N'est-ce pas que ces considérations artistiques vous intéres- sent et que vous ne me reprochez pas de les continuer pendant que nous sommes arrêtés devant ce géant de pierre, à l'entrée de ce chef-d'oeuvre de l'art gothique, de ce chef-d'oeuvre su- prême de l'art de l'homme en architecture, qui s'appelle la cathédrale d'Amiens?
De détails, vous n'en attendez pas de moi. Je serais infini s'il fallait vous raconter la splendide imagerie sculptée du portail occidental et des portails latéraux, la multiple variété des sujets sculptés en plein chêne pour orner les stalles si célèbres du choeur de l'église, les bas-reliefs et les statues des chapelles ouvertes le long des collatéraux postérieurement à la construc- tion de l'édifice, les tombeaux et leurs raretés artistiques au premier rang desquelles il me faudrait placer l'Enfant pleureur.
Du reste, de tout cela je me suis occupé fort peu. Arrivé dans la cathédrale assez tôt pour y savourer la fête qu'y donne la lu- mière, j'y suis resté jusqu'à la nuit close, jouissant du plaisir de voir s'épaissir les ombres et s'augmenter le mystère, en même temps que les voix picardes, dont l'éloge n'est plus à faire, chantaient dans une des grandioses chapelles ouvertes sur le transept, l'office du Saint-Sacrement. Se peut-on figurer plaisir plus profond que de voir préciser par le chant et la poésie liturgique du grand saint Thomas d'Aquin, l'impression
appliquer ce qu'on a dit des vers de Lamartine: « Ils ont prêté des ailes à la pensée afin qu'elle aille plus vite et qu'elle monte plus haut ...
Que le choeur se perde dans les profondeurs du déambulatoire et des chapelles absidales, ou que ses pans coupés soient ajourés par ces longues et étroites verrières qui partent à quelques métres du sol et qui montent jusqu'aux voûtes, on dirait qu'au regard du croyant on évite d'opposer des murailles et des écrans; on lui donne l'espace, au contraire, el des issues nombreuses par où son âme s'envole avec les sen- timents qui en jaillissent et qui l'emportent...
L'arc et la voûte ont une clef. C'est le point culminant: les yeux s'y portent d'ins- tinct et s'y arrêtent pour scruter les refouillements des nervures et la décoration des pendentifs.
Ils y montent d'autant mieux que dans le bas de l'église tout reste dans la pénombre des régions inférieures, et s'entoure de demi-teintes mystérieuses dans lesquelles les formes s'adoucissent et s'enveloppent. Les parties hautes, au contraire, revoient toute la richesse de leurs moulurations, grâce aux clartés célestes qui jaillissent des claires-voies, soulignent par de blancs accents la broderie des sculptures et bordent d'un liseret clair la moindre arête qui se profile dans les arceaux.
L'Esthétique des temples, l'Authelam. Annales de l'Académie de Macon, 3e série, tome IV, p. 317.
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