Titre : Revue du Havre et de la Seine-Inférieure : marine, commerce, agriculture, horticulture, histoire, sciences, littérature, beaux-arts, voyages, mémoires, mœurs, romans, nouvelles, feuilletons, tribunaux, théâtres, modes
Éditeur : [s.n.] (Havre)
Date d'édition : 1848-02-20
Contributeur : Morlent, Joseph (1793-1861). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859149v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 février 1848 20 février 1848
Description : 1848/02/20. 1848/02/20.
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
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Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9235394
Source : Bibliothèque municipale du Havre, Y2-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 11/06/2014
— 2 —
LE CHATEAU DE SAINT-JAMES.
QUATRIÈME PARTIE.
XIV.
liantes iirétentlons elle sir Marris.
Le sort de Jefferies, lu vie do son lils, peut-être, dépendent tout en
tiers do la parole unique qu’il va dire.
A l'idée du pouvoir momentané qu’il avait en Klain, Farlhom eut un
sourire triomphal.
Ces réll xions s’étaient si exclusivement emparées de tout son êlre,
qu’il n’avait pas même entendu le bruit qu’avait fait en rentrant le car
rosse du chancelier.
U réfl Ichissait et souriait encore quand Jefferies reparut.
Le chancelier avait quitté Saint-James l’es irit en désordre et la lôlo
perdue. Une incroyable confusion régnait à la cour, où les yeux com
mencé ni à se dessiller. La reine', qui se savait haïe du peuple , avait
compris lu première , avec sou instinct do femme , que l’orage viendrait
des cèles d > llel'an le, et .1 ic pies , dont une sécurité folle avait si long
temps entretenu l’orgueilleuse incurie, prévoyait enfin celle destinée mi
sérable, qui, le frappant jusque dans sa famille et le rendant victime de
ses propres enfuis, devait lui prêter une ressemblance si funeste avec le
roi L*ar, pauvre vieillard que ses counisuns abandonnent parce qu’il est
détrôné, que ses fi les renient parce que, disent-elles, il est fou.
Mué, Snakspearti avait par avance écrit l'épopée bourgeoise do la chute
du dernier roi Smart.
Toutes ces lamentations, toutes ces terreurs bourdonnaient encore aux
oreilles de Jeff ries.
U venait d’assister à une scène lugubre d'inquiélude et do découra
gement.
Le père Peters reculait devant l’œuvre qu'il avait ébauchée de ses
mains sacrés. La reine rêvait chaque nuit d’éclnfauds, de procès ter
ribles, de chambres éto Inès où les souverains, c'est-à-dire les élus de
Dieu, venaient s’agenou lier devant les élus du peuple, cette autre puis
sance qu’on essayait de nier, nuis qui pourtant surg ssa't à l’horizon,
destructive et mugissante comme le fl it d’une mer en fureur. La cou
ronne, pensait-elle en tremblant, n’a pas tonjou s suffi à préserver le
front des femmes de la honte d’une accusai on publique. Faible au mo
ment où le combat devenait douteux, Marie d'Ësle parlait déjà de fuir...
Unjseul homme, que les obstacles irritai'ni, et dont la résistance dou
blait les foices, s’opposait à cette déiouie géueiale.
C’était le chancelier Jefferies.
Plus le terrain oscillait sous ses pieds, plus il semblait ferme et iné
branlable. Ce jour-là môme, il s’élait engagé à éiab irer le plan d’une
guerre qu’il voulait déclarer il la fois à la trahison armée et à l’agres
sion discoureuse des free-holdcrs (I).
La vue do sir Morris le lappeia aux aux affaires qu’il avait laissées
chez lui, et portant la main à son front comme pour camprimer le lu-
mulie de ses'pensé s :
Eh bien 1 dit-il, le temps de mon absence a-t-il 'été bien employé?
qu’as tu à m’annoncer?
— Des nouvelles incroyables, mylord.
— Quoi donc?
— J’ai vu J.irvys. J’ai vu Josliua. Ce sont eux; mylord, qui ont volé le
pauvre 1 cen< ié Waller. 1 s lui ont [iris deux choses... son argent, d’abord,
on lui restituera... Puis ses papiers, que nous nous gardeions bien de
lui rendre, car ils valent de l’or et m’oril révélé un secret... oh ! mais...
un secret...
— Qui me louche? dit brusquement Jefferies impatienté des airs mys
térieux de Farlhom.
— Plus que vous ne pensez.
El sir Morris observa le chancelier en silence.
— Eh bien! alors qu’entends-lu? pourquoi rester ainsi muet.. im
mobile?
— Ali! permetlrz. my’ord, ma hardiesse va peut-être vous surprendre,
et je sens quo j > vais avoir besoin de toule votre iudulgence. Mais au
demeurant, et pour la prtm ère fois de ma vie quo je trouve un trésor,
il esl bien naturel que j\ n veuille tirer tout le proiii possible. Aussi, ai-je
résolu do ne vous livrer ce secret qu’à une condition.
— Une eon lition !
Jefferies ouvrit de grands yeux et toisa sir Morris de son regard le plus
insolent.
— Cela vous étonne? Tenez, venons tout da suite au fait... Je no suis
pas routent de vous, mylord.
Le cliancel er fit un ge.-ue d’impatience et do dédain.
— Oh! vous me traitez mal... ne le niez pas. Malgré les titres dont
vous avez do é ma livrée, je suis un valet ici ;... et, sans orgueil, cou-
venez-en, je vaux mieux que cela... Je dis donc mylord, que l’heure est
venue de reconnaître mes services nuiront -ni que par des récompenses il
lusoires ou de vagues promesses... Je iJis qu’il faut quo vos ac es répondent
à vos paroles, ei qu’eu fait de protecteur et de protégé, il n’est pus natu
rel que la gcntio-ilé de l’un rosie si longtemps au-dessous du dovoûuient
do l’autre.
— Et quo veux-tu donc quo je fasse pour loi?
— Ce que fit, à l'avènement de Charles II, Monk, duc d’Albemarle, en
faveur d’un certain Morris, homme sans capacité aucune, mais qui avait
l’inappréciable mérite d'être son confident. Malgré la ressemblance du
nom , je crois valoir mieux que ce Morris-là ; vous ôies aussi puissant
que Monk... L'occasion est donc belle, milord, pour imiter à mon égard
l’exemple du due d’A bemarle; et voilà, si vous voulez bien m’entendre,
ce que j’ose vous proposer aujourd'hui.
— Ah ! ah! lit le chancelier avec un grognement étrange , Morris ,
dis-tu? c'est singulier... je no me rappelle point... Aide un peu ma mé
moire... Q ml liiro valut doue à ion heureux homonyme la protection de
i’illuslro Monk?
— Celui de secrétaire d'état, répondit hautement sic, Morris.
— Et lu prétendrais?...
— Mon Dieu, milord, je sais loul ce que l’on peut dire. Mais serai-je le
premier que ses seules forces auront élevé si haut? De simple [Orcher
qu’il 61ni■, Félix Perctli n’est-il [tas devenu Sixte Quint? Qu’était donc
Thomas Volsey avant d’être nom no cardin il? Aviz-vous oublié que
sous Jacques |e r , le fils d'un pauvre gemiihomino d’Ecosse, lloberl
Corr, fut créé successivement lord d’Angleterre, grand trésorier et
chevalier de la Jarretière , par ces trois raisons, - assez mauvaises
d’ailleurs, — qu’il avait une jolie ligure, que son esprit plaisait au roi
et qu’il jouaii passablement du lu'li. Aujourd’hui de telle-: recommanda
tions no sufûraient plus, milord. Il faut à lu maison de Stuart des sol
dats vigoureux pour la défendre, des épaules robustes pour la sonienir.
Prônez Farlhom à l’essai, c’est un homme nouveau, qui n’ayant rien à
ménager, soit dans le passé, soit dans l’avenir, se glissera entre les whigs
et les tories, sans rien craindre des uns, ni rien espérer des autres.
Qu’a-t-on vu jusqu’ici? la roy .ulé mise en coupe réglée, des conseillers
qui foui trophée de ses dépouilles et abusent de leur pouvoir pour con
quérir, ceux-ci un avantage en favenV de leur communion personnelle,
ceux-là quelque bon gouvernement en Ecosse ou en Irlande, d’autres
enfin un peu de popularité. Halifax éiait de ces derniers. Faites com
prendre au roi, milord, qu'il ne régnera véritablement quejorsqu’il sera
dé.ivre de toute celte aristocratie orgueilleuse et ingrate, composée
d’autant de petits rois, dont les heureuses étoiles finiront pur obscure r
son soleil. Medirez-vous quo pour èlre ministre il faille des convictions?
En avez-vous une seule, vo is, milord ? Des principes? quels sont les
vôtres? Vous êtes l’homme du roi, voilà tout. Je serai l’homme de Jef
feries, moi... et quand Si Gai e m’aura vu à l’œuvre...
(I) Celui qui posrèâe un franc-fief.
* —En vérité, je t’admire, dil Jefferies qui frémissait d’impatience. Com-
meni 1 tu as pu croire que tu pouvais prendra la place lassée vacanto par
un Sunderland, un Clarendon, un Russell? mais lu n’estpas dans.ton
lwn sens, n’est-cc pas, toute folie a ses bornes, et celle-ci pourrait
te rrienor plus loin que tu no penses. Faut-il que nous commandions au
vénérable médecin de Bedlam une paire d’emraves ou une camisole de
force, pareille à celle dont il se sert pour les maniaques fuiicux? Allons,
allons, tu plaisantais, mon cher Farlhom... C'est bien... c’est très bien...
► ce serait mieux encore dans un autre moment, car nous avons à nou
occuper aujoiiid'hui de choses sérieuses.
— Oui, milord, vous avez raison, répondit très froidement Farthom.
Je plaisantais... et vous demande humblement pardon déduire un si mau
vais emploi de voire temps et du mien. Voire Grâce désire-t-elle con
naître le résultat des recherches de Jarvys et de Joshuà?
— Quelles questions ci que do mots inutiles 1
— Le peu que vous allez entend e compensera le trop quo je puis
avoir dit. Milord, vonsétiez bien informé. Le nom de ce jeune homme
n’est point Waller. Licencié ou non, il s’appelle Richard Benn, ains
q l’en font foi ces papiers que je viens de parcourir; et, s’il faut que j’a
chèvo une révélation que-voire pensée pénétrante a déjà complétée, ce
Richard Benn est un des rares débris de l'armée do Jacques Scott, duc
deMonmoulh, qui ont échappé, par miracle ou autrement, à la mort du
champ do bataille et à colle du gibet... Ce Richard Benn esl le rebelle
gracié que vous aviez donné en pâture à la mer, et dont la mer n'a pas
voulu. C’est, mieux encore que tout cela ..
— C’est l’aman! de Sarah ! s’étria Jefferies avec un emportement ter
rible. Mais au moins, repi it-il avec une colère mieux contenue, nous en
sommes bien sûrs, n’esl-ce pas?
— Ce qui est hors de doute, répondit sir Morris Farthom, c’est que le
licencié Walter s appelle bien réellement R-cbard Benn. Quant au resle,
a certitude doit êlre également entière, milord... car lorsque milady a
appris la perte du navire do John Cochrarie, il y a un nom qui a glissé
sur ses lèvres et quo mon oreille a recueilli...
Jefferies regarua fixement sir Morris.
— Pour vous le transmettre, milord, fit ce dernier en s’inclinant.
— Et ce nom ?...
— Etait celui de Richard.
Un feu sauvage étincela sous la paupière de Jefferies.
— EnfinI voilà donc une heure de vraie jouissance dans ma vie!
L’homme qui aune Sarah... celui qu'elle aime encore... là... devant moi...
sous ma main 1
L'émotion le suffoquait. Il cessa de parler, et les seules palpitations de
sa largo poitrine révélèrent les secrètes convulsious de sa joie.
— St je comprends les intentions do milord, reprit Farthom, la fêle
commandée pour ce soir n’aura pas lieu. Il ne s’agit plus, en effet, d’une
lutte théülogique ou d’un tournoi d'éloquence avec le licencié Waller,
mais d’un jugement en bonne forme à tendre contre un criminel d’étal
que son obstination dangereuse rend indigne do tout pardon. Le cas est
urgent. Milord désire-t-il que je donne contr’ordro?...
— Contre-ordre! répliqua le chancelier en s’arrachant à ses réflexions,
el-pourquoi donc cela? Je veux, au contraire, une fête dont l’éclat ne le
cèle à aucune autre, et dont l’écho retentisse depuis le noble quartier de
Westminster jusqu’aux noirs bouges de la Cité. Nous comptons jusqu’à
présent sur cerit înviiés, n’est-ce pua? Il m’en faut cinq cents, il m’en
faut mille!... Vite, Faithom, vile... Sois tour à tour, pendant b's deux
ou irois heures que tuas devant loi, mon secrétaire et mon messager.
Vafcvoir les uns do ma part... écris en mon nom aux autres. Tu sais
parmi la noblesse et la bourgeoisie de Londres, ceux qui peuvent en
trer dans:1a maison de Jtffurrs et ceux qui en sont exclus... Vu... va.
El, sans larder davantage, Jefferies appela d’une voix éclatante tous scs
serviteurs. Il se fit suivre par eux à iravers les longs corridors qui sépa
raient ses appartenions du bâtiment principal de la Chancellerie et attei
gnit bientôt la salle de Haute justice. Arrivé là, il étudia d’un coup d’œil
rapide les dispositions do cette salie et le parti qu’on on pouvait
tirer. Sur quelques ordres donnés à voix basrè, quelques uns des
valets sortirent, tandis que les autres , s’attribuant chacun une part vo
lontaire de l’ouvrage, se dispersaient pour aller remplir, dans ses diver
ses parties à la fois, la mission qui leur était échue.
Un quari-d’heure après, les valets qui étaient sortis rentrèrent, rame
nant avec eux une longue (ilo d’ouvriers, dont les bras robustes contri
buèrent activement aux progrès du travail ébauche. Par degrés, une
transformation s’opéra dons celle vaste enceinte à laquelle les emblèmes
redoutables de la justice anglaise avaient jusque-là prêté un caractère
solennel de irisiesso et do sévérité. Pendant une heure, on n’entendii
plus que le bruit confus et irrégulier des marteaux qui clouaient les
riches tapisseries aux lignes saillantes des corniches. Bientôt les fauteuils
et les pltans de velours rouge à bois doré, les tapis aux nuances vives et
éclatantes, les lustres et les candé abres en verroterie de Venise , com
plétèrent l'ensemble exigé d’une fête.
Jefferies contemplait ces préparatifs avec une satisfaction fébrile.
Quand tout fut fini, un nuage passa sur ses yeux, et, sous co nuage,
britla un éclair d’inquiétude.
— Oh! murmura-t-il à iravers ses dents serrées, pourvu qu’il ne
manque pas, maintenant !...
XV.
La Béeeiilion.
Le so'r élait venu.
Les flambeaux à branches d’or scintillaient aux pans de la muraille
improvisée comme des groupes d’étoiles ; chaque marche de l’escalier
avait sa caisse de (leurs qui exhalait un parfum différent.
Femmes et hommes se pressaient sous les hautes voûtes somptueuse
ment éclairées, et il n’y avait qu’une voix pour entonner la louange du
magicien puissant qui avait su métamorphoser l’enceinte austère où
avaient si souvent frémi les soupirs et les lamentations des coupables, en
un charmant sanctuaire où rayonnaient maintenant ces deux belles
étoiles de toute fête mondaine, le luxe et la beauté.
Pour la première fois, Sarah faisait les honneurs d’une réception pré
sidée par Jefferies.
Elle était là, une main appuyée sur son cœur, comme pour en étouf
fer les palpitations, l'autre passée au bras do son père, saluant triste
ment ceux-ai, souriant péniblement à ceux-là, pâle, faible, brisée et ce
pendant, à traveis tous ces symptômes do souffrances, éblouissante de
grâces et do séductions.
— Quelle merveilleuse parure, madame, lui dit le chancelier en se
penchant vers elle; on y voit éclater le bon goût de celle qui la porte.
Sarah jeta sur elle un regard distrait ; elle ne savait mémo pas quel
élait sou coslumc, Jean seule l’avait choisi.
— Oh ! reprit Jefferies en s'efforçant do sourire, rien n’y manque, ni
la richesse, ni ia simplicités., et vraiment, vous avez bien lait de no rien
épargner pour cotte solennité,- car elle fera époque dans les souvenirs de
Londres... et dans les vôtres, j’espère... Quelle foule! milady, et dans
cette foule, que de célébrités!... C’est à peine si vous avez jusqu’à pré
sent daigné m’accompagner à ia cour... aussi, tous ces personnages, si
glorieux, si célèbres, vous sont-ils tous à peu près inconnus... Tenez,cet
élégant seigneur, avec qui je causais lout-à-l’heure, c’est M. de Barillon,
ambassadeur du roi Louis XIV. Nous lui avons donné toute noire ami
tié—et il nous la paie en bons écus de France... cher Barrillon ! Voici
les membres du comité privé... Ainsi rassemblés, ne les dirait-on pas sui
te point d’entrer en séance? Mais je no vois pas encore le vonérablo père
Peters, il tarde bien... je suis sûr pourtant qu'il viendra... Mais, l’invilé
le plus important du jour, celui qui va confisquer à son profit tous les re
gards, est sans contredit ce jeune orateur qui fait si grand bruit en villo
et dont les harangues jettent le désordre dans tous les districts religieux...
car on assure qu’il a une religion à lui lout seul, et qu’il n’est ni angli
can, ni papiste, ni catholique, ni protestant... Je voudrais bien savoir
quel principe affirmatif il a su faire jaillir do lotîtes ces négalious réu
nies ! N’êtes-vous pas curieuse, milady, de voir et d’entendre un peu
l’homme sur lequel l’attention universelle so fixe aujourd’hui, le licencié
Walter?
— Walter... qu’ess-ce donc que ce Walter? demanda Sarah avec in
souciance.
— Est-ce la première fois que vous entendez prononcer ce nom, mi
lady?
— La première fois, milord.
Jefferies lança à la jeune femmo un regard oblique et resta convaincu
qu’ello disait vrai.
— Tant mieux, pensa-t-il, nous aurons une surprise.
Et Jefferies se mêla à ses invités. Son attitude était triomphante. 11
portait la lête haute et pariait sur toutes choses avec uno grande abon
dance de paroles et uno parfaite liberté d’esprit.
— I! paraît que les affaires vont mieux, disaient les uns, car le lord-
chancelier est rayonnant.
— Pour cette raison même, il est à craindre quelles ne soient au pis,
répliquaient les autres, — et e s derniers, nous devons le dire, étaient
ceux qui connaissaient le mieux Jefferies.
Sur cos entrefaites, le père Peters arriva.Son visage élait sombre, et il
jeta sur celle foule brillante de diainans et d’or un regard sévère et in
vestigateur.
— Eli I mon père ! s’écria Jefferies en l’apercevani, je ne vous espérais
plus. Vous venez de Saint James ?... Comment avez-vous laissé le roi?
— Courbé sur une lettre du marquis d'Abbevillo, son ministre à La
Haye.
— Et la reine ?
— A genoux près de lui sur un prie-Dieu.
— Quoi ! mon père... il s’agit donc d’une nouvelle?...
— Effroyable. La flotte hollandaise a touché l’Angleterre. Un parle de
cinq cents voiles. Le prince d’Orarige s’avance contre nous... Oui, mon
cher Georges, voilà do quelles foudres inattendue esl menacée notre
sainte Eglise.
11 s’arrêta, puis reprit presque aussitôt avec un accent de reproche :
— Et c’est dans un tel moment quo vous, notre fils bien-aimé, notre
ami le plus sûr, vous osez, par des réjouissances, par une fête... insul
ter en quelque sorte...
— Oh ! soyez sans inquiétude, mon père, répliqua le chancelier à voix
basse, Jefferies sait ce qu'il fait. D’abord, le meilleur moyen, selon moi,
d’agir sur le pouple, est de frapper son intelligence en parlant à ses
yeux... On rit, on joue, on soupe chez le lord chancelier... donc tout
est calme... donc tout va bien... La sécurité, quand elle esl habilement
jouée, impose à la malveillance et vaut mieux qu’un excès de précaution.
En second lieu, mon père, la fêle do ce soir a encore une autre signifi
cation... que je ne veux pas vous dire, afin de vous laisser le plaisir de
la surprise...
Et, en disant ceci, les yeux de Jefferies se portaient avec uno anxiété
visible sur la porte d’entrée.
— Vous attendez quelqu’un?... demanda le jésuito en baissant la
voix.
— Oui, mon père, oui... j’attends quelqu’un... quoiqu’un qui se fait
bien désirer... et que vous prendrez p'ai-ir, j’en suis sûr, à rencontrer
au milieu de nous... Surtout, ne vous éloignez pas, car, celte nuit même,
nous aurons peui-ôire besoin de votre saint ministère.
Le père Pctars contempla le chancelier dans un étonnement silencieux,
et voulut lui adresser encore une question. Mais Jeff ries l'avait quitté
brusquement en voyant entrer Goiolphin, lo chambel'an do la reino,
dont les traits altères semblaient porter avec eux un sinistre présage.
— Vous paraissez contrarié, mon cher Godolphid, dit le chancelier en
allant au devant de lui, l’air souriant et la physionomie ouverte. Auriez-
vous entendu aujourd'hui quelque prêche assommant ou coudoyé, en
marchant, quelque sale hérétique?
— Non, mylord, mais j’ai appris des choses...
— Qui vous surprennent? Je vous r- connais bien là, mon cherGodol-
phin... toujours prêt, dans votre dévoûment si louable, mais un peu trop
ombrageux, à voir teuton noir et à jeter le cri d'alarme 1
— Savez-vous lo débarquement de Guillaume? répliqua gravement
lord Godolphin.
— Oh! depuis plus d’un quart-d’heure... c’est déjà, vous le voyez, de
l’histoire ancienne.
— Mais ce quo vous ne savez pas sans doute, car je ne vous verrais
certainement pas si joyeux, c’est la contagion qui gagne la noblesse an
glaise, mylord, c’est le progrès quo fut la trahison.
— Et quels sont donc les grands noms qui consentent à se dé.honorer
ainsi ?
— Le major Barringlon marche en lôlo do celle armée do traîtres fé
lons, répondit Godolphin, et pour qu’il ne restât aucun douât sur sa
trahison, il a baisé le premier la main du prince. Les maisons d’Abing-
ton. de Badfort et dt Davonshirc, lasses sans doute do per et- l’écusson
sans tache, lui ont envoyé des ambass tdours. Les ducs de Norfo'k et do
Sommers sont partis pour Excester. On oit ntôint quo les pélans du col
lège d’Oxl'ord ont offert à la nouvelle idole leur vaisselle d’argent pour
snbvenir aux fruit do l’expédition. Le cheval du courrier q ti nous a re
mis tous ces rapports, mon cher G .-orges, et encore attaché, poudreux
et haletant, aux grilles du palais de Saint-James.
Jefferies guoltait toujours rentrée do la salle ; mais cette préoccupa
tion, si exclusive q-t’ello jiût être, no l’avait pas empêché d’entendre, mot
à mot, tout ctque lui avait dit Godolphin.
— Jo vous remercie, murmura-t-il en proie à uno sombre médilation,
do m’avoir mis au cou -anl de tous ces faits. Depuis quelque temps, nous
avions essayé do la clémence, le roi le voulait, les rois ont comme cela
des momeds d’oubli. C’est une faute, milord, une grande faille qu'ii nous
faudra réparer la plus lût possible. Oui, oui, nous nous mettrons à l’œu
vre...
— Dès demain, dit Godolphin avec feu.
— Dès ce soir ! ajouia Jefferies d’une voix creuse.
Et ses yeux, lournés d ms la mène direction, dardaient toujours au
même rayon lumineux, fauve et sanglant.
La sueur mouillait ses tempes... Los mouvomens de sa poitrine se fai
saient plus rapides et plus pressés.
Dans son regari, dans sou attitude, dans l’expression do son visage,
tantôt pourpre et tan ûl blétne, il y avait ces quatre mots écrits en carac
tères lisibles :
— Quand viendra-t-il donc?
Enfin, les abords de la porte d’entrée retendront d’uno rumeur étran
ge. Un nouveau venu y apparaisrait sous le modeste vêtement de licen
cié do l’nmversilô d’Oxford... On se pressait, on faisait corclo autour do
lui... il élait le point de mire de tous les regards...
La voix claire de l’un dos huissiers jeltaaux assistons curieux cette
ormule où la poliiesse cérémonieuse élait mieux observée sans doute
fque la stricte vérité :
— Son honneur le licencié Waller!
XVI.
lae Itéroi* de 1» fête.
Jefferies alla aussitôt à sa rencontre, et deux saluts s’échangèrent. La
confiance presque téméraire de ce personnage mystérieux faisait de lui
I
LE CHATEAU DE SAINT-JAMES.
QUATRIÈME PARTIE.
XIV.
liantes iirétentlons elle sir Marris.
Le sort de Jefferies, lu vie do son lils, peut-être, dépendent tout en
tiers do la parole unique qu’il va dire.
A l'idée du pouvoir momentané qu’il avait en Klain, Farlhom eut un
sourire triomphal.
Ces réll xions s’étaient si exclusivement emparées de tout son êlre,
qu’il n’avait pas même entendu le bruit qu’avait fait en rentrant le car
rosse du chancelier.
U réfl Ichissait et souriait encore quand Jefferies reparut.
Le chancelier avait quitté Saint-James l’es irit en désordre et la lôlo
perdue. Une incroyable confusion régnait à la cour, où les yeux com
mencé ni à se dessiller. La reine', qui se savait haïe du peuple , avait
compris lu première , avec sou instinct do femme , que l’orage viendrait
des cèles d > llel'an le, et .1 ic pies , dont une sécurité folle avait si long
temps entretenu l’orgueilleuse incurie, prévoyait enfin celle destinée mi
sérable, qui, le frappant jusque dans sa famille et le rendant victime de
ses propres enfuis, devait lui prêter une ressemblance si funeste avec le
roi L*ar, pauvre vieillard que ses counisuns abandonnent parce qu’il est
détrôné, que ses fi les renient parce que, disent-elles, il est fou.
Mué, Snakspearti avait par avance écrit l'épopée bourgeoise do la chute
du dernier roi Smart.
Toutes ces lamentations, toutes ces terreurs bourdonnaient encore aux
oreilles de Jeff ries.
U venait d’assister à une scène lugubre d'inquiélude et do découra
gement.
Le père Peters reculait devant l’œuvre qu'il avait ébauchée de ses
mains sacrés. La reine rêvait chaque nuit d’éclnfauds, de procès ter
ribles, de chambres éto Inès où les souverains, c'est-à-dire les élus de
Dieu, venaient s’agenou lier devant les élus du peuple, cette autre puis
sance qu’on essayait de nier, nuis qui pourtant surg ssa't à l’horizon,
destructive et mugissante comme le fl it d’une mer en fureur. La cou
ronne, pensait-elle en tremblant, n’a pas tonjou s suffi à préserver le
front des femmes de la honte d’une accusai on publique. Faible au mo
ment où le combat devenait douteux, Marie d'Ësle parlait déjà de fuir...
Unjseul homme, que les obstacles irritai'ni, et dont la résistance dou
blait les foices, s’opposait à cette déiouie géueiale.
C’était le chancelier Jefferies.
Plus le terrain oscillait sous ses pieds, plus il semblait ferme et iné
branlable. Ce jour-là môme, il s’élait engagé à éiab irer le plan d’une
guerre qu’il voulait déclarer il la fois à la trahison armée et à l’agres
sion discoureuse des free-holdcrs (I).
La vue do sir Morris le lappeia aux aux affaires qu’il avait laissées
chez lui, et portant la main à son front comme pour camprimer le lu-
mulie de ses'pensé s :
Eh bien 1 dit-il, le temps de mon absence a-t-il 'été bien employé?
qu’as tu à m’annoncer?
— Des nouvelles incroyables, mylord.
— Quoi donc?
— J’ai vu J.irvys. J’ai vu Josliua. Ce sont eux; mylord, qui ont volé le
pauvre 1 cen< ié Waller. 1 s lui ont [iris deux choses... son argent, d’abord,
on lui restituera... Puis ses papiers, que nous nous gardeions bien de
lui rendre, car ils valent de l’or et m’oril révélé un secret... oh ! mais...
un secret...
— Qui me louche? dit brusquement Jefferies impatienté des airs mys
térieux de Farlhom.
— Plus que vous ne pensez.
El sir Morris observa le chancelier en silence.
— Eh bien! alors qu’entends-lu? pourquoi rester ainsi muet.. im
mobile?
— Ali! permetlrz. my’ord, ma hardiesse va peut-être vous surprendre,
et je sens quo j > vais avoir besoin de toule votre iudulgence. Mais au
demeurant, et pour la prtm ère fois de ma vie quo je trouve un trésor,
il esl bien naturel que j\ n veuille tirer tout le proiii possible. Aussi, ai-je
résolu do ne vous livrer ce secret qu’à une condition.
— Une eon lition !
Jefferies ouvrit de grands yeux et toisa sir Morris de son regard le plus
insolent.
— Cela vous étonne? Tenez, venons tout da suite au fait... Je no suis
pas routent de vous, mylord.
Le cliancel er fit un ge.-ue d’impatience et do dédain.
— Oh! vous me traitez mal... ne le niez pas. Malgré les titres dont
vous avez do é ma livrée, je suis un valet ici ;... et, sans orgueil, cou-
venez-en, je vaux mieux que cela... Je dis donc mylord, que l’heure est
venue de reconnaître mes services nuiront -ni que par des récompenses il
lusoires ou de vagues promesses... Je iJis qu’il faut quo vos ac es répondent
à vos paroles, ei qu’eu fait de protecteur et de protégé, il n’est pus natu
rel que la gcntio-ilé de l’un rosie si longtemps au-dessous du dovoûuient
do l’autre.
— Et quo veux-tu donc quo je fasse pour loi?
— Ce que fit, à l'avènement de Charles II, Monk, duc d’Albemarle, en
faveur d’un certain Morris, homme sans capacité aucune, mais qui avait
l’inappréciable mérite d'être son confident. Malgré la ressemblance du
nom , je crois valoir mieux que ce Morris-là ; vous ôies aussi puissant
que Monk... L'occasion est donc belle, milord, pour imiter à mon égard
l’exemple du due d’A bemarle; et voilà, si vous voulez bien m’entendre,
ce que j’ose vous proposer aujourd'hui.
— Ah ! ah! lit le chancelier avec un grognement étrange , Morris ,
dis-tu? c'est singulier... je no me rappelle point... Aide un peu ma mé
moire... Q ml liiro valut doue à ion heureux homonyme la protection de
i’illuslro Monk?
— Celui de secrétaire d'état, répondit hautement sic, Morris.
— Et lu prétendrais?...
— Mon Dieu, milord, je sais loul ce que l’on peut dire. Mais serai-je le
premier que ses seules forces auront élevé si haut? De simple [Orcher
qu’il 61ni■, Félix Perctli n’est-il [tas devenu Sixte Quint? Qu’était donc
Thomas Volsey avant d’être nom no cardin il? Aviz-vous oublié que
sous Jacques |e r , le fils d'un pauvre gemiihomino d’Ecosse, lloberl
Corr, fut créé successivement lord d’Angleterre, grand trésorier et
chevalier de la Jarretière , par ces trois raisons, - assez mauvaises
d’ailleurs, — qu’il avait une jolie ligure, que son esprit plaisait au roi
et qu’il jouaii passablement du lu'li. Aujourd’hui de telle-: recommanda
tions no sufûraient plus, milord. Il faut à lu maison de Stuart des sol
dats vigoureux pour la défendre, des épaules robustes pour la sonienir.
Prônez Farlhom à l’essai, c’est un homme nouveau, qui n’ayant rien à
ménager, soit dans le passé, soit dans l’avenir, se glissera entre les whigs
et les tories, sans rien craindre des uns, ni rien espérer des autres.
Qu’a-t-on vu jusqu’ici? la roy .ulé mise en coupe réglée, des conseillers
qui foui trophée de ses dépouilles et abusent de leur pouvoir pour con
quérir, ceux-ci un avantage en favenV de leur communion personnelle,
ceux-là quelque bon gouvernement en Ecosse ou en Irlande, d’autres
enfin un peu de popularité. Halifax éiait de ces derniers. Faites com
prendre au roi, milord, qu'il ne régnera véritablement quejorsqu’il sera
dé.ivre de toute celte aristocratie orgueilleuse et ingrate, composée
d’autant de petits rois, dont les heureuses étoiles finiront pur obscure r
son soleil. Medirez-vous quo pour èlre ministre il faille des convictions?
En avez-vous une seule, vo is, milord ? Des principes? quels sont les
vôtres? Vous êtes l’homme du roi, voilà tout. Je serai l’homme de Jef
feries, moi... et quand Si Gai e m’aura vu à l’œuvre...
(I) Celui qui posrèâe un franc-fief.
* —En vérité, je t’admire, dil Jefferies qui frémissait d’impatience. Com-
meni 1 tu as pu croire que tu pouvais prendra la place lassée vacanto par
un Sunderland, un Clarendon, un Russell? mais lu n’estpas dans.ton
lwn sens, n’est-cc pas, toute folie a ses bornes, et celle-ci pourrait
te rrienor plus loin que tu no penses. Faut-il que nous commandions au
vénérable médecin de Bedlam une paire d’emraves ou une camisole de
force, pareille à celle dont il se sert pour les maniaques fuiicux? Allons,
allons, tu plaisantais, mon cher Farlhom... C'est bien... c’est très bien...
► ce serait mieux encore dans un autre moment, car nous avons à nou
occuper aujoiiid'hui de choses sérieuses.
— Oui, milord, vous avez raison, répondit très froidement Farthom.
Je plaisantais... et vous demande humblement pardon déduire un si mau
vais emploi de voire temps et du mien. Voire Grâce désire-t-elle con
naître le résultat des recherches de Jarvys et de Joshuà?
— Quelles questions ci que do mots inutiles 1
— Le peu que vous allez entend e compensera le trop quo je puis
avoir dit. Milord, vonsétiez bien informé. Le nom de ce jeune homme
n’est point Waller. Licencié ou non, il s’appelle Richard Benn, ains
q l’en font foi ces papiers que je viens de parcourir; et, s’il faut que j’a
chèvo une révélation que-voire pensée pénétrante a déjà complétée, ce
Richard Benn est un des rares débris de l'armée do Jacques Scott, duc
deMonmoulh, qui ont échappé, par miracle ou autrement, à la mort du
champ do bataille et à colle du gibet... Ce Richard Benn esl le rebelle
gracié que vous aviez donné en pâture à la mer, et dont la mer n'a pas
voulu. C’est, mieux encore que tout cela ..
— C’est l’aman! de Sarah ! s’étria Jefferies avec un emportement ter
rible. Mais au moins, repi it-il avec une colère mieux contenue, nous en
sommes bien sûrs, n’esl-ce pas?
— Ce qui est hors de doute, répondit sir Morris Farthom, c’est que le
licencié Walter s appelle bien réellement R-cbard Benn. Quant au resle,
a certitude doit êlre également entière, milord... car lorsque milady a
appris la perte du navire do John Cochrarie, il y a un nom qui a glissé
sur ses lèvres et quo mon oreille a recueilli...
Jefferies regarua fixement sir Morris.
— Pour vous le transmettre, milord, fit ce dernier en s’inclinant.
— Et ce nom ?...
— Etait celui de Richard.
Un feu sauvage étincela sous la paupière de Jefferies.
— EnfinI voilà donc une heure de vraie jouissance dans ma vie!
L’homme qui aune Sarah... celui qu'elle aime encore... là... devant moi...
sous ma main 1
L'émotion le suffoquait. Il cessa de parler, et les seules palpitations de
sa largo poitrine révélèrent les secrètes convulsious de sa joie.
— St je comprends les intentions do milord, reprit Farthom, la fêle
commandée pour ce soir n’aura pas lieu. Il ne s’agit plus, en effet, d’une
lutte théülogique ou d’un tournoi d'éloquence avec le licencié Waller,
mais d’un jugement en bonne forme à tendre contre un criminel d’étal
que son obstination dangereuse rend indigne do tout pardon. Le cas est
urgent. Milord désire-t-il que je donne contr’ordro?...
— Contre-ordre! répliqua le chancelier en s’arrachant à ses réflexions,
el-pourquoi donc cela? Je veux, au contraire, une fête dont l’éclat ne le
cèle à aucune autre, et dont l’écho retentisse depuis le noble quartier de
Westminster jusqu’aux noirs bouges de la Cité. Nous comptons jusqu’à
présent sur cerit înviiés, n’est-ce pua? Il m’en faut cinq cents, il m’en
faut mille!... Vite, Faithom, vile... Sois tour à tour, pendant b's deux
ou irois heures que tuas devant loi, mon secrétaire et mon messager.
Vafcvoir les uns do ma part... écris en mon nom aux autres. Tu sais
parmi la noblesse et la bourgeoisie de Londres, ceux qui peuvent en
trer dans:1a maison de Jtffurrs et ceux qui en sont exclus... Vu... va.
El, sans larder davantage, Jefferies appela d’une voix éclatante tous scs
serviteurs. Il se fit suivre par eux à iravers les longs corridors qui sépa
raient ses appartenions du bâtiment principal de la Chancellerie et attei
gnit bientôt la salle de Haute justice. Arrivé là, il étudia d’un coup d’œil
rapide les dispositions do cette salie et le parti qu’on on pouvait
tirer. Sur quelques ordres donnés à voix basrè, quelques uns des
valets sortirent, tandis que les autres , s’attribuant chacun une part vo
lontaire de l’ouvrage, se dispersaient pour aller remplir, dans ses diver
ses parties à la fois, la mission qui leur était échue.
Un quari-d’heure après, les valets qui étaient sortis rentrèrent, rame
nant avec eux une longue (ilo d’ouvriers, dont les bras robustes contri
buèrent activement aux progrès du travail ébauche. Par degrés, une
transformation s’opéra dons celle vaste enceinte à laquelle les emblèmes
redoutables de la justice anglaise avaient jusque-là prêté un caractère
solennel de irisiesso et do sévérité. Pendant une heure, on n’entendii
plus que le bruit confus et irrégulier des marteaux qui clouaient les
riches tapisseries aux lignes saillantes des corniches. Bientôt les fauteuils
et les pltans de velours rouge à bois doré, les tapis aux nuances vives et
éclatantes, les lustres et les candé abres en verroterie de Venise , com
plétèrent l'ensemble exigé d’une fête.
Jefferies contemplait ces préparatifs avec une satisfaction fébrile.
Quand tout fut fini, un nuage passa sur ses yeux, et, sous co nuage,
britla un éclair d’inquiétude.
— Oh! murmura-t-il à iravers ses dents serrées, pourvu qu’il ne
manque pas, maintenant !...
XV.
La Béeeiilion.
Le so'r élait venu.
Les flambeaux à branches d’or scintillaient aux pans de la muraille
improvisée comme des groupes d’étoiles ; chaque marche de l’escalier
avait sa caisse de (leurs qui exhalait un parfum différent.
Femmes et hommes se pressaient sous les hautes voûtes somptueuse
ment éclairées, et il n’y avait qu’une voix pour entonner la louange du
magicien puissant qui avait su métamorphoser l’enceinte austère où
avaient si souvent frémi les soupirs et les lamentations des coupables, en
un charmant sanctuaire où rayonnaient maintenant ces deux belles
étoiles de toute fête mondaine, le luxe et la beauté.
Pour la première fois, Sarah faisait les honneurs d’une réception pré
sidée par Jefferies.
Elle était là, une main appuyée sur son cœur, comme pour en étouf
fer les palpitations, l'autre passée au bras do son père, saluant triste
ment ceux-ai, souriant péniblement à ceux-là, pâle, faible, brisée et ce
pendant, à traveis tous ces symptômes do souffrances, éblouissante de
grâces et do séductions.
— Quelle merveilleuse parure, madame, lui dit le chancelier en se
penchant vers elle; on y voit éclater le bon goût de celle qui la porte.
Sarah jeta sur elle un regard distrait ; elle ne savait mémo pas quel
élait sou coslumc, Jean seule l’avait choisi.
— Oh ! reprit Jefferies en s'efforçant do sourire, rien n’y manque, ni
la richesse, ni ia simplicités., et vraiment, vous avez bien lait de no rien
épargner pour cotte solennité,- car elle fera époque dans les souvenirs de
Londres... et dans les vôtres, j’espère... Quelle foule! milady, et dans
cette foule, que de célébrités!... C’est à peine si vous avez jusqu’à pré
sent daigné m’accompagner à ia cour... aussi, tous ces personnages, si
glorieux, si célèbres, vous sont-ils tous à peu près inconnus... Tenez,cet
élégant seigneur, avec qui je causais lout-à-l’heure, c’est M. de Barillon,
ambassadeur du roi Louis XIV. Nous lui avons donné toute noire ami
tié—et il nous la paie en bons écus de France... cher Barrillon ! Voici
les membres du comité privé... Ainsi rassemblés, ne les dirait-on pas sui
te point d’entrer en séance? Mais je no vois pas encore le vonérablo père
Peters, il tarde bien... je suis sûr pourtant qu'il viendra... Mais, l’invilé
le plus important du jour, celui qui va confisquer à son profit tous les re
gards, est sans contredit ce jeune orateur qui fait si grand bruit en villo
et dont les harangues jettent le désordre dans tous les districts religieux...
car on assure qu’il a une religion à lui lout seul, et qu’il n’est ni angli
can, ni papiste, ni catholique, ni protestant... Je voudrais bien savoir
quel principe affirmatif il a su faire jaillir do lotîtes ces négalious réu
nies ! N’êtes-vous pas curieuse, milady, de voir et d’entendre un peu
l’homme sur lequel l’attention universelle so fixe aujourd’hui, le licencié
Walter?
— Walter... qu’ess-ce donc que ce Walter? demanda Sarah avec in
souciance.
— Est-ce la première fois que vous entendez prononcer ce nom, mi
lady?
— La première fois, milord.
Jefferies lança à la jeune femmo un regard oblique et resta convaincu
qu’ello disait vrai.
— Tant mieux, pensa-t-il, nous aurons une surprise.
Et Jefferies se mêla à ses invités. Son attitude était triomphante. 11
portait la lête haute et pariait sur toutes choses avec uno grande abon
dance de paroles et uno parfaite liberté d’esprit.
— I! paraît que les affaires vont mieux, disaient les uns, car le lord-
chancelier est rayonnant.
— Pour cette raison même, il est à craindre quelles ne soient au pis,
répliquaient les autres, — et e s derniers, nous devons le dire, étaient
ceux qui connaissaient le mieux Jefferies.
Sur cos entrefaites, le père Peters arriva.Son visage élait sombre, et il
jeta sur celle foule brillante de diainans et d’or un regard sévère et in
vestigateur.
— Eli I mon père ! s’écria Jefferies en l’apercevani, je ne vous espérais
plus. Vous venez de Saint James ?... Comment avez-vous laissé le roi?
— Courbé sur une lettre du marquis d'Abbevillo, son ministre à La
Haye.
— Et la reine ?
— A genoux près de lui sur un prie-Dieu.
— Quoi ! mon père... il s’agit donc d’une nouvelle?...
— Effroyable. La flotte hollandaise a touché l’Angleterre. Un parle de
cinq cents voiles. Le prince d’Orarige s’avance contre nous... Oui, mon
cher Georges, voilà do quelles foudres inattendue esl menacée notre
sainte Eglise.
11 s’arrêta, puis reprit presque aussitôt avec un accent de reproche :
— Et c’est dans un tel moment quo vous, notre fils bien-aimé, notre
ami le plus sûr, vous osez, par des réjouissances, par une fête... insul
ter en quelque sorte...
— Oh ! soyez sans inquiétude, mon père, répliqua le chancelier à voix
basse, Jefferies sait ce qu'il fait. D’abord, le meilleur moyen, selon moi,
d’agir sur le pouple, est de frapper son intelligence en parlant à ses
yeux... On rit, on joue, on soupe chez le lord chancelier... donc tout
est calme... donc tout va bien... La sécurité, quand elle esl habilement
jouée, impose à la malveillance et vaut mieux qu’un excès de précaution.
En second lieu, mon père, la fêle do ce soir a encore une autre signifi
cation... que je ne veux pas vous dire, afin de vous laisser le plaisir de
la surprise...
Et, en disant ceci, les yeux de Jefferies se portaient avec uno anxiété
visible sur la porte d’entrée.
— Vous attendez quelqu’un?... demanda le jésuito en baissant la
voix.
— Oui, mon père, oui... j’attends quelqu’un... quoiqu’un qui se fait
bien désirer... et que vous prendrez p'ai-ir, j’en suis sûr, à rencontrer
au milieu de nous... Surtout, ne vous éloignez pas, car, celte nuit même,
nous aurons peui-ôire besoin de votre saint ministère.
Le père Pctars contempla le chancelier dans un étonnement silencieux,
et voulut lui adresser encore une question. Mais Jeff ries l'avait quitté
brusquement en voyant entrer Goiolphin, lo chambel'an do la reino,
dont les traits altères semblaient porter avec eux un sinistre présage.
— Vous paraissez contrarié, mon cher Godolphid, dit le chancelier en
allant au devant de lui, l’air souriant et la physionomie ouverte. Auriez-
vous entendu aujourd'hui quelque prêche assommant ou coudoyé, en
marchant, quelque sale hérétique?
— Non, mylord, mais j’ai appris des choses...
— Qui vous surprennent? Je vous r- connais bien là, mon cherGodol-
phin... toujours prêt, dans votre dévoûment si louable, mais un peu trop
ombrageux, à voir teuton noir et à jeter le cri d'alarme 1
— Savez-vous lo débarquement de Guillaume? répliqua gravement
lord Godolphin.
— Oh! depuis plus d’un quart-d’heure... c’est déjà, vous le voyez, de
l’histoire ancienne.
— Mais ce quo vous ne savez pas sans doute, car je ne vous verrais
certainement pas si joyeux, c’est la contagion qui gagne la noblesse an
glaise, mylord, c’est le progrès quo fut la trahison.
— Et quels sont donc les grands noms qui consentent à se dé.honorer
ainsi ?
— Le major Barringlon marche en lôlo do celle armée do traîtres fé
lons, répondit Godolphin, et pour qu’il ne restât aucun douât sur sa
trahison, il a baisé le premier la main du prince. Les maisons d’Abing-
ton. de Badfort et dt Davonshirc, lasses sans doute do per et- l’écusson
sans tache, lui ont envoyé des ambass tdours. Les ducs de Norfo'k et do
Sommers sont partis pour Excester. On oit ntôint quo les pélans du col
lège d’Oxl'ord ont offert à la nouvelle idole leur vaisselle d’argent pour
snbvenir aux fruit do l’expédition. Le cheval du courrier q ti nous a re
mis tous ces rapports, mon cher G .-orges, et encore attaché, poudreux
et haletant, aux grilles du palais de Saint-James.
Jefferies guoltait toujours rentrée do la salle ; mais cette préoccupa
tion, si exclusive q-t’ello jiût être, no l’avait pas empêché d’entendre, mot
à mot, tout ctque lui avait dit Godolphin.
— Jo vous remercie, murmura-t-il en proie à uno sombre médilation,
do m’avoir mis au cou -anl de tous ces faits. Depuis quelque temps, nous
avions essayé do la clémence, le roi le voulait, les rois ont comme cela
des momeds d’oubli. C’est une faute, milord, une grande faille qu'ii nous
faudra réparer la plus lût possible. Oui, oui, nous nous mettrons à l’œu
vre...
— Dès demain, dit Godolphin avec feu.
— Dès ce soir ! ajouia Jefferies d’une voix creuse.
Et ses yeux, lournés d ms la mène direction, dardaient toujours au
même rayon lumineux, fauve et sanglant.
La sueur mouillait ses tempes... Los mouvomens de sa poitrine se fai
saient plus rapides et plus pressés.
Dans son regari, dans sou attitude, dans l’expression do son visage,
tantôt pourpre et tan ûl blétne, il y avait ces quatre mots écrits en carac
tères lisibles :
— Quand viendra-t-il donc?
Enfin, les abords de la porte d’entrée retendront d’uno rumeur étran
ge. Un nouveau venu y apparaisrait sous le modeste vêtement de licen
cié do l’nmversilô d’Oxford... On se pressait, on faisait corclo autour do
lui... il élait le point de mire de tous les regards...
La voix claire de l’un dos huissiers jeltaaux assistons curieux cette
ormule où la poliiesse cérémonieuse élait mieux observée sans doute
fque la stricte vérité :
— Son honneur le licencié Waller!
XVI.
lae Itéroi* de 1» fête.
Jefferies alla aussitôt à sa rencontre, et deux saluts s’échangèrent. La
confiance presque téméraire de ce personnage mystérieux faisait de lui
I
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