débats avec une
grande lucidité; indiqua le plan adopté par les factieux, et termina en di
sant : qu il était impossible de ne pas reconnaître dans ce qui se pa-sait
à la chambre, une intrigue habilement ourdie par les agens occultes de la
coalition, pour neutraliser la défense immédiate de la France, et arriver
à renverser le gouvernement.
» L’empereur avait écouté avec la plus profonde attention le résumé de
ces déplorables débats. « Ainsi, » dit il avec indignation, « il n’est plus
possible de se faire illusion : il y a un paiti en France qui veut livrer le
pays à l'ennemi !... Les représentans de cette vaillante nation, qui rugit
au seul nom de l’étranger, tue refusent leur concour s, pour repousser l’in
vasion du territoire... Car moi, dans celte circonstance. ji suis en iehors
de cette question! » dit-il avec force. • De quoi s’agit-il, en ce utomen.f
De me donner les moyens de combattre pour I indépendance nationale ?...
Après que le pays sera délivré, on mettra en balance mes fautes et mes
services... J’en appellerai à la décision du peuple. Lui, et non pas une
poignée de mécontens, jusqu’ici mes vils louangeurs, me jugera!...
En attendant, un accord unanime, une grande résolution, peuvent seuls
imposer à l’étranger. Il épie sa proie, il a les yeux fixés sur tous nos mou
vemens ; s’il noos croit faibles et dé force, assure le succès... En 93, ce fut l’élan sublime de toute la nation
qui la tendit invincible, enfanta les prodiges qui ont immortalisé la révo
lution française!... La Fr.» ce, à cette époque, sort.il des langes (t’un
système énervant, abrutissant; elle était moins puissante, moins éclairée,
moins confiante dans sa force homérique, qu’elle ne l’est aujourd'hui !.. .
Mais alors, on ne discuta pas au lieu d’agir!... Il ne se serait pas trouvé
un homme qui cû 1 eu l'impudeur de combattre à la tribune la résolution
héroïque prise par tous de voler à la frontière ! Eh bien ! les memes dis
positions existent encore dans les masses, et l’on veut étouffer leur pa*
triolisme, l'annihiler au profit des partis !... La conduite des représan-
lans est iniâme ! elle est anti-nationale ! »
» L'empereur cessa de parler, porta la main à son front, et reprit si
lencieusement sa promenade.
« Pendant ce temps, le duc de Vicence, le duc de Bassano, le ministre
de l'intérieur, lu comte Régnault de Saiiit-Jean-d’Angely, causaient dans
l'embrâsure d'une croisée. La question de la dissolution se présentait à
leur espiit et se déballait à voix basse; mais aucun d'eux ne sc fût per
mis de demander à l’empereur un avis qu’il ne demancait pas..,
» Efin, Sa Majesté se rapprocha de son bureau, s'y assit : toute indéci
sion avait cessé...
» Mon parti est pris, » dit-il avec calme. « Dans les crises politi
ques, l'hésitation est plus funeste qu’une faute... Les demi-mesures ne
remédient à rien. Le corps législatif, en me refusant son franc et loyal
concouis, ne remplit pas son mandat... Ce n’est plus une assemblée na
tionale qu’il reprèsi nie, c'est une assemblée de la-, t eux qu’il faut réduire
à l’impuissance de nuire,.. Le corps législatif est dissous. •
et l’on concevra avec quel vif intérêt j’ai dû recueillir les détails intimes
qui s’y rattachaient. J’étais surtout curieuse de savoir comment l’empe
reur avait eu connaissance assez promptement de ce qui se passait à l’as
semblée, pour frapper si vite et si fort.
Et voici, sur ce fait si diversement jugé, ce qui m’a été appris et com
muniqué pur un homme que scs fonctions et la conliance dont il était in
vesti, rendirent témoin de ce qui se passa pendant cette remarquable
journée, dans le cabinet de l’empereur...
11.
I,e cabinet «le l'empereur- le SI décembre.
« L’empereur, » me dit M. de..., « suivait de son cabinet les incitions
de la séance; il savait quart d'heure parquait d’heure ce qui se disait
à la tribune. Mais avant tout, il faut que je vous donne quelques explica
tions sur ce qui avait eu lieu précédemment, pour établir d’une part la
mauvaise foi manifeste qui dirigeait ces déplorables débats, et de l’autre,
l'opportunité du grand acte politique de la dissolution du corps législatif,
dans les circonstances exorbitantes où se t ouvait placée la France !
» Le moyen des coups d’état n’était pas dans les idées gouvernementa
les de l’empereur : il disait qu’un gouvernement fort doit être très sobre
de ces extrémités, qui ne se renouvellent pas impunément.... Dans le cas
dont il s’agit, il y avait danger imminent pour l’état, de laisser usurper
le pouvoir exécutif par quelques chefs de bande mal inlcnlionnés , dont
l'hostilité était flagrante ; comme aussi il était de sou devoir, dans l’intérêt
national, de les réduire à l’impuissance de nuire au salut public; il faut se
reporter à cet affreux moment : cent soixante mille Autrichiens avaient
franchi les frontières uisses ; trois grandes armées, commandées par les
souverains en personne , enserraient !a France dans un mur de baïon
nettes...
• Avant l’ouverture des débats, et pour ne pas perdre une heure d’un
temps que les événemens dévoraient, l’empereur avait convoqué une réu
nion de commissaires pris dans le sein de chacune des chambres et nom
més par elles, pour recevoir une communication officieuse du gouverne
ment, sur les affaires de l’état.
• Cette réunion eut lieu, dans le courant de décembre, chez l’archi
chancelier. Régnault de Sainl-Jean-d’Angely et d’Uauterivc furent char
gés par Sa Majesté de mettre sous les yeux des coin nissaires du sénat et
du corps législatif toutes les négociations avec les puissances alliées, à
dater du c mgrès de Prague en août, jusqu’à ce jour.
» Ces pièces prouvaient que l'empereur avait fait tout ce qu’il était
humainement possible pour gagner une paix honorable; et de leur exa
men ressortait pour tout homme de bonne foi, l’évidence la plus com
plète, que le but iuavouC mais palpable de la coalition, était de ne pas
traiter, d’en finir avec la France révolutionnaire, et de remplacer ce qui
existait par un ordre de choses qui convint à lu sainte-alliance, notre
implacable ennemie, ei nous livrât à sa merci.
• L’empereur donc voulait que les députés des départemens connussent
le véritable état des choses, et fussent convaincus qu'il n’avait pas dé
pendu de lui d’arrêter la continuation des hostilités, et qu’avant de de
mander de nouveaux sacrifices d’hommes et d argent, il avait épuisé toutes
les voies de négociations. Napoléon disait souvent :« En politique, et
comme axiome gouvernemental, la meilleure des finesses, c’est ta vé
rité, c'est le droit chemin. » Et d’après ce principe que je lui vis cons
tamment pratiquer en toutes circonstances, il crut de son devoir de cotn-
mun ; quer loyalement aux représentais de la nation toutes les pièces qui
tendaient à établir la situation réelle de la France vis-à-vis des puissances
coalisées: « Je veux, dit-il, que ces affaires soient traitées en famille,
comme il convient de le faire entre le chef de l’état et les pouvoirs délé
gués par la nation. »
» La commission élue par le sénat se composait de MM. Barbé-Marbois,
Fontanes Lacépède, Saint-Marsan, Beurnonvilleet Talleyrand... lequel,
malgré les justes défiances de quelques uns, avait trouvé moyen de se
faire comprendre.
• Et pour le corps législatif : MM. le duc de Massa, Maine de Btran,
Gallois, Raynouard, Flaugergues et Lainé...
• Après l’examen des pièces communiquées par ordre de l’empereur ,
aux deux commissions, à la réunion chez l arcbi-chancelier, et sur le rap
port qui en fut fait par les commissaires à leur chambre respective, le sé
nat supplia oflieiellemcnt sa majesté de tenter un dernier effort pour ob
tenir la paix. Mais, ajouta-t-il par l’organe de son rapporteur : « Si l’en
nemi persiste dans les conditions que l’honneur de la France lui ferait con
sidérer comme un refus , qu’il sache que nous le combattrons de toutes
nos forces. Nous défendrons la patrie entre les tombeaux de nos pères
• et les berceaux de nos enfansl »
• Si, de la part de tous, ce langage officiel ne fut pas sincère, au moins
était-il digne vis-à-vis de l’étranger T
• De ce côté, les choses se passaient convenablement. Restait à savoir
quelle attitude prendrait le corps législatif, et vous savez ce qui s’y passa.
• L’empereur était instruit que le député Lainé, qui avait eu l’adresse
de se faire nommer rapporteur des commissaires, appartenait à la fiction
Talleyrand... et que le rapport qu’il devait présenter serait hostile au
gouvernement, qu’on essaierait d’entraver de toutes les manières.
• Des émissaires envoyaient de la chambre à l’empereur un compte
exact de la discussion, minute par minute. Il était parfaitement au cou
rant de ce qui s'y passait. Ainsi, il sut tout d’abord l’épisode du co n-
menceincnt de la séance, relatif aux chut s, qui couvrirent le cri de : vive
l’empereur. Ceci était très significatif.
»M. de Beaumont, attaché à la maison de Madame mère, fit-il celte ma
nifestation, toute naturelle d’ailleurs, de son propre élan ? ou fut-il insti-
gué à le faire ? je ne le sais. Ce pouvait être un moyen de s'assurer de la
disposidon des esprits... mais si ce moyen a été employé, je répondrais
que ce ne fut pas par l’ordre de l’empereur : ces petits calculs ne lui ve
naient pas à l'esprit.
» Et maintenant que le dessous de cartes des intrigues, que vous avez
vues se oérouler à la tribune du corps législatif, vous est connu, je vais
vous dire ce qui se passaiten même temps dans le cabinet de l'empereur..)
» Vers deux heures, le minis're des relations cxtéiieures se lit annon
cer; il arrivait également instruit des agitations de la séance. L’empereur
était assis devant son Inceau , couvert des bulletins qui rendaient compte
par pallies brisées de la discussion, et sur lesquels il faisait lui-même des
annotations.
» En apercevant le duc de Viccnce , il s’écria : « Hé bien ! il se passe
de belles choses là-bas?...» il désignait de la main le Palais-Bour
bon. • Au lieu d’approuver de toutes ses forces une mesure qui ne
souffre aucun retard, on me demande des garanties... on discute les con
ditions auxquelles on m’accordera les moyens d • sauver le pays!... L’en
nemi est à nos portes, il viole tous les territoires neutres pour arriver au
Plus vite au cœur de la France , et pendant ce .emps, les représentans de
•a nation d'libèrent stupidement sur des questions accessoires... Pour la
première fois, ils font de l’hostilité contre le gouvernement...
"Les insensés! ils ne sentent donc pas, qu’en présence du péril de la
pairie , toute opposition qui tend à comprimer l’élan , le patriotisme du
peuple qui à ce moment décisif peut tout sauver, est un crime !... Ces
gens-là n’ont doue ni virilité, ni entrailles, que le cri de l’honneur reste
sans érho dans leur aine , qu’ils n’éprouvent pas le besoin de voicr en
masse l’énergique défense que je réclame ? Ces hommes n’ont pas de sang
dans les veines ! »
• Et repoussant avec un geste de dégoût les bulletins, l’empereur, la
physionomie empreinte de douleur, se mit à par.ourir à grands pas son
cabinet.
» D’autres avis parvinrent. La discussion prenait de plus en plus un ca
ractère alarmant. A l’extérieur, son reien issemenl pouvait avoir les plus
terribles conséquences ; à i intérieur, il devait immanquablement démo
raliser l’esprit public, et dans q, le i moment !
» Le ministre de la police générale arriva. 11 apprit à l’empereur que
par les soins de la /action, u- projet des attaques qu’on voulait diriger
contre le gouvernement a cette séance, avait été répandu et produisait
de l’inquiétude dans les salons, de l’agitation dans les rues. A cette heure,
les abords de la chambre étaient couverts de groupes inoffensifs, il
est vrai, mais dans lesquels on remarquait de ces orateurs de carrefour,
qui semblent sortir de dessous les pavés dans tous les momens de crise.
Plusieurs avaient été maltraités, et conduits au corps-de-garde par des
gens du peuple eux-tnèmes. Une capture fort importante venait d’étre faite
par la police :
» Une femme bourgeoisement vêtue, avait été arrêtée à l'instant où elle
entrait par la petite porte du Palais Bourbon, après avoir toutefois tenu
dans les groupes des propos de la dernière violence, et annoncé qu’avant
un mois il y aurait un autre maître aux Tuileries.
Les agens de police, en emmenant cette femme, s’aperçurent qu’elle
cherchait à cacher quelque chose sous scs vêtemens, et s’emparèrent d’une
lettre cachetée.
» Le contenu de cette lettre parut assez grave pour que le rapport m’en
fût fait sur-lc-cliamp, » dit le duc de Rovigo. « Je fis amener la femme en
ma présence ; après quelque résistance et sur la menace de l’envoyer en
prison, elle déclara être au service de Mine T... de Saint-G..., et avoir
été chargée par sa maîtresse de porter ce papier à un député dont elle
prétendit ignorer le nom, lequel devait se trouver au bas de l’escalier
aboutissant à la porte où elle avait été arrêtée.
• Le duc de Rovigo mil sous les yeux de l’empereur la lettre intercep
tée, qui contenait une indication de la plus haute importance. « M. te duc
vd'Angoulême (écrivait-on), est débarqué ét Saint-Jean de-Luz. Il are-
»joint le quartier-général anglais. Le général Wellington marche
»sur Bayonne et Bordeaux ! Communiquez à qui de droit l’heureuse
»nouvelle qui nous parvient à l’instant. »
« L’empereur fit un mouvement de surprise ; « Est-ce là tout? » de
manda-t-il d’un ton calme.
— « Non, sire, » répondit le duc de Rovigo ; « J’apnorte à votre majesté
d’autres renseignemens précieux. La police avait l’œil ouvert depuis quel
que temps sur cette Mme T... de Saint-G..., qui tient dans ses salons un
bureau d’esprit et des conciliabules politiques. J’ordonnaiquela femmede
chambre fût gardée à vue , et j’envoyai à l’instant saisir la dame et tous
les papiers qui se trouveraient en sa possession, ce qui a été exécuté sans
coup férir. Tout est sous ma main.
» Au nombre des pièces saisies qui présentent un vif intérêt, nous te
nons le plan de la confédération royaliste organisée depuis le mois de
mars, au centre de la France ? Voici les noms des agens actifs de la cons
piration... Le château d’Ussé, en Touraine, seitde lieu de réunion aux
conjurés.
» Il résulte de la correspondance saisie, que plusieurs des chefs du
complot ont pris secrètement le commandement du Bas-Poitou, d’Angers,
d’Orléans, de Tours et du Berry ; que toute la confédération de l’Ouest
doit se déclarer au premier signal du duc de Berry, attendu à Jersey ;
que M. T... de Saint-G... à Bordeaux, dirige une association pieuse dans
le même but politique, protégée et appuyée par le comte de Lincli, et
qu’eiifin le député Lainé, lié avec celui-ci, a reçu ses confidences, partage
ses projets, et les seconde par tous les moyens... »
— Ck-s hommes sont de grands misérables 1 s’écria l’empereur avec
force. Le bons sens le plus vulgaire n’indique-t-il pas que, rétablir les
Bourbons sur le trône par les baïonnettes de la coalition, c’est livrer la
France pieds et poings liés à l’étranger !... leur conduite est atroce !
» Prenez ces papiers, Maret, » dit-il au duc de Bassano, qui n*avait pas
quitté le cabinet de la matinée; « faites un rapport où vous me propose
rez tes mesures à prendre pour mettre un terme à ces ciiminellrs entre
prises... Ab ! maintenant, ce qui se passe au cab.net est expliqué !
» Puis se retournant vers le ministre de l’intérieur qui prenait des notes
sur le coin d’un bureau : Vous avez entendu, Montalivet?» lui dit-il.
expédiez sur-le-champ par le télégraphe des ordres en conséquence aux
préfets des départemens infestés : qu ils aient à exercer une surveillance
active et sévère sur les meneurs de ces détestables intrigues qui compro
mettent la sûreté du pays.
» Ce n’est pas assez d’avoir à repousser au dehors, il faut encore avoir
à contenir au dedans ! » ajouta-t-il avec irritation. « Trouver dans des
Français des créatures, des amis de nos ennemis? Oh! ! »
» 11 se remit à mai cher lentement, la tête inclinée sur sa poitrine, en
proie à ses cruelles préoccupations. Tous les regards fixés sur lui expri
maient une morno inquiétude.
» M is bientôt le retentissement des pas d’un cheval, entrant lancé au
galop dans la cour du château, arracha l'empereur à ses rêveries. Pour
lui, il n’avait pas un moment de repos ! Il se rapprocha vivement de son
bureau, agita sa sonnette; l’huissier se présenta aussitôt: «Fain?que
Faiu m’apporte tout de suite ces dépêches. »
— Sire, « demanda le duc de Rovigo, » votre majesté a-t-elle des or
dres à me donner relativement à Mme T... de Sai it-G...
— Je devrais la faire jeter à Saint-Lazare, ce serait bien sa place!.,.
Une femme se faire l’agent de monstrueuses menées! c’est odieux ! !
• Tout cela est vraim. ni dégoûtant! reprit il avec amertume. «Renvoyez
celte intrigante chez elle... ce n’est pas des petits complolteur» qu’il faut
nous occuper I »
« Napoléon n’aimait pas à punir, dit M. de....; je ne l’ai jamais vu
sévir de sang-froid contre des gens qu’il avait connus, et parmi les noms
qu’on venait de citer, presque tous appartenaient à des familles comblées
de scs bienfaits. Cela est affreux à dire I... Mais d ailleurs, depuis quel
ques mois, tant d’illusions s’élaicnt évanouies, tnt de déceptions avaient
brisé son aine, qu’il devenait presque indifférent aux lâchetés dont il était
l'objet' De si grands événemens aussi se succédaient sans relâche !... Au
cun de nous, témoins intimes des soucis rongeurs, des tortures attachées à
ce terrible métier de roi, et qui dérobe au vul aire, le huis-clos du cabi
net royal... nous ne comprenions pas comment l'empereur pouvait résis
ter aux fatigues matérielles d’un travail écia-ant, aux tourmensde tête et
d'ante qui dévoraient sa vie ! Que de douleurs inrompiises ! que de dé-
chireinens d
jamais il ne se montra plus grand que dans ses revers !
• Les embarras intérieurs de cette journée, dont je vous trace une bien
faible esquisse, n’absorbaient pas seuls son attention ; ce n’était qu’une
complication de plus à aj >uter à d'autres préoccupations, à d’autres
soins : au milieu des incidciis que vous avez vus se dérouler, et en même
temps, l’empereur depuis le matin avait dicté au moins vingt lettres, ren
fermant les insiruct ons les plus minutieuses , des ordres «le mouvemens
envoyés aux dilféreus corps d’armée échelounés sur les frontières; à cha
que instant des courriers se succédaient expédiés en tou e hâte des états-
majors les plus rnpp ocliés des points menacés. Si c’était un officier en
voyé à franc étrier, l’empereur ne manquait jamais del’i lerrogi r ; mais
toujours il prenait lui-même communication des dépêches et, to it en dic
tant la réponse, il consultait attentivement les cai tes si limitées de mil
liers d'épingles, qui couvraient lotis les meubles de son cabinet.
• Fain entra : « Sire, dit-il en retneiiant les dépêches qui venaient d’ar
river, l’officier expédié en courrier du fort de Bellegardc attend les or-
di es de voire majesté. »
• L’empereur déjà avait fait voler le cachet et parcouru ics importantes
nouvelle» que renfermait ce pli : « lnlroduisez-le à l’instant, » répun-
dii.il.
•L’officier, qui par parenthèse était le fils d’un sénateur, dont le nom
m’écha pe, fut amené couvert de boue des pieds à la léte. ses habits ruis
selant d’eau, et au moment où !a porte du cabinet s’ouvrit devant lui, il
hésita un moment à se présenter dans ce pitoyable équipage ; « Appro
chez , monsieur, approchez, » dit vivement l’empereur. « A quelle heure
av z-vous quitté le iort de Bellegardc?
— Sire, hier, à huit heures du matin.
• L’empereur ht un signe d’assentiment. Et ce si simple témoignage de
satisfaction suffit pour éclairer d’un reflet de bonheur le visage épuisé du
pauvre jeune homme, qui venait de franchir 150 lieues en 30 heures.
— Quelle était la position de l’année cnn unie à l’instant de votre dé
part? »
—Sire, d’après les rapport?, l’année autrichienne, fortede cent soixante
mille hommes, commandée par le général Bubna en personne, n’était
“ 11,11 "" -' 1 - ———■ - - ««.■«. vv-ttswasp»
plus qu’à une journée de marche de Genève ; son avant-garde occup
déjà cette ville ; ses éclaireurs poussaient des reconnaissances jusque
le territoire français. »
« Le front péniblement plissé de l’empereur accusait la profonde émo
tion que lui causait cette nouvelle ; mais rien dans sa contenance ferme
et calme ne trahit son agitation intérieure.
— Où, et quand a été surpris l’espion autrichien dont la dépêche fait
mention ? » demanda l’empereur.
— Sire, au moment où favorisé encore'par la nuit, il essayait, enaix
traînant à plat-ventre, de franchir nos lignes : il a été capturé par un*
ronde de surveillance; et la lettre écrite en allemand, envoyée sous ce pli
à votre majesté, a été découverte dans la doublure de son habit.
— C'est bien, monsieur, » dit l’empereur avec bonté à 1 officier, qui sc
retira heureux.
» La traduction de cette lettre, faite pendant qu’il interrogeait l’envoyé
de Bellegardc, lui fut présentée aussitôt : c’était un avis émané du quar
tier-général autrichien annonçant les progrès de l’armée de Bubna qui
s’avançait à marches foi eues sur la frontière, qu’elie espérait franchir te
1" janvier. On recommandait dans celte missive, qui d’ailleurs ne por
tait pas de suscriplion : « de communiquer sans délai cette indication
» imporlante, à l'astre dirigeant les conseils des souverains alliés. »
» Des traîtres partout ! c’est horrible ! horrible ! » s’écria l’empereur
exaspéré.
» Qui voulait-on désigner? quel était l’astre dirigeant les conseils
des souverains alliés?... Le nom de Talleyrand se présentait spontané
ment à la pensée de toutes les personnes prést nies, à celle de l’empe
reur aussi... dont la physionomie, le regard indigné révélaient le ressen
timent, l’indécision... « Je devrais en faire un exemple terrible ! » dit-
il en laissant échapper tout haut la pensée qui le préoccupait, « mais...
un vieillard... cela me répugnel... »
» Napoléon se livrait avec impétuosité à scs premières impressions-;
dans cette aine fougueuse, toutes les sensations étaient ardentes, passion
nées ; mais toujours la réflexion le faisait incliner pour la clémence...
Et, le bras levé pour punir, l'homme qui avait la toute-puissance en
main , épargna le coupable!
• Dans les tristes nouvelles aussi qu’il venaitde recevoir, une idée le do
minait, le déchirait bien autrement profondément que la trahison d’un
misérable : c’était la conduite de l’Autriche à son égard... à l’égard de
la France, tant de fois miséricordieuse envers cette puissance, alors que
réduite à merci, elle avait imploré l’aumône de sa magnanimité victo
rieuse !
« Vous le voyez, Caulaincour ? dit il au duc de Vicence consterné, les
assurances d’intervention officieuse, entre les autres puissances et la
France, données par le cabinet autrichien aux conférences de ManheitOv
n’étaient qu’un perfide stratagème, un vil mensonge !..
• Ainsi, ajouta-t-il avec amertume, c’est l’Autriche qui la première
mettra le pied sur le tiriitoire français!., c est l’empereur d'Autriche
qui s’est réservé l’Imnneur de tirer le premier boulet de canon à traver»
le trône ou sont assis sa fille et son petit-fils! !.. L’histoire enregistre
incxoïablemeul les faits... la postérité jugera entre moi et ces hommes
nés rois (il employait souvent celte expression), et je serai vengé !..
» Mais bientôt maîtrisant ses propres chagrins pour s’occuper du péril
imminent qui lui étaitsigna'é, ii allait de ses cartes à un plan qu’il traça
sur son bureau et d’après lequel il dicta des ordres de mouvemens pour
nos corps d’armée les plus rapprochés de la frontière, qu’à celte heure
même franchissait l'ennemi !
• Et ce travail, si important cependant, était interrompu de cinq mina-
les en cinq minutes par les bulletins apportés du corps législatif, où ce
qui se passait le préoccupait incessamment ! A plusieurs reprises il dit, en
tendant avec un geste d'impatience, à l’un des ministres, le petit carré de
papier : « 11 est certain que le moment est bien choisi, pour faire de l’op
position au gouvernement?.. Ces gens-là sont de grands coupables, ou
bien des fous stupides !.. »
» Le duc de Rovigo revint. On avait encore arrêté une trentaine d’agens
qui, dans les groupes formés aux abords de la chambre, secondaient les
meneurs du dedans en répandant les nouvelles les plus alarmantes. Des
proclamations adressées au peuple français au nom d's souverains alliés»
et quelques pamphlets en faveur des Bourbons, avaient été jetés dans la
fouie; des braves gens par lesquels ils avaient été trouvés s étaient em
pressés de les apporter au ministère de la police.
• Il n’y avait plus de doute que le complot était flagrant, et la révolte
s’organisait à l’aide d’infernales machinations.
• Enfin, le comie Regn -ult de Saint-Jean d’Angely, qui avait été chargé
de faire à la tribune du corps législatif les communications officielles du
gouvernement, arriva. Le regard interrogatif de l’empereur s'attacha sur
son commissaire avec un anxieux intérêt : il venait en droite lig .e de la
chambre, dont il avait suivi avec l’intelligence qui le caractérisait les dis
cussions animées...
III.
Le I ,r janvier 1914, aux Tuilerie*.
» Dans le rapport que fit à l’empereur le comte Régnault de Saint Jean
d’Angely qui venait de quifer l’assemblée, il analysa les débats avec une
grande lucidité; indiqua le plan adopté par les factieux, et termina en di
sant : qu il était impossible de ne pas reconnaître dans ce qui se pa-sait
à la chambre, une intrigue habilement ourdie par les agens occultes de la
coalition, pour neutraliser la défense immédiate de la France, et arriver
à renverser le gouvernement.
» L’empereur avait écouté avec la plus profonde attention le résumé de
ces déplorables débats. « Ainsi, » dit il avec indignation, « il n’est plus
possible de se faire illusion : il y a un paiti en France qui veut livrer le
pays à l'ennemi !... Les représentans de cette vaillante nation, qui rugit
au seul nom de l’étranger, tue refusent leur concour s, pour repousser l’in
vasion du territoire... Car moi, dans celte circonstance. ji suis en iehors
de cette question! » dit-il avec force. • De quoi s’agit-il, en ce utomen.f
De me donner les moyens de combattre pour I indépendance nationale ?...
Après que le pays sera délivré, on mettra en balance mes fautes et mes
services... J’en appellerai à la décision du peuple. Lui, et non pas une
poignée de mécontens, jusqu’ici mes vils louangeurs, me jugera!...
En attendant, un accord unanime, une grande résolution, peuvent seuls
imposer à l’étranger. Il épie sa proie, il a les yeux fixés sur tous nos mou
vemens ; s’il noos croit faibles et dé
qui la tendit invincible, enfanta les prodiges qui ont immortalisé la révo
lution française!... La Fr.» ce, à cette époque, sort.il des langes (t’un
système énervant, abrutissant; elle était moins puissante, moins éclairée,
moins confiante dans sa force homérique, qu’elle ne l’est aujourd'hui !.. .
Mais alors, on ne discuta pas au lieu d’agir!... Il ne se serait pas trouvé
un homme qui cû 1 eu l'impudeur de combattre à la tribune la résolution
héroïque prise par tous de voler à la frontière ! Eh bien ! les memes dis
positions existent encore dans les masses, et l’on veut étouffer leur pa*
triolisme, l'annihiler au profit des partis !... La conduite des représan-
lans est iniâme ! elle est anti-nationale ! »
» L'empereur cessa de parler, porta la main à son front, et reprit si
lencieusement sa promenade.
« Pendant ce temps, le duc de Vicence, le duc de Bassano, le ministre
de l'intérieur, lu comte Régnault de Saiiit-Jean-d’Angely, causaient dans
l'embrâsure d'une croisée. La question de la dissolution se présentait à
leur espiit et se déballait à voix basse; mais aucun d'eux ne sc fût per
mis de demander à l’empereur un avis qu’il ne demancait pas..,
» Efin, Sa Majesté se rapprocha de son bureau, s'y assit : toute indéci
sion avait cessé...
» Mon parti est pris, » dit-il avec calme. « Dans les crises politi
ques, l'hésitation est plus funeste qu’une faute... Les demi-mesures ne
remédient à rien. Le corps législatif, en me refusant son franc et loyal
concouis, ne remplit pas son mandat... Ce n’est plus une assemblée na
tionale qu’il reprèsi nie, c'est une assemblée de la-, t eux qu’il faut réduire
à l’impuissance de nuire,.. Le corps législatif est dissous. •
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