Titre : L'Universel : l'Évangile c'est la liberté ! / direction H. Huchet
Auteur : Mouvement pacifique chrétien de langue française. Auteur du texte
Éditeur : [s.n.] (Le Havre)
Date d'édition : 1925-09-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32885496v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 septembre 1925 01 septembre 1925
Description : 1925/09/01-1925/10/31. 1925/09/01-1925/10/31.
Description : Collection numérique : Fonds régional :... Collection numérique : Fonds régional : Haute-Normandie
Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k45652924
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-45090
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2017
1898, supprimé par la censure militaire pendant la Guerre mondiale
Mouoement Pacifique Chrétien
« l’internationale de l’amour »
1455
1925
SEPTEMBRE-OCTOBRE 1925
MENSUEL
Directeur-Fondateur : Henri HUCHET.
RÉDACTION :
D r M. DUMESNIL, Rédacteur en chef. — Henriette DUMESNIL-IIUCHET, Secrétaire
ERMENONVILLE, Général PERCIN, Frédéric BONHOMME, GRILLOT DE GIVRY,
Louis GUÉTANT, Claire GÉNIAUX, Joël THÉZARD, D' Henry MARIAVÉ,
Dr M. J. ELLIOTT, Mme MARFURT-TORFS, Hermann KUTTER
Sophie TEDING van BERKHOUT van TAACK TRAKRANEN
Les articles n’engagent que leurs auteurs
ADMINISTRATION :
Abonnement
:
Chèques postaux :
Un an
5 francs.
Dr DUMESNIL
Le numéro t .
O fr. 25
PARIS n* 317.31
Souscriptions :
Membre adhérent 5 Irancs.
Membre actif 1 O francs.
Membre militant.... 20 francs.
51, Avenue Reilie, PARIS, XIV e . Tel. : Gobelins 70-33
UNE DATE
tolre Camp d'amitié internationale de Chemise
Le camp de Tannée dernière fut une expé
rience heureuse, celui de cette année une
réalisation magnifique.
Sur le terrain de notre « frère Jacques »
le D r Demarquette, président du Trait
ci Union , cette société naturiste et le Mouve
ment Pacifique chrétien, en étroite et frater
nelle collaboration ont organisé le camp
d’amitié internationale du 3 au io août 1920.
« Avez-vous formulé des résolutions à la
fin du camp ? » me demandait le dernier di
manche un visiteur novice. Non, certes, pas
à la façon des Congrès officiels de la Paix
qui envoient aux Gouvernements des vœux
dont les ministres, ou le dernier de leurs
expéditionnaires, font du papier... à brûler!
Mais nous avons pris des résolutions inté
rieures, et sérieuses, je vous assure.
Pour bien des gens, un Congrès consiste en
d’interminables et interminées discussions
suivies en dernière séance d’un chapelet de
vœux ! Et Ton se sépare jusqu’à Tan pro
chain !
Nous avons discuté certes. Nous avons eu
des conférences et très intéressantes. Nous
avons étudié les problèmes de la paix écono
mique et sociale, l’Etat comme cause de
guerre, à propos de quoi frère Jacques a sou
levé des idées dont la portée s’apercevra
mieux quand on les creusera par la réflexion
(influence de l’àme collective d’un peuple,
l’induction magnétique en temps de crise, le
danger pour la paix des grandes collectivités.
Séparer le patriotisme du matérialisme na
tional, la culture de l’administration, établir
des rapports mentaux, spirituels entre tous
les hommes vivants et avec leurs ancêtres
dans ce qu'ils eurent de grand, grouper les
hommes en régions économiques et suppri
mer les frontières politiques etc...).
Il y eut d’autres communications intéres
santes, par exemple celle de notre ami chi
nois Chang pui nous exposa la vérité sur les
troubles de Shanghaï (nous nous proposons
de revenir sur cette question). Mais pour cap
tivantes qu’elles fussent ces conférences et dis
cussions ne constituèrent pas l’originalité du
camp. .
Ce qui fut, et qui demeure, original, essen
tiel, dans ce camp de Chevreuse, c’est la
réalisation de vie fraternelle manifestée dès
le premier jour, progressive jusqu’à la der
nière heure... Ceci n’est point pour les cri
tiques sceptiques. Ceux qui ont vécu ces
heures savent ce que je veux dire. Experlo
crede.
La discipline fut aisée au camp. Il suffi
sait de faire appel à la bonne volonté des
campeurs pour que chacun s’acquittât de sa
tâche avec entrain, avec joie : corvée de cui
sine, courses, feu, chant ou comptabilité. Il
n’y eut point de tiraillements, et les rares
poussées d’amour-propre, d’égoïsme, de vi
vacité irréfléchie qui tentèrent de se faire
jour furent aussitôt noyées dans l’atmos
phère fraternelle du camp.
On y fit un grand travail spirituel. Il n’y
eut point de ces enthousiasmes artificiels dé
lirants, de ces émotions superficielles et sou
vent pathologiques, mais une hauteur cons
tante de pensée dans la simplicité la plus
grande et la joie sereine. Avec émotion et
naturel Benoist-Méchin nous parla de ses
expériences en Rhénanie et de son amitié
avec Fritz von Unruh, avec simplicité et re
cueillement on l'écouta. Il est maintenant un
ami du camp, il est de l’âme du camp.
Avec recueillement nous écoutâmes le soir
autour du feu de camp la voix magnifique de
notre sœur Joy Demarquette interprétant
avec un si haut sentiment des œuvres va
riées de compositeurs de tous les pays. De
vant ce même feu de camp je parlai le jeudi
soir de la Religion et de la Culture et tous
les assistants écoutaient si profondément que
j’eus la sensation, comme jamais encore, que
ma parole venait de bien plus loin que moi-
même. Et au feu du vendredi soir ce fut
une véritable communion spirituelle et une
commune résolution de ne plus servir la
guerre ! x
Que pendant une semaine, 1 5 o jeunes
gens et jeunes filles, et quelques-uns qui ne
sont plus tout jeunes par le chiffre des ans,
dont la plupart ne se connaissaient pas au
paravant, aient vécu dans la plus pure sim
plicité une vie profondément fraternelle, ve
nant d’Allemagne, d’Angleterre, de France,
de Hollqmde, de Suisse, de Belgique, du
Danemark,' de Norvège, d’Italie, de Chine,
de l’Inde, de Madagascar, n’est-ce point un
résultat admirable ?
Les organisateurs ont été bien récompen
sés de leurs peines, les campeurs se sont re
merciés mutuellement, tous se sont séparés
joyeux, réconfortés, reconnaissants.
Avec joie, nous avons accueilli le dernier
jour la leçon et les encouragements d’un glo
rieux aîné le général Percin qui malgré son
âge et la chaleur accablante vint nous appor
ter le témoignage de sa sympathie. Et ce fut
un geste plus que symbolique lorsque notre
camarade Kraschutzki, ex-officier de la ma
rine impériale allemande serra chaleureuse
ment la main de l’ancien grand maître de l’ar
tillerie française !
Ce camp a été pour nous une merveilleuse
expérience spirituelle, une démonstration, un
enseignement. Nous y avons trouvé des lu
mières précieuses. Et nous voici maintenant
sur cent points différents de la terre, revenus
chacun à nos occupations ordinaires, mais
gardant au cœur la parole que, dans sa simple
et magnifique causerie sous les grands sapins
de la forêt, au cours de notre promenade à
Port-Royal, Madeleine Vernet nous disait
avoir trouvée sur un vieux calvaire de son
pays : « Aime Dieu et va ton chemin ! »
D r M. DUMESNIL.
★
* *
Opinion d’un Témoin
Inoubliable est la journée que j’ai passée,
dimanche dernier çaoùt 1925. au camp d’ami
tié internationale organisé près de Che
vreuse.
i° Par. le Trait d'Union,æ uvre dont le fon
dateur est le Docteur Demarquette, et dont
le siège est 6 rue de Port-Mahon, à Paris ;
2 0 Par le Mouvement pacifique chrétien,
œuvre dont le fondateur est le Pasteur Henri
Huchet, de Courbevoie, dont le secrétaire
général est le Docteur Dumesnil, et dont le
siège est 5 i, Avenue Reilie, à Paris.
J’ai trouvé là réunis, sur un terrain appar
tenant au Docteur Demarquette, i 5 o jeunes
gens, presque autant de jeunes filles que de
jeunes garçons, dont environ 25 Français,
40 Allemands, 25 Anglais, 10 Américains,
3 o Hollandais, et une vingtaine de Belges,
Suisses, Italiens, Danois, Serbes, Norvé
giens, Hindous, Malgaches ou Chinois.
Il y avait des catholiques, des protestants,
des juifs et des libres-penseurs, tous unis
dans une pensée commune de fraternisation
des peuples du monde entier.
Les dimensions du terrain n’avaient pas
permis de réunir, Tannée dernière ni celle-
ci, plus de i 5 o campeurs On a dû refuser
de nombreuses demandes, entre autres
celles de 400 Allemands. On essayera de
faire mieux Tan prochain.
L’occupation du camp a duré du 3 au
9 août. Les campeurs étaient logés sous la
tente, faisant, chacun à tour de rôle, la cui
sine en plein air. Leur cabinet de toilette
était le rû de l’Ecosse Bouton, affluent de
l’Yvette, qui coule au bas de la propriété. La
nourriture était exclusivement végétarienne,
et d’une frugalité exemplaire. Pas un seul
domestique. Les corvées de vivres, d’eau et
de bois étaient faites par les campeurs.
Le Cure qui ma le Bon Dieu
Le curé du village était en chaire. Il venait
de réciter les prières dominicales et déjà ses
ouailles, attendant le sermon, s’apprêtaient
à dormir.
Mes frères, dit-il, je ne vous prêcherai pas
aujourd’hui. Je ne m’en sens pas digne. Un
remords m’étouffe. Il faut que je me confesse
à vous. »
Tous les yeux se rouvrirent tout grands.
Les paroissiens éberlués se demandaient s’ils
rêvaient ou si leur curé devenait fou. Dans
les stalles, le notaire et le pharmacien, qui
venaient chaque dimanche s’ennuyer à l’église
par obéissance à leurs femmes, échangèrent
deux regards heureux du scandale.
« Vous savez, continua le prêtre sans pa
raître remarquer le trouble que provoquaient
ses* paroles, vous savez tous que parti à la
mobilisation sous-lieutenant d’artillerie, je
revins capitaine. J’eus, durant plusieurs mois,
une batterie à commander. C’est alors que
je commis un crime affreux, le plus horrible
qu’un prêtre puisse commettre.
Nous étions dans un secteur calme. Devant
nos lignes, à quelques cents mètres, un
village semblable au nôtre groupait ses toits
roses autour d’un clocher pointu. Malgré sa
proximité de nos tranchées, les Allemands
n’avaient pas évacué sa population. Le matin,
à la jumelle, on voyait des femmes enjamber
le ruban blanc des tranchées ennemies et,
dans la plaine, à découvert, couper de l’herbe
pour leurs lapins. Nos mitrailleuses se tai
saient alors. On évitait d’ailleurs de tirer sur
le village, et les boches y vivaient tranquilles,
abrités derrière leurs otages.
De mon observatoire, sur un arbre, je
m’amusais à les épier ; je passais des heures
entières sur mon perchoir, car il n’est rien
de plus passionnant que de surprendre l’en
nemi qui se cache,de le voir vivre sans qu’il
le sache. Peu à peu, j’appris à connaître le
village, ses habitudes, ses habitants. Je re
marquai le vieux curé qui, chaque matin,
dans l’humble église, pareille à la nôtre,
allait dire sa messe. La guerre n’avait pas in
terrompu ses prières ; chaque dimanche,
quelques fidèles se groupaient encore autour
de lui, et souvent des soldats allemands se
joignaient à eux. Pourquoi n’auraient-ils pas
prié le mêmè Dieu quand la même mort les
menaçait ?
Seules les cloches se taisaient, et pourtant
on eût dit parfois que, dans le clocher, quelque
chose bougeait.-J’observai attentivement, je
restai des heures la jumelle braquée, et je
finis par découvrir un soldat boche qui nous
guettait. Il n’était pas seul ; je vis trois têtes,
un jour, se pencher par l’abat-son. Ma curio
sité piquée, je retournai la nuit sur mon
perchoir'; je vis quelques flammes courtes
sortir de la tour, aussitôt suivies de claque
ments caractéristiques.Je ne doutai plus : il y
avait dans le clocher une mitrailleuse ennemie
qui tirait sur nous.
Il dépendait de moi de la détruire ; je
La semaine a été employée à des prome
nades et à des conférences en plein air.
Dimanche 9, dernière journée, ont parlé
après moi les Docteurs Demarquette et Du
mesnil, Burnand, Secrétaire administratif
de YUstica, Kraschutzki, officier de marine,
démissionnaire de la marine impériale alle
mande, et un certain nombre de campeurs.
Ce que j’ai admiré dans cette réunion,
c’est l’esprit de fraternité qui a rendu si fa
ciles l’exécution des corvées et la discipline.
Le soir, autour du feu de camp, c’était, ou
bien l’épanouissement joyeux des chants, ou
bien le recueillement dans la méditation de
hautes vérités spirituelles.
Dans la journée du 3 au 9 août, les jeunes
ont donné aux vieux une grande leçon. Que
d’hommes d’Etat en tireraient profit !
C’est avec une profonde émotion que j’ai
assisté à cette manifestation d’amitié inter
nationale, et que j’en rends compte aux lec
teurs de Y Universel.
Général PERCIN.
n’avais qu’à faire pointer Tune de mes pièce?
dans sa direction, et à donner Tordre de tirer.
Mon devoir de soldat me le commandait.
Mais pouvais-je, moi, prêtre, abattre un clo
cher ? Je songeais au nôtre dont la voix m’est
si douce ; je songeais au vieux curé que je
voyais passer tout courbé dans les rues du
village et qui s’écroulerait sans doute comme
les pierres de sa tour ; je songeais à Dieu
dont c’était la maison. Pouvais-je tirer contre
mon Dieu ?
J’attendis. Je ne parlai à personne de ma
découverte, j’évitai même d’y penser, je ne
retournai plus à l’observatoire. Il me tardait
d’être relevé de ce secteur. Mon remplaçant
se débrouillerait, rien ne l’empêcherait, lui,
d’abattre le clocher, mais que Dieu éloignât
de mes lèvres ce calice d'amertume !
Dieu ne m’exauça pas. Je vivais dans une
crainte perpétuelle, la conscience troublée.
Un beau jour, un jour de gai soleil, je ren
contrai des brancardiers dans un boyau qui
longeait ma batterie. Ils portaient un mori
bond sur une civière, un pauvre diable de
fantassin qu’une balle avait frappé à la tête.
Je revois ses yeux blancs, sa face livide, et
l’écume rosâtre qui bouillonnait à ses lèvres. Il
acheva de mourir tandis que je lui donnais
l’absolution.
« Les vaches ! dit l’un des brancardiers,
ils ont une mitrailleuse qui prend le boyau
des cuisines en enfilade. On ne peut pas faire
une corvée de soupe sans qu’elle nous arrose,
et maintenant, c’est presque tous les jours
qu’elle tue ou blesse quelqu’un ».
Je bondis. Cette mitrailleuse, je la con
naissais. C’était moi qui lui avais permis de
continuer son œuvre de mort. J’étais respon
sable du sang versé, je laissais tuer mes
frères. Chaque parole du brancardier s’en
foncait comme une épine en mon cœur.
Sans mot dire, je gagnai rapidement ma
batterie. Je n’hésitais plus. Le devoir m’appa
raissait clairement. Je pointai moi-même
une pièce sur le clocher, je n’avais confiance
qu’en moi pour cette besogne, je voulais
être sûr que le premier obus toucherait le
but. Puis je grimpai à mon ob§eryatoire et
commandai le feu par téléphone.
Presque aussitôt, je vis un nuage s’élever
de l’église. « Cessez le feu », criai-je, affolé.
Le coup, trop long, avait frappé l’abside, il
était tombé où Dieu reposait.
L’étendue de mon crime, je ne la connus
que plus tard, après Tarmistice ? quand je pus
interroger des habitants du village. Ils me
dirent que ce jour-là, leur vieux curé devait
porter le bon Dieu à un malade ; il venait
d’ouvrir la porte du tabernacle quand l’obus
tomba sur l’autel.Le prêtre fut mis en pièces
et Ton ne retrouva que des lambeaux de sa
chair, mêlés aux hosties, et qui avaient giclé
sur les murs.
Mes frères, vous avez entendu ma confes
sion. Moi qui ai lait vœu de servir Dieu et
de tout lui sacrifier, j’ai tué son ministre et
je l’ai tué lui-même, en sa divine Eucharistie.
Je suis indigne à jamais de l’élever dans
mes mains.
Et vous, pourquoi ne me maudissez-vous
pas ? Vous ne vous rendez donc pas compte
de mon crime ? Ah ! gens de peu de foi,
peuple misérable, qui trouvez bon que vos
prêtres sacrifient leur Dieu à la patrie, vous
ne vous rappelez donc pas la parole du
Christ : « Nul ne peut servir deuxmaîtres » ?
Vous adorez Dieu du bout des lèvres, mais
vous immolez vos fils à la nation. Et quand
ils sont morts, vous criez : « C’est horrible !
Dieu ne devrait pas permettre cela. » De quoi
vous plaignez-vous, peuple idolâtre ? Le
culte des idoles veut du sang.
Mes frères, pardonnez ma colère. Ma dou
leur m’égare. Ce n’est pas à moi d’accuser,
mais à moi de me frapper la poitrine. J’avais
la charge de vos âmes, je n’ai pas veillé sur
elles. Pis encore : lorsque parfois la défense
du Seigneur vous revenait en mémoire :
« Tu ne tueras point », j’ai calmé vos scru
pules. Je vous ai entraînés au combat. J’ai
donné l’exemple du meurtre. J’ai souillé de
sang mes mains consacrées. J’ai tué mon
Dieu. Malheur à moi 1 »
■ Et le prêtre s’enfuit de la chaire.
H. NADEL.
1
Mouoement Pacifique Chrétien
« l’internationale de l’amour »
1455
1925
SEPTEMBRE-OCTOBRE 1925
MENSUEL
Directeur-Fondateur : Henri HUCHET.
RÉDACTION :
D r M. DUMESNIL, Rédacteur en chef. — Henriette DUMESNIL-IIUCHET, Secrétaire
ERMENONVILLE, Général PERCIN, Frédéric BONHOMME, GRILLOT DE GIVRY,
Louis GUÉTANT, Claire GÉNIAUX, Joël THÉZARD, D' Henry MARIAVÉ,
Dr M. J. ELLIOTT, Mme MARFURT-TORFS, Hermann KUTTER
Sophie TEDING van BERKHOUT van TAACK TRAKRANEN
Les articles n’engagent que leurs auteurs
ADMINISTRATION :
Abonnement
:
Chèques postaux :
Un an
5 francs.
Dr DUMESNIL
Le numéro t .
O fr. 25
PARIS n* 317.31
Souscriptions :
Membre adhérent 5 Irancs.
Membre actif 1 O francs.
Membre militant.... 20 francs.
51, Avenue Reilie, PARIS, XIV e . Tel. : Gobelins 70-33
UNE DATE
tolre Camp d'amitié internationale de Chemise
Le camp de Tannée dernière fut une expé
rience heureuse, celui de cette année une
réalisation magnifique.
Sur le terrain de notre « frère Jacques »
le D r Demarquette, président du Trait
ci Union , cette société naturiste et le Mouve
ment Pacifique chrétien, en étroite et frater
nelle collaboration ont organisé le camp
d’amitié internationale du 3 au io août 1920.
« Avez-vous formulé des résolutions à la
fin du camp ? » me demandait le dernier di
manche un visiteur novice. Non, certes, pas
à la façon des Congrès officiels de la Paix
qui envoient aux Gouvernements des vœux
dont les ministres, ou le dernier de leurs
expéditionnaires, font du papier... à brûler!
Mais nous avons pris des résolutions inté
rieures, et sérieuses, je vous assure.
Pour bien des gens, un Congrès consiste en
d’interminables et interminées discussions
suivies en dernière séance d’un chapelet de
vœux ! Et Ton se sépare jusqu’à Tan pro
chain !
Nous avons discuté certes. Nous avons eu
des conférences et très intéressantes. Nous
avons étudié les problèmes de la paix écono
mique et sociale, l’Etat comme cause de
guerre, à propos de quoi frère Jacques a sou
levé des idées dont la portée s’apercevra
mieux quand on les creusera par la réflexion
(influence de l’àme collective d’un peuple,
l’induction magnétique en temps de crise, le
danger pour la paix des grandes collectivités.
Séparer le patriotisme du matérialisme na
tional, la culture de l’administration, établir
des rapports mentaux, spirituels entre tous
les hommes vivants et avec leurs ancêtres
dans ce qu'ils eurent de grand, grouper les
hommes en régions économiques et suppri
mer les frontières politiques etc...).
Il y eut d’autres communications intéres
santes, par exemple celle de notre ami chi
nois Chang pui nous exposa la vérité sur les
troubles de Shanghaï (nous nous proposons
de revenir sur cette question). Mais pour cap
tivantes qu’elles fussent ces conférences et dis
cussions ne constituèrent pas l’originalité du
camp. .
Ce qui fut, et qui demeure, original, essen
tiel, dans ce camp de Chevreuse, c’est la
réalisation de vie fraternelle manifestée dès
le premier jour, progressive jusqu’à la der
nière heure... Ceci n’est point pour les cri
tiques sceptiques. Ceux qui ont vécu ces
heures savent ce que je veux dire. Experlo
crede.
La discipline fut aisée au camp. Il suffi
sait de faire appel à la bonne volonté des
campeurs pour que chacun s’acquittât de sa
tâche avec entrain, avec joie : corvée de cui
sine, courses, feu, chant ou comptabilité. Il
n’y eut point de tiraillements, et les rares
poussées d’amour-propre, d’égoïsme, de vi
vacité irréfléchie qui tentèrent de se faire
jour furent aussitôt noyées dans l’atmos
phère fraternelle du camp.
On y fit un grand travail spirituel. Il n’y
eut point de ces enthousiasmes artificiels dé
lirants, de ces émotions superficielles et sou
vent pathologiques, mais une hauteur cons
tante de pensée dans la simplicité la plus
grande et la joie sereine. Avec émotion et
naturel Benoist-Méchin nous parla de ses
expériences en Rhénanie et de son amitié
avec Fritz von Unruh, avec simplicité et re
cueillement on l'écouta. Il est maintenant un
ami du camp, il est de l’âme du camp.
Avec recueillement nous écoutâmes le soir
autour du feu de camp la voix magnifique de
notre sœur Joy Demarquette interprétant
avec un si haut sentiment des œuvres va
riées de compositeurs de tous les pays. De
vant ce même feu de camp je parlai le jeudi
soir de la Religion et de la Culture et tous
les assistants écoutaient si profondément que
j’eus la sensation, comme jamais encore, que
ma parole venait de bien plus loin que moi-
même. Et au feu du vendredi soir ce fut
une véritable communion spirituelle et une
commune résolution de ne plus servir la
guerre ! x
Que pendant une semaine, 1 5 o jeunes
gens et jeunes filles, et quelques-uns qui ne
sont plus tout jeunes par le chiffre des ans,
dont la plupart ne se connaissaient pas au
paravant, aient vécu dans la plus pure sim
plicité une vie profondément fraternelle, ve
nant d’Allemagne, d’Angleterre, de France,
de Hollqmde, de Suisse, de Belgique, du
Danemark,' de Norvège, d’Italie, de Chine,
de l’Inde, de Madagascar, n’est-ce point un
résultat admirable ?
Les organisateurs ont été bien récompen
sés de leurs peines, les campeurs se sont re
merciés mutuellement, tous se sont séparés
joyeux, réconfortés, reconnaissants.
Avec joie, nous avons accueilli le dernier
jour la leçon et les encouragements d’un glo
rieux aîné le général Percin qui malgré son
âge et la chaleur accablante vint nous appor
ter le témoignage de sa sympathie. Et ce fut
un geste plus que symbolique lorsque notre
camarade Kraschutzki, ex-officier de la ma
rine impériale allemande serra chaleureuse
ment la main de l’ancien grand maître de l’ar
tillerie française !
Ce camp a été pour nous une merveilleuse
expérience spirituelle, une démonstration, un
enseignement. Nous y avons trouvé des lu
mières précieuses. Et nous voici maintenant
sur cent points différents de la terre, revenus
chacun à nos occupations ordinaires, mais
gardant au cœur la parole que, dans sa simple
et magnifique causerie sous les grands sapins
de la forêt, au cours de notre promenade à
Port-Royal, Madeleine Vernet nous disait
avoir trouvée sur un vieux calvaire de son
pays : « Aime Dieu et va ton chemin ! »
D r M. DUMESNIL.
★
* *
Opinion d’un Témoin
Inoubliable est la journée que j’ai passée,
dimanche dernier çaoùt 1925. au camp d’ami
tié internationale organisé près de Che
vreuse.
i° Par. le Trait d'Union,æ uvre dont le fon
dateur est le Docteur Demarquette, et dont
le siège est 6 rue de Port-Mahon, à Paris ;
2 0 Par le Mouvement pacifique chrétien,
œuvre dont le fondateur est le Pasteur Henri
Huchet, de Courbevoie, dont le secrétaire
général est le Docteur Dumesnil, et dont le
siège est 5 i, Avenue Reilie, à Paris.
J’ai trouvé là réunis, sur un terrain appar
tenant au Docteur Demarquette, i 5 o jeunes
gens, presque autant de jeunes filles que de
jeunes garçons, dont environ 25 Français,
40 Allemands, 25 Anglais, 10 Américains,
3 o Hollandais, et une vingtaine de Belges,
Suisses, Italiens, Danois, Serbes, Norvé
giens, Hindous, Malgaches ou Chinois.
Il y avait des catholiques, des protestants,
des juifs et des libres-penseurs, tous unis
dans une pensée commune de fraternisation
des peuples du monde entier.
Les dimensions du terrain n’avaient pas
permis de réunir, Tannée dernière ni celle-
ci, plus de i 5 o campeurs On a dû refuser
de nombreuses demandes, entre autres
celles de 400 Allemands. On essayera de
faire mieux Tan prochain.
L’occupation du camp a duré du 3 au
9 août. Les campeurs étaient logés sous la
tente, faisant, chacun à tour de rôle, la cui
sine en plein air. Leur cabinet de toilette
était le rû de l’Ecosse Bouton, affluent de
l’Yvette, qui coule au bas de la propriété. La
nourriture était exclusivement végétarienne,
et d’une frugalité exemplaire. Pas un seul
domestique. Les corvées de vivres, d’eau et
de bois étaient faites par les campeurs.
Le Cure qui ma le Bon Dieu
Le curé du village était en chaire. Il venait
de réciter les prières dominicales et déjà ses
ouailles, attendant le sermon, s’apprêtaient
à dormir.
Mes frères, dit-il, je ne vous prêcherai pas
aujourd’hui. Je ne m’en sens pas digne. Un
remords m’étouffe. Il faut que je me confesse
à vous. »
Tous les yeux se rouvrirent tout grands.
Les paroissiens éberlués se demandaient s’ils
rêvaient ou si leur curé devenait fou. Dans
les stalles, le notaire et le pharmacien, qui
venaient chaque dimanche s’ennuyer à l’église
par obéissance à leurs femmes, échangèrent
deux regards heureux du scandale.
« Vous savez, continua le prêtre sans pa
raître remarquer le trouble que provoquaient
ses* paroles, vous savez tous que parti à la
mobilisation sous-lieutenant d’artillerie, je
revins capitaine. J’eus, durant plusieurs mois,
une batterie à commander. C’est alors que
je commis un crime affreux, le plus horrible
qu’un prêtre puisse commettre.
Nous étions dans un secteur calme. Devant
nos lignes, à quelques cents mètres, un
village semblable au nôtre groupait ses toits
roses autour d’un clocher pointu. Malgré sa
proximité de nos tranchées, les Allemands
n’avaient pas évacué sa population. Le matin,
à la jumelle, on voyait des femmes enjamber
le ruban blanc des tranchées ennemies et,
dans la plaine, à découvert, couper de l’herbe
pour leurs lapins. Nos mitrailleuses se tai
saient alors. On évitait d’ailleurs de tirer sur
le village, et les boches y vivaient tranquilles,
abrités derrière leurs otages.
De mon observatoire, sur un arbre, je
m’amusais à les épier ; je passais des heures
entières sur mon perchoir, car il n’est rien
de plus passionnant que de surprendre l’en
nemi qui se cache,de le voir vivre sans qu’il
le sache. Peu à peu, j’appris à connaître le
village, ses habitudes, ses habitants. Je re
marquai le vieux curé qui, chaque matin,
dans l’humble église, pareille à la nôtre,
allait dire sa messe. La guerre n’avait pas in
terrompu ses prières ; chaque dimanche,
quelques fidèles se groupaient encore autour
de lui, et souvent des soldats allemands se
joignaient à eux. Pourquoi n’auraient-ils pas
prié le mêmè Dieu quand la même mort les
menaçait ?
Seules les cloches se taisaient, et pourtant
on eût dit parfois que, dans le clocher, quelque
chose bougeait.-J’observai attentivement, je
restai des heures la jumelle braquée, et je
finis par découvrir un soldat boche qui nous
guettait. Il n’était pas seul ; je vis trois têtes,
un jour, se pencher par l’abat-son. Ma curio
sité piquée, je retournai la nuit sur mon
perchoir'; je vis quelques flammes courtes
sortir de la tour, aussitôt suivies de claque
ments caractéristiques.Je ne doutai plus : il y
avait dans le clocher une mitrailleuse ennemie
qui tirait sur nous.
Il dépendait de moi de la détruire ; je
La semaine a été employée à des prome
nades et à des conférences en plein air.
Dimanche 9, dernière journée, ont parlé
après moi les Docteurs Demarquette et Du
mesnil, Burnand, Secrétaire administratif
de YUstica, Kraschutzki, officier de marine,
démissionnaire de la marine impériale alle
mande, et un certain nombre de campeurs.
Ce que j’ai admiré dans cette réunion,
c’est l’esprit de fraternité qui a rendu si fa
ciles l’exécution des corvées et la discipline.
Le soir, autour du feu de camp, c’était, ou
bien l’épanouissement joyeux des chants, ou
bien le recueillement dans la méditation de
hautes vérités spirituelles.
Dans la journée du 3 au 9 août, les jeunes
ont donné aux vieux une grande leçon. Que
d’hommes d’Etat en tireraient profit !
C’est avec une profonde émotion que j’ai
assisté à cette manifestation d’amitié inter
nationale, et que j’en rends compte aux lec
teurs de Y Universel.
Général PERCIN.
n’avais qu’à faire pointer Tune de mes pièce?
dans sa direction, et à donner Tordre de tirer.
Mon devoir de soldat me le commandait.
Mais pouvais-je, moi, prêtre, abattre un clo
cher ? Je songeais au nôtre dont la voix m’est
si douce ; je songeais au vieux curé que je
voyais passer tout courbé dans les rues du
village et qui s’écroulerait sans doute comme
les pierres de sa tour ; je songeais à Dieu
dont c’était la maison. Pouvais-je tirer contre
mon Dieu ?
J’attendis. Je ne parlai à personne de ma
découverte, j’évitai même d’y penser, je ne
retournai plus à l’observatoire. Il me tardait
d’être relevé de ce secteur. Mon remplaçant
se débrouillerait, rien ne l’empêcherait, lui,
d’abattre le clocher, mais que Dieu éloignât
de mes lèvres ce calice d'amertume !
Dieu ne m’exauça pas. Je vivais dans une
crainte perpétuelle, la conscience troublée.
Un beau jour, un jour de gai soleil, je ren
contrai des brancardiers dans un boyau qui
longeait ma batterie. Ils portaient un mori
bond sur une civière, un pauvre diable de
fantassin qu’une balle avait frappé à la tête.
Je revois ses yeux blancs, sa face livide, et
l’écume rosâtre qui bouillonnait à ses lèvres. Il
acheva de mourir tandis que je lui donnais
l’absolution.
« Les vaches ! dit l’un des brancardiers,
ils ont une mitrailleuse qui prend le boyau
des cuisines en enfilade. On ne peut pas faire
une corvée de soupe sans qu’elle nous arrose,
et maintenant, c’est presque tous les jours
qu’elle tue ou blesse quelqu’un ».
Je bondis. Cette mitrailleuse, je la con
naissais. C’était moi qui lui avais permis de
continuer son œuvre de mort. J’étais respon
sable du sang versé, je laissais tuer mes
frères. Chaque parole du brancardier s’en
foncait comme une épine en mon cœur.
Sans mot dire, je gagnai rapidement ma
batterie. Je n’hésitais plus. Le devoir m’appa
raissait clairement. Je pointai moi-même
une pièce sur le clocher, je n’avais confiance
qu’en moi pour cette besogne, je voulais
être sûr que le premier obus toucherait le
but. Puis je grimpai à mon ob§eryatoire et
commandai le feu par téléphone.
Presque aussitôt, je vis un nuage s’élever
de l’église. « Cessez le feu », criai-je, affolé.
Le coup, trop long, avait frappé l’abside, il
était tombé où Dieu reposait.
L’étendue de mon crime, je ne la connus
que plus tard, après Tarmistice ? quand je pus
interroger des habitants du village. Ils me
dirent que ce jour-là, leur vieux curé devait
porter le bon Dieu à un malade ; il venait
d’ouvrir la porte du tabernacle quand l’obus
tomba sur l’autel.Le prêtre fut mis en pièces
et Ton ne retrouva que des lambeaux de sa
chair, mêlés aux hosties, et qui avaient giclé
sur les murs.
Mes frères, vous avez entendu ma confes
sion. Moi qui ai lait vœu de servir Dieu et
de tout lui sacrifier, j’ai tué son ministre et
je l’ai tué lui-même, en sa divine Eucharistie.
Je suis indigne à jamais de l’élever dans
mes mains.
Et vous, pourquoi ne me maudissez-vous
pas ? Vous ne vous rendez donc pas compte
de mon crime ? Ah ! gens de peu de foi,
peuple misérable, qui trouvez bon que vos
prêtres sacrifient leur Dieu à la patrie, vous
ne vous rappelez donc pas la parole du
Christ : « Nul ne peut servir deuxmaîtres » ?
Vous adorez Dieu du bout des lèvres, mais
vous immolez vos fils à la nation. Et quand
ils sont morts, vous criez : « C’est horrible !
Dieu ne devrait pas permettre cela. » De quoi
vous plaignez-vous, peuple idolâtre ? Le
culte des idoles veut du sang.
Mes frères, pardonnez ma colère. Ma dou
leur m’égare. Ce n’est pas à moi d’accuser,
mais à moi de me frapper la poitrine. J’avais
la charge de vos âmes, je n’ai pas veillé sur
elles. Pis encore : lorsque parfois la défense
du Seigneur vous revenait en mémoire :
« Tu ne tueras point », j’ai calmé vos scru
pules. Je vous ai entraînés au combat. J’ai
donné l’exemple du meurtre. J’ai souillé de
sang mes mains consacrées. J’ai tué mon
Dieu. Malheur à moi 1 »
■ Et le prêtre s’enfuit de la chaire.
H. NADEL.
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