Titre : Revue du Havre et de la Seine-Inférieure : marine, commerce, agriculture, horticulture, histoire, sciences, littérature, beaux-arts, voyages, mémoires, mœurs, romans, nouvelles, feuilletons, tribunaux, théâtres, modes
Éditeur : [s.n.] (Havre)
Date d'édition : 1848-02-13
Contributeur : Morlent, Joseph (1793-1861). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32859149v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 13 février 1848 13 février 1848
Description : 1848/02/13. 1848/02/13.
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : Fonds régional :... Collection numérique : Fonds régional : Haute-Normandie
Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k923538r
Source : Bibliothèque municipale du Havre, Y2-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 11/06/2014
— 2-
LE VAMPIRE.
i. v •
Bienfait.
Un soir d’élé, et pendant qu’un orage sévissait dans toute sa violence,
les halii.flns do petit hameau do Saint-Brice, (l ins le Charolais, étaient
tous sortis de leurs demeures pour nh-eryer le courant des nuages, et se
tenaient ras ombles sur la place de l'église; d'où on découvrait un vaste
horizon.
Le lemns c'ait chargé d'ombres dans lesquelles miroitaient des va
peurs oufl immé 's ; des (o irln I ms de vont promenaient dans l'c-paco
le sable, la moussu dis rock irs, lu clriume des toitures, les herbes dessé
chées sous l’ar.l -tir du soliul. \u m iu de colle atmo-phère lourde et
brillante, les familles d t pTÿïans réunies en groupes, restaient iimno-
bilis, terrifiées. Les cultivateurs cm'enviaient ces épaisses fumées qui
planaient si bas. ot tenaient suspend is sur les champs le désastre et la
ruine; lotis les visa;>s tour ris d i mèm : cité n’avaient qu’une seule
physionomie, (ko morne, glac te de cr.iin e, ot dont toute l’animation
avait passé dans le regard qui interrogeait le ciel.
A qu lju i distance, sur ta porte d’un lut nble presbytère, était le curé
du lieu, dont la douce ot bonne ligure reflétait toutes les anxiétés qui
passaient sur colles nos paysans; puis de lui se tenaient le maire de l’en
droit, quelques vieillards et mu belle jaune fille do seize ans, qui priait
Dieu do toute sou âme.
La pente cloche s muait constamment au sommet de l'église : ses fai
bles sons, organe des vœux do la terre qui s’élevaient contre l’orage, se
perdaient à cita pie minute dans un coup do vent'ou un éclat do ton
nerre.
Pendant longtemps, !o nuage chargé de grêla, entouré d’ôclaiïs, flotta
sur l’étendue des ’cii mips couverts de eus Liés mûrs plus précieux que
l’or dont ils portent la cou'eur; il parcourut l’horizon, paraissant, cher
cher le lieu sur lequel il laisserait tomber son fardeau, s’abaissant sur
chaque point tour a tour, et soulevant des épis agités de longs frémisso-
mensqui .1 la eut rép mdredms l'âme des laboureurs.
Cepen lant, à la nuit un air plus Irais so lit sentir, l’espace se dégagea
de ses ombres les plus épaisses, et on co mm nça à espérer qu» lo fléau
s'était éloigné de la contrée... A cet instant, un trait de feu et une déton-
nation éclatante vinr ni cm môme temps fendre sur le hameau.
Lo tonnerre, dans le dernier coup qui dut signaler cet orage, était
tombé à peu do distance. Dans l’ob.-ceriié, on ne pouvait savoir quel
Î ioint la foudre avait frappé; mais bientôt un symplôttio effrayant vint
e désigner.
Une geibe d'étincelles s’éleva sur la limite du hameau, qui se trouvait
voisine d'un bois.
Le feu du ciel s’élait dirigé vers une meule do foin nouvellement cou
pé. lit) une minuta elle offrit l'aspect d’une montagne de flammes. Lo
vent qui souillait toujours avec violence, souleva à grands flots ces légers
brins allumés, et, les dispeisanl sur les habitations couvertes de paille et
de mousse, mit le feu aux quatre coins du village à la fois.
Ce furent d’abord de toute part des cris, des gérriissemens, des cla
meurs éplorces; puis enfin, sans suspendre leurs plaintes, les paysans
s’occupèrent de faire face au dé-astre. On établit une chaîne du haut do
la collmo uù es! situé le In nieau jusqu’à la rivière de la Uessouso, qui
coule au bas. et l’eau monta rapidement du fond de son lit de roseaux au
sommet de l’incendie.
Au milieu de ce travail précipité, ardent, personne ne pouvait remar
quer le roub ment d'une légère voilure qui passait sur la roule voisine;
mais le mal.t e de et élégant équipage fut frappé do l’éclat des flatn-
flammes, fil arrêter ses chevaux, et monta à pied lo sentier ardu qui
conduisait au villng’.
Arrive sur la place do l’église, il considéra le mouvement do l’incendie
avec la cttrio-ité d'un jeune homme qui se prend à tout spectacle, avec
lu légèreté d’un homme riche qui u’atuiche pas grando importance à une
douzaine do masures biû'éis.
Vers dix heures, on s’étai’ rendu maître du feu; mais la moitié des
habitations h peu près éiatant consumées, et la flamme avait gagné lo
bois voisin. La niasse des arbres brûlait dans un calme et majestueux in
cendie qu’eu ne pouvait pas me nu essayer de combattre.
Los h.tbitans étaient revenus en foule vers le parvis do l’église, où se
trouvaient il demi-nus lesenfans, les vieillards, les malades sortis à la
hâte d'S demeures en feu, et qui n’avaient p'us d’autre asile que la pla
ce pub'ique. Là étaient aussi culasses les pauvres meubles qu’on avait
pu sauver, les minces cotieho li s, les armoires vermoulues, les bahuts de
cent ans tous ces misérables objets q >e la nécessité rend si chers.
Ce fat alors seulement qu’on remarqua la présence de l’étranger. C’é
tait un homme de trente ans, d’une figure a luiirablc, d’nna exquise élé
gance de 'aille et de maintien, à laquelle il joignait un air de simplicité,
d’aisance et môme d'abandon oxtiême.
Les paysans furent huppes un instant do cetlo brillante apparition, de
cette beauté do visage qu'ils voyaient pour la première fois unie à la
distinction, aux grâces, a la noblesse des manières; mais bientôt la pré
occupation du m "tient reprenant io dessus, ils recommencèrent leurs
plain es, leurs exclama ions dou'onrcuscs.
Les troupeaux, tes volatitles, amenés des demeures embrasées sur les
pelouses d’alentour, môldonl leurs hettgiemons, leurs clapissemens aux
voix des malheureux paysans, el c’était un concert aussi étourdissant que
lamentable.
— Allons! allons! d sait l’étranger en passant do l’un à l’autre des
villageois, pourquoi tant de c as et tant de larmes!... Vous n’avez plus
de pain, p'us de vêicme.is... bon Dieu, il en reviendra.
— Ali ! nos p.-uiv es maisons !.. il n’en reste pas pierro sur pierre !
criait-on de tous côtés.
Eh bien, ou les iv bâfra, vos maions, et elles seront toutes neuves.
A cmto assertion l s paysans ne répondaient que par des gémissemens
pluselevés.
— 'Alt ça ! mais il n’y a donc plus personne à qui parler ici ?.. dit l’é—
trargor uvi c impatience. Alt 1 je vous tiens, vous, monsieur locuré...
vois entendiez raison,au moins.
Il adressait ces d< rmers mois à l’abbé Aubert, pasteur du hameau, qui
arrivait sur la place chargé do hardes, de couvertures, de rideaux, de
tout ce, qu'il avait pu enlever do sa chambre [ sur envelopper les pauvres
incendies, et suivi de Suzanne, sa jeune s •rvaute, qui apportailaussi aux
ma heureux le souper de son maître et (oui ce qui se trouvait en fait, do
provision, à la cure.
Dès que l’abbé cul jûé son fardeau par terre, l’étranger lui prit les
mains d’ua a r cordial et riant, eu ajoutant avec vivacité :
— Voyons, il s'agit d’envoyer chochor à la ville la plus voisine de
quoi soulager un pou c ;s bonnes gens. Ju vous en prie, dites à quelqu'un
d’ici d’aller demander mon domestique; qui m'attend avec la voilure sur
la route, et ei suite ne vous inquiélt z de rien.
Suzanne, la jo me villagooi-e qui s rvait l’abbé Aubert, en arrivant sur
la place était restés stupéfait) à la vue du bel étranger; tandis
qu’il pa lait,elle alla hait sur lut avec la hardiesse d’une naïveté extrôme,
ses gra ds yeux bleus, pleins de douceur et d’éclat. A ses derniers mots,
elle s’ébinçi comme une flèche sur lo sentier du coteau, et revint un
instant après ramenant le domestique du monsieur incoufiu.
— Joseph,dit l’étranger, prem z do suite ma voilure, allez à Charolles,
achetez du piin, des viand'S cuite-, des légumes, tout ce que vous
trouverez... Achetez aussi d u s vôiemens de laine, bien solides, de toute
taille.-. Voyez, il y a ici dos enfans de lotit âge et dos vieillards... mettez
cela dans la voiture, dans lo caisson, sur le siège, sur les chevaux, par
tout où il y aura place et revenez au plus vite.
Après avoir tendu une bourse à son domestique, il ajouta encore :
— Je vous donne deux heures pour aller, deux heures pour revenir,
pas une mitiuto pour vous griser ; soyez ici à cinq heures du matin, au
plus lard !
Les paysans regardaient co beau jeune homme, qui semblait tombé
des nues au milieu d’eux, avtc un ébahis cment silencieux et san3 oser
ctoire encore à co qu’ils entendaient. L’inconnu, sans leur laisser le
temps do se reconnaître, se tourna vers le pasteur et lui dit gaîment :
— Ah ! par exemple, monsieur le curé, vous me donnerez l’hospitalité
pour celte nuit.
— Et j'en serai bien heureux! dit l’abbé Aubert, qui avait rencontré
| un bon cœur et se trouvait tout de suite en pays de connaissance.
Il rentra à la cure avec son hôte. Lo sieur Boudart, gros paysan en-
j richi et maire de l'endroit, voulut bien leur tenir compagnie. L’ha-
j bitation do ce dernier, bien bâtie et couverte en tuiles, avait éio pro-
| servëe dans l’incendie du hameau, et n’ayant aucun malheur à déplorer
pour son compte, il s’inquiétait peu de Ceux des autres.
Le presbytère était dans le plus beau désordre qui se puisse imaginer.
Le curé avait tout mis au pillage chez lui pour secourir les pauvres
paysans, harassés de fatigue et étendus sur le pavo de la place. Les ri
deaux des fenêtres étaient arrachés, les meubles ouverts et dépouillés de
tout ce qu’ils contenaient ; il en était de même 4a l’efflco et do la cui
sine, livrés à la dernière punurie.
Le curé et les deux personnes qui l’accompagnaient, s’ôtaient jetés
sur dos sièges au milieu de ce cahos. Au dehors, le bois qui brûlait tou
jours jetait des reflets rougeâtres sur le vitrage nu des croisées, nu-de
dans,'la petite flamme blanche de la lampe que parlait Suzanrio en va
quant aux soins du ménage, éclairait d’une lueur paisible cet intérieur
encore empreint de calme et de sainteté au milieu de son désordre.
Mais tout le mouvement que se donnait la jeune scrvanlo pour prépa
rer le sou [ter attestait seul'ment le désir extrôme qu’elle aurait eu de
servir à l’hôte do son maître un repas présenlab e ; car, au bout du
compte, elle ne posa sur la table qu’une huniblo collation, dont les pré
paratifs avaient dû être bien ôt faits.
— Qu’est-co que vous apportez la? mademoiselle...
L’étranger s’interrompit ignorant quel uoin il devait ajouter à son in-
tei'i ellation.
— Suzanne, dit le curé.
— Elle est bien jolie ! dit l’inconnu en regardant 1a jeune fille d’un air
simp'e et ouvert.
— C’est pour cela que je l’ai prise avec moi, répondit le pasteur. Oui,
ajou.ta-t-il pour veiller sur elle et la garder de plus près.
Ces mot; furent prononcés avec tant de candeur et do dignité pater
nelle, que l’étranger n’eut pas un sourire sur les lèvres. Il reprit son
discours.
Qu’est-ce que vous apporlez-là, mademoiselle Suzanne? Dos œufs, du
fromage, des noix... ce n’est pas mai; mais j’ai vu en entrant un mor
ceau de lard fumé qui, posé cinq minutes sur le gril, compléterait bien
notre souper.
— J’y avais pensé, dit le pasteur, mais c'est aujourd’hui vendredi...
et jo ne sais si vos principes...
— Mes principes s’arrangent de tout, à ce point, que je permets même
aux autres do faire maigre si lo cœur leur en dit.
Le curé sourit, le père Boudart fronça le sourcil, Suzanne courut faire
rôtir le lard.
Un instant après, lo souper fut servi, et, malgré l’exiguité du repas, la
jeune fille resta pour servir à table.
Les convives étaient placés devant la fenêtro ouverte et entourée do
pampres au rez-do-chatis ée. A défaut du luxe d’intérieur on pouvait
jouir de celui de la nature. La nuit était devenue limpide et brûlante f
l’incendie du bois qui s’éloignait ne semblait plus qu'un immense flam
beau servant à éclairer un magnifique paysage. Sur la place, les paysans,
calmés dans leurs vives inquiétudes par les prompts secours qu’on ve
nait de leur promettre, étaient étendus pèle-môlo, dans un pittoresque
bivouac, el paisiblement endormis.
Lo morceau de lard devait être attaqué lo premier, l’excellent curé,
au moment do servir sou hôto restait comme embarrassé de la responsa
bilité qu’il allait prendre.
— Voyez, dit l’étranger en tendant d’une main son assiette, et en
montrant de l'autre les villageois qui reposaient si doucement à la belle
étoile, voyez. ils.prient pour nous!
— Ils dorment.
— Ce somm il qu’ils doivent à vos bons soins et à l’assurance des se
cours qu’ils recevront de moi n’est-il pas la meilleure intercession pour
nous devant Dieu?
— Vous avez toujours raison, mon cher hôte, dit en souriant lo curé
Lo maire jeta un regard courroucé à l’étranger, et dit on se servant
uno part d’omolelle ;
— Moi, jo trouvo qu’un jour maigre on peut bien souper avec des
œufs.
Lo jeune honuue no l’entendit pas; il tenait ses regards fixés sur la
hauteur de Saint-Brice. «
— Voilà cep niant, dit-il, un bois... uno fortune entière... qui sera
consumé dans quelques heures.
— Ilélas 1 que faire? dit le curé. Il est impossible do porter de l’eau
jusque-là... on mourrait à lu peine avant de sauver seulement un arbre.
— Et son propriétaire, continua l’inconnu, sera peut-être ruiné do
main !
— Non, répondit l’abbé Aubert. Ce bois fait partie des domaines de
l’évêché
— Oh ! alors c’est charmant, dit le jenno homme eti riant. Le feu du
ciel qui brûle les biensd’un évêque 1... Quel scandale entre les grands!...
Maintenant je no voudrais pour rien au monde éteindre l’incendie.
— Monsieur!... dit lo maire, un saint prélat!...
— Bah ! les prélats en ont toujours assez... C’est à l’Eglise comme ail
leurs; tout au sommet, rien au bas do la montagne.
— 11 faut gémir du mal en quelque lieu qu’il se présente, dit le pas-
leur.
— Mon Dieu ! j’en gémis aussi, répondit l’étranger. Car dans l’incen
die de ce bois je regrette... la cabane du bûcheron.
A ce dernier trait d’impiété, le père Boudart envisagea le jeune hom
me d’un air plus sombre, et comme si la séduisante apparence dont il
était revêtu < ût dû cacher Satan en pctsnnne.
Et tandis que l'inconnu tendait son verre à Suzanno, qui lui versait la
boisson do genièvre contenue dans une grande cruche, le maire se pen
chant à l’oreille du pasteur, lui dit rapidement à voix basse :
— Méfiez-vous de cet homme... méfiez-vous 1 '
L’abbé Aubert, pour toute réponse, demanda excuse à son hôte de n’a
voir pu lui ol'fiir que ce te b ùsson qui semblait peu flatter son goût.
— Un toit, dit-il, sans souper cl sanî lit, c’est là une triste hospitalité
que je vous offre.
— Allons, mon cherhôle, dit l’élranger, n’en concevez aucun souci...
Tenez, c'était seulement pour lo plaisir de me faire plaindre un p.-u do
vous que je faisais le difficile à l’égard des œufs et du genièvre... car,
en vérité, j’ai été souvent plus mal couché et plus mal servi que ce
soir.
— Vous... si riche 1...
— Pauvre ou riche, c’est comme on voudra... J’ai habile la mansarde,
sans feu et souvent sans pain; j’ai porté l'habit de bure et parfois la
veste sur l’épaule; j’ai passé des nuits de travail, et des jours de repos
sans salaire, plus tristas encore que la veille laborieuse...
En cet instant, l’étranger tirait sa tabatière et la présentait à ses com
mensaux.
Attirés par l’éclat de la boîte enrichie de pierreries, le curé et le
maire la prirent, l’examinèrent et virent un portrait d’homme décoré
d’augustes attributs.
— C’est le portrait d’un de mes amis, dit l’inconnu.
Lo pasteur et le père Boudart lurent au bas de la miniature Mural,
roi de Naples.
— Et cette peinture achève de vous raconter ma destinée, continua
l’étranger, car si j'ai été paurre et souffrant dans les froides cabanes du
nord de la France, j’ai aussi eu place dans les palais de l'Italie, j’ai man
gé à la table des grands et je les ai reçus chez moi... J’ai été l’ami de ce
roi chevalier...
Les deux habitans du village examinaient l’inconnu avec plus de eu -
riosilé.
Tout ce qu’il y avait à la fois en lui de distinction et de simplicité, son
aspect do noblesse et son laisser-aller, son regard grand seigneur etson
air bon enfant, tout attestait la vérité de ce qu’il venait de dire, et mon
trait en lui l’empreinte des diverses classes de la société.
—Eh bien, ajoutu-t—il gracieusement, mon asile de co soir est entre
les doux extrêmes. Et, vous le savez, mon cher pasteur, ce qu’il y a de
mieux en toute choso c’est la médiocrité.
L’abbé se taisait en regardant son hôto avec un intérêt croissant.
Lejeune homme continua :
—C’est votre état habituel, à vous, digne ministre... car je pense quo
d’ordinaire vous u'êios guère plus opulent que ce soir... et c’est là votre
plus beau lustre !
— On se trouve toujours trop riche quand ou voit des malheureux au
tour de soi.
— Je suis sûr quo les villageois trouvent on vous le meilleur père.
— Je ne fais rien par moi'même; tout m’est d cto par les ordres qui
m’ont envoyé garder cetto petite population de Saint-Brice , isolée dans
un coin du monde ; aussi ma vie est bien simple.
— Et bien remplip.
— Je me lèvo avec le jour; jo fais ma tournée dans les chaumières,
ot vais demander à chacun comment il a p’issc la nuit, car c’est la nuit
que les soucis se font surtout sentir , et le sommeil e.-t le baromètre qui
marque les degrés de b.en-être et de peine; chacun m’expose alors ses
besoins, s' S souffrances. Jo reviens à l'église dire ma messe; c’est là quo
je retrouve des inspirations pour les affaires do la journée. Ensuite, se
lon les soins qui mo sollicitent, j’exerce diverses professions...
— Vraiment?
— Agriculteur, jo dirige souvent les travaux des champs; avocat, jo
règle parmi mes ciiens les successions ot les partages; médecin, j’en sais
assez pour combattre les maladies simples et uniformes, comme tout lo
reste à la compagne... Les ressources sont sous ma main : mon jardin
n’est planté que de simples, lo baume forme mon gazon, le lichen croît
autour de mon'puits. Je compose avec tout cela des boissons bienfaisan
tes, et Suzinne les porte chez les malades avec sa douceur accoutumée
et sa bonne grâce, plus efficace qu« tues breuvages... puis ces soins ter
minés, je vais en champ...
— En champ!
— Sans doute. Ne dois-je pas dire chaque jour mon bréviaire? Mieux
vaut méditer les leçons du Seigneur sous la voûte du ciel que dans l’om
bre des murs; et puisque jo vais quelques heures errer dans la campa
gne, ne puis-je pas y garder les troupeaux. U y a dans lu pays des, fa-
mdles dont tous les bras sont utiles au travail ; je leur viens en aide en
gardant leurs bestiaux ; et le chien du berger ne me semble pas une com
pagnie: à dédaigner... Mais cela pour cinq jours de la semaine seulement.
Lo samedi je catéchise et je confesse.
— Et vous avez beaucoup a faire, dit le maire, chacun court à votre
confessionnal.
— C’est que je les rassure sur l’état de leurs conscience au lieu do les
alarmer ; jo leurs apprends qu’i s sont justes et sages autant que Dieu
l'exige de ses faibles créatures, et persuader les hommes (le leur bonté
est le meilleur moyen de les rendre bons. Aussi,ajouta l’abbé Aubert en
souriant, je les ai entendu appeler quelquefois par mégarde mon coufes-
sionnal le tiibunal de consolation.
— Ali 1 monsieur lo curé, s’écria le jeune étrauger, si jetais prince,
quelle croix d’honneur jo vous donnerais!
Le pasteur lui serra la inain, tout en se levant de table pour rompre
cct entretien.
— Mais nous voici, dans un cas exceptionnel, reprit l’inconnu. Si vo
tre bonté paternelle subvient aux besoins journaliers do cette pauvre
population, que pourrez-vous faire pour elle, avec tous les trésors de
votre coeur, lorsque demain tant de malheureux se trouveront sans abri
devant leurs cabanes incendiées?
— Je prêcherai pour eux.
— Comment.
— Oui, je tâcherai d’obtenir de ceux qui possèdent un peu plus que lo
nécessaire des secours pour ceux qui ne l’ont pas, et le moyen de re
bâtir do petites chaumières qui s’élèvent à si peu do frais! Voici par
exemple monsieur/le maire qui est riche...
Le pèro Boudart toussa en détournant la tête.
— Monsieur le maire qui est riche, continua le curé, et que deux millo
francs à donner ne gêneraient pas...
Le maire toussa beaucoup plus fort.
— Si je puis eu trouver autant d'un autre cêlé...
— Si vous on trouvez autant d’un autre cote, interrompit en riant lo
jeune homme, vous ne serez pas bien riche, mon bon inousieui !... Mais
disons la vérité, je ne demandais cela que pour éclaircir lo fait, car j’a
vais déjà mon projet à part moi.
En disant cela, il ouvrit son portefeuille.
—Il paraît, continua-t-il, que quatre billets de millo francs pourraient
faire votre affaire. En voici cinq que je remets entre vos mains... Ils
seront bien placés pour fructifier... Avec cela, on fera venir des maté
riaux pour reconstrruire ou réparer les habitations, et il restera encore
quelque chose pour les besoins dos pauvres ménages.
il mit les billets de banque sur te prie-Dieu du curé, et posa dessus le
socle d’une délita figure de vierge en guise do serre-papier.
Lo pasteur remercia ce jeune homme par un regard plus éloquent que
toutes les paroles de reconnaissance.
Suzanne, demeurée dans un angle obscur de la salle, laissa échapper
un crie de joie, et joignit les mains devant l’étranger avec une naïve
extase.
Le maire s’ôtait montré dur et cupide devant cet homme, et se trou
vait maintenant écrasé par sa générosité, c’était assez pour le haïr, il lui
jeta un coup-d’œil oblique, envenimé, et, après avoir dit sèchement bon
soir à l’abbé Aubert, il s’en alla le cœur plein de fiel et d’unirno-ité.
Alors, sans donner le temps an pasteur de lui exprimer sa gratitude,
le jeune homme fit observer qu’il était bien l’heure de se reposer.
Ainsi l’abbé ot. son hête demeurés seuls procélèrent à leur coucher.
Les préparatifs furent bientôt faits. Les lits étaient dévastés et hors do
service, deux grands fauteu ls de tapisserie durent les remplacer.
L’étranger ôta sa cravate, son habit, lira de sa poche une petite loque
rouge dont il se. coiffa coqueliement, puis, ayant trouvé sous sa inain
une pièce d’étoffe à rayures brunes et bleues qui, dans le désordre do la
maison,avait été apposée là par hasard,il s’enveloppa dece tissu déroulé
en manière do robe d: chambre. Cela fait, il s’étendit et s’arrangea do
son mieux dans le grand fauteuil à meillères.
Le curé s’établit a quelques pas sur un siège semblable; il souffla la
lampe et la nuit commença.
Au bout d’un quart d’heure, le jeune homme dormait déjà profondé
ment. L’abbé Aubert, ébranlé par les événemens do cette soirée, n’avait
jamais été si éveillé. Mais, les yeux ouverts, il rêvait du bonheur de ses
pauvres paysans, de leur ravissement, lorsqu’au point du jour il leur
porterait la nouvelle d'une fortune merveilleuse, et qui tombait du ciel
en un si pressant besoin.
Agité par ces préoccupations, il se leva bientôt, parcourut la salie à pas
silencieux, tout en calculant le temps et les dépenses que nécessitait la
réconstrOCiion des chaumières, puis aussi les ressources qui devaient
abondamment y subvenir... Une fois, le cours do sa marche régulière
l’avait ramené auprès de son hôto, ii contempla lo jeune homme,dans
son sommeil.
La lune ; 'était levée et répandait la lueur la plus pure; l’incendie du
bois, éteint faute d’ulinicnt, ne laissait plus de trace; tout l’horizon bai
gnait dans des ombres légères et argentées. Uno blancheur éclatante se
répandait au sommet de l’église, sur la ptaco où reposaient les villageois,
et pénétrait dans la salle basse du presbytère par uno ogive rompue et
garnie de feuillages.
Le jeune étranger so trouvait dans cet espace éclairé. Sa coiffure rou
ge, le pan d’étoffe que, sans y prétendre, il avait pittoresquement drapé
autour de lui, les belles couleurs du sommeil, donnaient à res traits ad
mirables un caractère plus saisissant. Sa figure se détachait dans la. mollo
clarté delà lune, qu’encadraient les ombres portées du lierre.
On npjrcevait aussi, près de lui, les billets de banque posés sur lo
prie-Dieu.
Le curé, regardant tour à tour ce don fait avec tant do simplicité ot
le jeune homme endormi, se prit à dire tout haut :
—Qu’il est bon i
Uno voix fraîche et vibrante dit on môme temps :
_Qn’il est beau 1
LE VAMPIRE.
i. v •
Bienfait.
Un soir d’élé, et pendant qu’un orage sévissait dans toute sa violence,
les halii.flns do petit hameau do Saint-Brice, (l ins le Charolais, étaient
tous sortis de leurs demeures pour nh-eryer le courant des nuages, et se
tenaient ras ombles sur la place de l'église; d'où on découvrait un vaste
horizon.
Le lemns c'ait chargé d'ombres dans lesquelles miroitaient des va
peurs oufl immé 's ; des (o irln I ms de vont promenaient dans l'c-paco
le sable, la moussu dis rock irs, lu clriume des toitures, les herbes dessé
chées sous l’ar.l -tir du soliul. \u m iu de colle atmo-phère lourde et
brillante, les familles d t pTÿïans réunies en groupes, restaient iimno-
bilis, terrifiées. Les cultivateurs cm'enviaient ces épaisses fumées qui
planaient si bas. ot tenaient suspend is sur les champs le désastre et la
ruine; lotis les visa;>s tour ris d i mèm : cité n’avaient qu’une seule
physionomie, (ko morne, glac te de cr.iin e, ot dont toute l’animation
avait passé dans le regard qui interrogeait le ciel.
A qu lju i distance, sur ta porte d’un lut nble presbytère, était le curé
du lieu, dont la douce ot bonne ligure reflétait toutes les anxiétés qui
passaient sur colles nos paysans; puis de lui se tenaient le maire de l’en
droit, quelques vieillards et mu belle jaune fille do seize ans, qui priait
Dieu do toute sou âme.
La pente cloche s muait constamment au sommet de l'église : ses fai
bles sons, organe des vœux do la terre qui s’élevaient contre l’orage, se
perdaient à cita pie minute dans un coup do vent'ou un éclat do ton
nerre.
Pendant longtemps, !o nuage chargé de grêla, entouré d’ôclaiïs, flotta
sur l’étendue des ’cii mips couverts de eus Liés mûrs plus précieux que
l’or dont ils portent la cou'eur; il parcourut l’horizon, paraissant, cher
cher le lieu sur lequel il laisserait tomber son fardeau, s’abaissant sur
chaque point tour a tour, et soulevant des épis agités de longs frémisso-
mensqui .1 la eut rép mdredms l'âme des laboureurs.
Cepen lant, à la nuit un air plus Irais so lit sentir, l’espace se dégagea
de ses ombres les plus épaisses, et on co mm nça à espérer qu» lo fléau
s'était éloigné de la contrée... A cet instant, un trait de feu et une déton-
nation éclatante vinr ni cm môme temps fendre sur le hameau.
Lo tonnerre, dans le dernier coup qui dut signaler cet orage, était
tombé à peu do distance. Dans l’ob.-ceriié, on ne pouvait savoir quel
Î ioint la foudre avait frappé; mais bientôt un symplôttio effrayant vint
e désigner.
Une geibe d'étincelles s’éleva sur la limite du hameau, qui se trouvait
voisine d'un bois.
Le feu du ciel s’élait dirigé vers une meule do foin nouvellement cou
pé. lit) une minuta elle offrit l'aspect d’une montagne de flammes. Lo
vent qui souillait toujours avec violence, souleva à grands flots ces légers
brins allumés, et, les dispeisanl sur les habitations couvertes de paille et
de mousse, mit le feu aux quatre coins du village à la fois.
Ce furent d’abord de toute part des cris, des gérriissemens, des cla
meurs éplorces; puis enfin, sans suspendre leurs plaintes, les paysans
s’occupèrent de faire face au dé-astre. On établit une chaîne du haut do
la collmo uù es! situé le In nieau jusqu’à la rivière de la Uessouso, qui
coule au bas. et l’eau monta rapidement du fond de son lit de roseaux au
sommet de l’incendie.
Au milieu de ce travail précipité, ardent, personne ne pouvait remar
quer le roub ment d'une légère voilure qui passait sur la roule voisine;
mais le mal.t e de et élégant équipage fut frappé do l’éclat des flatn-
flammes, fil arrêter ses chevaux, et monta à pied lo sentier ardu qui
conduisait au villng’.
Arrive sur la place do l’église, il considéra le mouvement do l’incendie
avec la cttrio-ité d'un jeune homme qui se prend à tout spectacle, avec
lu légèreté d’un homme riche qui u’atuiche pas grando importance à une
douzaine do masures biû'éis.
Vers dix heures, on s’étai’ rendu maître du feu; mais la moitié des
habitations h peu près éiatant consumées, et la flamme avait gagné lo
bois voisin. La niasse des arbres brûlait dans un calme et majestueux in
cendie qu’eu ne pouvait pas me nu essayer de combattre.
Los h.tbitans étaient revenus en foule vers le parvis do l’église, où se
trouvaient il demi-nus lesenfans, les vieillards, les malades sortis à la
hâte d'S demeures en feu, et qui n’avaient p'us d’autre asile que la pla
ce pub'ique. Là étaient aussi culasses les pauvres meubles qu’on avait
pu sauver, les minces cotieho li s, les armoires vermoulues, les bahuts de
cent ans tous ces misérables objets q >e la nécessité rend si chers.
Ce fat alors seulement qu’on remarqua la présence de l’étranger. C’é
tait un homme de trente ans, d’une figure a luiirablc, d’nna exquise élé
gance de 'aille et de maintien, à laquelle il joignait un air de simplicité,
d’aisance et môme d'abandon oxtiême.
Les paysans furent huppes un instant do cetlo brillante apparition, de
cette beauté do visage qu'ils voyaient pour la première fois unie à la
distinction, aux grâces, a la noblesse des manières; mais bientôt la pré
occupation du m "tient reprenant io dessus, ils recommencèrent leurs
plain es, leurs exclama ions dou'onrcuscs.
Les troupeaux, tes volatitles, amenés des demeures embrasées sur les
pelouses d’alentour, môldonl leurs hettgiemons, leurs clapissemens aux
voix des malheureux paysans, el c’était un concert aussi étourdissant que
lamentable.
— Allons! allons! d sait l’étranger en passant do l’un à l’autre des
villageois, pourquoi tant de c as et tant de larmes!... Vous n’avez plus
de pain, p'us de vêicme.is... bon Dieu, il en reviendra.
— Ali ! nos p.-uiv es maisons !.. il n’en reste pas pierro sur pierre !
criait-on de tous côtés.
Eh bien, ou les iv bâfra, vos maions, et elles seront toutes neuves.
A cmto assertion l s paysans ne répondaient que par des gémissemens
pluselevés.
— 'Alt ça ! mais il n’y a donc plus personne à qui parler ici ?.. dit l’é—
trargor uvi c impatience. Alt 1 je vous tiens, vous, monsieur locuré...
vois entendiez raison,au moins.
Il adressait ces d< rmers mois à l’abbé Aubert, pasteur du hameau, qui
arrivait sur la place chargé do hardes, de couvertures, de rideaux, de
tout ce, qu'il avait pu enlever do sa chambre [ sur envelopper les pauvres
incendies, et suivi de Suzanne, sa jeune s •rvaute, qui apportailaussi aux
ma heureux le souper de son maître et (oui ce qui se trouvait en fait, do
provision, à la cure.
Dès que l’abbé cul jûé son fardeau par terre, l’étranger lui prit les
mains d’ua a r cordial et riant, eu ajoutant avec vivacité :
— Voyons, il s'agit d’envoyer chochor à la ville la plus voisine de
quoi soulager un pou c ;s bonnes gens. Ju vous en prie, dites à quelqu'un
d’ici d’aller demander mon domestique; qui m'attend avec la voilure sur
la route, et ei suite ne vous inquiélt z de rien.
Suzanne, la jo me villagooi-e qui s rvait l’abbé Aubert, en arrivant sur
la place était restés stupéfait) à la vue du bel étranger; tandis
qu’il pa lait,elle alla hait sur lut avec la hardiesse d’une naïveté extrôme,
ses gra ds yeux bleus, pleins de douceur et d’éclat. A ses derniers mots,
elle s’ébinçi comme une flèche sur lo sentier du coteau, et revint un
instant après ramenant le domestique du monsieur incoufiu.
— Joseph,dit l’étranger, prem z do suite ma voilure, allez à Charolles,
achetez du piin, des viand'S cuite-, des légumes, tout ce que vous
trouverez... Achetez aussi d u s vôiemens de laine, bien solides, de toute
taille.-. Voyez, il y a ici dos enfans de lotit âge et dos vieillards... mettez
cela dans la voiture, dans lo caisson, sur le siège, sur les chevaux, par
tout où il y aura place et revenez au plus vite.
Après avoir tendu une bourse à son domestique, il ajouta encore :
— Je vous donne deux heures pour aller, deux heures pour revenir,
pas une mitiuto pour vous griser ; soyez ici à cinq heures du matin, au
plus lard !
Les paysans regardaient co beau jeune homme, qui semblait tombé
des nues au milieu d’eux, avtc un ébahis cment silencieux et san3 oser
ctoire encore à co qu’ils entendaient. L’inconnu, sans leur laisser le
temps do se reconnaître, se tourna vers le pasteur et lui dit gaîment :
— Ah ! par exemple, monsieur le curé, vous me donnerez l’hospitalité
pour celte nuit.
— Et j'en serai bien heureux! dit l’abbé Aubert, qui avait rencontré
| un bon cœur et se trouvait tout de suite en pays de connaissance.
Il rentra à la cure avec son hôte. Lo sieur Boudart, gros paysan en-
j richi et maire de l'endroit, voulut bien leur tenir compagnie. L’ha-
j bitation do ce dernier, bien bâtie et couverte en tuiles, avait éio pro-
| servëe dans l’incendie du hameau, et n’ayant aucun malheur à déplorer
pour son compte, il s’inquiétait peu de Ceux des autres.
Le presbytère était dans le plus beau désordre qui se puisse imaginer.
Le curé avait tout mis au pillage chez lui pour secourir les pauvres
paysans, harassés de fatigue et étendus sur le pavo de la place. Les ri
deaux des fenêtres étaient arrachés, les meubles ouverts et dépouillés de
tout ce qu’ils contenaient ; il en était de même 4a l’efflco et do la cui
sine, livrés à la dernière punurie.
Le curé et les deux personnes qui l’accompagnaient, s’ôtaient jetés
sur dos sièges au milieu de ce cahos. Au dehors, le bois qui brûlait tou
jours jetait des reflets rougeâtres sur le vitrage nu des croisées, nu-de
dans,'la petite flamme blanche de la lampe que parlait Suzanrio en va
quant aux soins du ménage, éclairait d’une lueur paisible cet intérieur
encore empreint de calme et de sainteté au milieu de son désordre.
Mais tout le mouvement que se donnait la jeune scrvanlo pour prépa
rer le sou [ter attestait seul'ment le désir extrôme qu’elle aurait eu de
servir à l’hôte do son maître un repas présenlab e ; car, au bout du
compte, elle ne posa sur la table qu’une huniblo collation, dont les pré
paratifs avaient dû être bien ôt faits.
— Qu’est-co que vous apportez la? mademoiselle...
L’étranger s’interrompit ignorant quel uoin il devait ajouter à son in-
tei'i ellation.
— Suzanne, dit le curé.
— Elle est bien jolie ! dit l’inconnu en regardant 1a jeune fille d’un air
simp'e et ouvert.
— C’est pour cela que je l’ai prise avec moi, répondit le pasteur. Oui,
ajou.ta-t-il pour veiller sur elle et la garder de plus près.
Ces mot; furent prononcés avec tant de candeur et do dignité pater
nelle, que l’étranger n’eut pas un sourire sur les lèvres. Il reprit son
discours.
Qu’est-ce que vous apporlez-là, mademoiselle Suzanne? Dos œufs, du
fromage, des noix... ce n’est pas mai; mais j’ai vu en entrant un mor
ceau de lard fumé qui, posé cinq minutes sur le gril, compléterait bien
notre souper.
— J’y avais pensé, dit le pasteur, mais c'est aujourd’hui vendredi...
et jo ne sais si vos principes...
— Mes principes s’arrangent de tout, à ce point, que je permets même
aux autres do faire maigre si lo cœur leur en dit.
Le curé sourit, le père Boudart fronça le sourcil, Suzanne courut faire
rôtir le lard.
Un instant après, lo souper fut servi, et, malgré l’exiguité du repas, la
jeune fille resta pour servir à table.
Les convives étaient placés devant la fenêtro ouverte et entourée do
pampres au rez-do-chatis ée. A défaut du luxe d’intérieur on pouvait
jouir de celui de la nature. La nuit était devenue limpide et brûlante f
l’incendie du bois qui s’éloignait ne semblait plus qu'un immense flam
beau servant à éclairer un magnifique paysage. Sur la place, les paysans,
calmés dans leurs vives inquiétudes par les prompts secours qu’on ve
nait de leur promettre, étaient étendus pèle-môlo, dans un pittoresque
bivouac, el paisiblement endormis.
Lo morceau de lard devait être attaqué lo premier, l’excellent curé,
au moment do servir sou hôto restait comme embarrassé de la responsa
bilité qu’il allait prendre.
— Voyez, dit l’étranger en tendant d’une main son assiette, et en
montrant de l'autre les villageois qui reposaient si doucement à la belle
étoile, voyez. ils.prient pour nous!
— Ils dorment.
— Ce somm il qu’ils doivent à vos bons soins et à l’assurance des se
cours qu’ils recevront de moi n’est-il pas la meilleure intercession pour
nous devant Dieu?
— Vous avez toujours raison, mon cher hôte, dit en souriant lo curé
Lo maire jeta un regard courroucé à l’étranger, et dit on se servant
uno part d’omolelle ;
— Moi, jo trouvo qu’un jour maigre on peut bien souper avec des
œufs.
Lo jeune honuue no l’entendit pas; il tenait ses regards fixés sur la
hauteur de Saint-Brice. «
— Voilà cep niant, dit-il, un bois... uno fortune entière... qui sera
consumé dans quelques heures.
— Ilélas 1 que faire? dit le curé. Il est impossible do porter de l’eau
jusque-là... on mourrait à lu peine avant de sauver seulement un arbre.
— Et son propriétaire, continua l’inconnu, sera peut-être ruiné do
main !
— Non, répondit l’abbé Aubert. Ce bois fait partie des domaines de
l’évêché
— Oh ! alors c’est charmant, dit le jenno homme eti riant. Le feu du
ciel qui brûle les biensd’un évêque 1... Quel scandale entre les grands!...
Maintenant je no voudrais pour rien au monde éteindre l’incendie.
— Monsieur!... dit lo maire, un saint prélat!...
— Bah ! les prélats en ont toujours assez... C’est à l’Eglise comme ail
leurs; tout au sommet, rien au bas do la montagne.
— 11 faut gémir du mal en quelque lieu qu’il se présente, dit le pas-
leur.
— Mon Dieu ! j’en gémis aussi, répondit l’étranger. Car dans l’incen
die de ce bois je regrette... la cabane du bûcheron.
A ce dernier trait d’impiété, le père Boudart envisagea le jeune hom
me d’un air plus sombre, et comme si la séduisante apparence dont il
était revêtu < ût dû cacher Satan en pctsnnne.
Et tandis que l'inconnu tendait son verre à Suzanno, qui lui versait la
boisson do genièvre contenue dans une grande cruche, le maire se pen
chant à l’oreille du pasteur, lui dit rapidement à voix basse :
— Méfiez-vous de cet homme... méfiez-vous 1 '
L’abbé Aubert, pour toute réponse, demanda excuse à son hôte de n’a
voir pu lui ol'fiir que ce te b ùsson qui semblait peu flatter son goût.
— Un toit, dit-il, sans souper cl sanî lit, c’est là une triste hospitalité
que je vous offre.
— Allons, mon cherhôle, dit l’élranger, n’en concevez aucun souci...
Tenez, c'était seulement pour lo plaisir de me faire plaindre un p.-u do
vous que je faisais le difficile à l’égard des œufs et du genièvre... car,
en vérité, j’ai été souvent plus mal couché et plus mal servi que ce
soir.
— Vous... si riche 1...
— Pauvre ou riche, c’est comme on voudra... J’ai habile la mansarde,
sans feu et souvent sans pain; j’ai porté l'habit de bure et parfois la
veste sur l’épaule; j’ai passé des nuits de travail, et des jours de repos
sans salaire, plus tristas encore que la veille laborieuse...
En cet instant, l’étranger tirait sa tabatière et la présentait à ses com
mensaux.
Attirés par l’éclat de la boîte enrichie de pierreries, le curé et le
maire la prirent, l’examinèrent et virent un portrait d’homme décoré
d’augustes attributs.
— C’est le portrait d’un de mes amis, dit l’inconnu.
Lo pasteur et le père Boudart lurent au bas de la miniature Mural,
roi de Naples.
— Et cette peinture achève de vous raconter ma destinée, continua
l’étranger, car si j'ai été paurre et souffrant dans les froides cabanes du
nord de la France, j’ai aussi eu place dans les palais de l'Italie, j’ai man
gé à la table des grands et je les ai reçus chez moi... J’ai été l’ami de ce
roi chevalier...
Les deux habitans du village examinaient l’inconnu avec plus de eu -
riosilé.
Tout ce qu’il y avait à la fois en lui de distinction et de simplicité, son
aspect do noblesse et son laisser-aller, son regard grand seigneur etson
air bon enfant, tout attestait la vérité de ce qu’il venait de dire, et mon
trait en lui l’empreinte des diverses classes de la société.
—Eh bien, ajoutu-t—il gracieusement, mon asile de co soir est entre
les doux extrêmes. Et, vous le savez, mon cher pasteur, ce qu’il y a de
mieux en toute choso c’est la médiocrité.
L’abbé se taisait en regardant son hôto avec un intérêt croissant.
Lejeune homme continua :
—C’est votre état habituel, à vous, digne ministre... car je pense quo
d’ordinaire vous u'êios guère plus opulent que ce soir... et c’est là votre
plus beau lustre !
— On se trouve toujours trop riche quand ou voit des malheureux au
tour de soi.
— Je suis sûr quo les villageois trouvent on vous le meilleur père.
— Je ne fais rien par moi'même; tout m’est d cto par les ordres qui
m’ont envoyé garder cetto petite population de Saint-Brice , isolée dans
un coin du monde ; aussi ma vie est bien simple.
— Et bien remplip.
— Je me lèvo avec le jour; jo fais ma tournée dans les chaumières,
ot vais demander à chacun comment il a p’issc la nuit, car c’est la nuit
que les soucis se font surtout sentir , et le sommeil e.-t le baromètre qui
marque les degrés de b.en-être et de peine; chacun m’expose alors ses
besoins, s' S souffrances. Jo reviens à l'église dire ma messe; c’est là quo
je retrouve des inspirations pour les affaires do la journée. Ensuite, se
lon les soins qui mo sollicitent, j’exerce diverses professions...
— Vraiment?
— Agriculteur, jo dirige souvent les travaux des champs; avocat, jo
règle parmi mes ciiens les successions ot les partages; médecin, j’en sais
assez pour combattre les maladies simples et uniformes, comme tout lo
reste à la compagne... Les ressources sont sous ma main : mon jardin
n’est planté que de simples, lo baume forme mon gazon, le lichen croît
autour de mon'puits. Je compose avec tout cela des boissons bienfaisan
tes, et Suzinne les porte chez les malades avec sa douceur accoutumée
et sa bonne grâce, plus efficace qu« tues breuvages... puis ces soins ter
minés, je vais en champ...
— En champ!
— Sans doute. Ne dois-je pas dire chaque jour mon bréviaire? Mieux
vaut méditer les leçons du Seigneur sous la voûte du ciel que dans l’om
bre des murs; et puisque jo vais quelques heures errer dans la campa
gne, ne puis-je pas y garder les troupeaux. U y a dans lu pays des, fa-
mdles dont tous les bras sont utiles au travail ; je leur viens en aide en
gardant leurs bestiaux ; et le chien du berger ne me semble pas une com
pagnie: à dédaigner... Mais cela pour cinq jours de la semaine seulement.
Lo samedi je catéchise et je confesse.
— Et vous avez beaucoup a faire, dit le maire, chacun court à votre
confessionnal.
— C’est que je les rassure sur l’état de leurs conscience au lieu do les
alarmer ; jo leurs apprends qu’i s sont justes et sages autant que Dieu
l'exige de ses faibles créatures, et persuader les hommes (le leur bonté
est le meilleur moyen de les rendre bons. Aussi,ajouta l’abbé Aubert en
souriant, je les ai entendu appeler quelquefois par mégarde mon coufes-
sionnal le tiibunal de consolation.
— Ali 1 monsieur lo curé, s’écria le jeune étrauger, si jetais prince,
quelle croix d’honneur jo vous donnerais!
Le pasteur lui serra la inain, tout en se levant de table pour rompre
cct entretien.
— Mais nous voici, dans un cas exceptionnel, reprit l’inconnu. Si vo
tre bonté paternelle subvient aux besoins journaliers do cette pauvre
population, que pourrez-vous faire pour elle, avec tous les trésors de
votre coeur, lorsque demain tant de malheureux se trouveront sans abri
devant leurs cabanes incendiées?
— Je prêcherai pour eux.
— Comment.
— Oui, je tâcherai d’obtenir de ceux qui possèdent un peu plus que lo
nécessaire des secours pour ceux qui ne l’ont pas, et le moyen de re
bâtir do petites chaumières qui s’élèvent à si peu do frais! Voici par
exemple monsieur/le maire qui est riche...
Le pèro Boudart toussa en détournant la tête.
— Monsieur le maire qui est riche, continua le curé, et que deux millo
francs à donner ne gêneraient pas...
Le maire toussa beaucoup plus fort.
— Si je puis eu trouver autant d'un autre cêlé...
— Si vous on trouvez autant d’un autre cote, interrompit en riant lo
jeune homme, vous ne serez pas bien riche, mon bon inousieui !... Mais
disons la vérité, je ne demandais cela que pour éclaircir lo fait, car j’a
vais déjà mon projet à part moi.
En disant cela, il ouvrit son portefeuille.
—Il paraît, continua-t-il, que quatre billets de millo francs pourraient
faire votre affaire. En voici cinq que je remets entre vos mains... Ils
seront bien placés pour fructifier... Avec cela, on fera venir des maté
riaux pour reconstrruire ou réparer les habitations, et il restera encore
quelque chose pour les besoins dos pauvres ménages.
il mit les billets de banque sur te prie-Dieu du curé, et posa dessus le
socle d’une délita figure de vierge en guise do serre-papier.
Lo pasteur remercia ce jeune homme par un regard plus éloquent que
toutes les paroles de reconnaissance.
Suzanne, demeurée dans un angle obscur de la salle, laissa échapper
un crie de joie, et joignit les mains devant l’étranger avec une naïve
extase.
Le maire s’ôtait montré dur et cupide devant cet homme, et se trou
vait maintenant écrasé par sa générosité, c’était assez pour le haïr, il lui
jeta un coup-d’œil oblique, envenimé, et, après avoir dit sèchement bon
soir à l’abbé Aubert, il s’en alla le cœur plein de fiel et d’unirno-ité.
Alors, sans donner le temps an pasteur de lui exprimer sa gratitude,
le jeune homme fit observer qu’il était bien l’heure de se reposer.
Ainsi l’abbé ot. son hête demeurés seuls procélèrent à leur coucher.
Les préparatifs furent bientôt faits. Les lits étaient dévastés et hors do
service, deux grands fauteu ls de tapisserie durent les remplacer.
L’étranger ôta sa cravate, son habit, lira de sa poche une petite loque
rouge dont il se. coiffa coqueliement, puis, ayant trouvé sous sa inain
une pièce d’étoffe à rayures brunes et bleues qui, dans le désordre do la
maison,avait été apposée là par hasard,il s’enveloppa dece tissu déroulé
en manière do robe d: chambre. Cela fait, il s’étendit et s’arrangea do
son mieux dans le grand fauteuil à meillères.
Le curé s’établit a quelques pas sur un siège semblable; il souffla la
lampe et la nuit commença.
Au bout d’un quart d’heure, le jeune homme dormait déjà profondé
ment. L’abbé Aubert, ébranlé par les événemens do cette soirée, n’avait
jamais été si éveillé. Mais, les yeux ouverts, il rêvait du bonheur de ses
pauvres paysans, de leur ravissement, lorsqu’au point du jour il leur
porterait la nouvelle d'une fortune merveilleuse, et qui tombait du ciel
en un si pressant besoin.
Agité par ces préoccupations, il se leva bientôt, parcourut la salie à pas
silencieux, tout en calculant le temps et les dépenses que nécessitait la
réconstrOCiion des chaumières, puis aussi les ressources qui devaient
abondamment y subvenir... Une fois, le cours do sa marche régulière
l’avait ramené auprès de son hôto, ii contempla lo jeune homme,dans
son sommeil.
La lune ; 'était levée et répandait la lueur la plus pure; l’incendie du
bois, éteint faute d’ulinicnt, ne laissait plus de trace; tout l’horizon bai
gnait dans des ombres légères et argentées. Uno blancheur éclatante se
répandait au sommet de l’église, sur la ptaco où reposaient les villageois,
et pénétrait dans la salle basse du presbytère par uno ogive rompue et
garnie de feuillages.
Le jeune étranger so trouvait dans cet espace éclairé. Sa coiffure rou
ge, le pan d’étoffe que, sans y prétendre, il avait pittoresquement drapé
autour de lui, les belles couleurs du sommeil, donnaient à res traits ad
mirables un caractère plus saisissant. Sa figure se détachait dans la. mollo
clarté delà lune, qu’encadraient les ombres portées du lierre.
On npjrcevait aussi, près de lui, les billets de banque posés sur lo
prie-Dieu.
Le curé, regardant tour à tour ce don fait avec tant do simplicité ot
le jeune homme endormi, se prit à dire tout haut :
—Qu’il est bon i
Uno voix fraîche et vibrante dit on môme temps :
_Qn’il est beau 1
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 85.86%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 85.86%.
- Auteurs similaires Morlent Joseph Morlent Joseph /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Morlent Joseph" or dc.contributor adj "Morlent Joseph")La Revue du Havre illustrée : littérature, beaux-arts, romans, modes, théâtres, feuilletons, anecdotes /ark:/12148/bd6t542576976.highres Revue du Havre et de l'arrondissement, Courrier de Graville : industrie, commerce, agriculture, sciences, nouvelles, théâtres, feuilletons, tribunaux, modes ["puis" politique, industrie, commerce, agriculture, sciences, nouvelles, théâtres, feuilletons, tribunaux, modes] /ark:/12148/bd6t54257597v.highres
-
-
Page
chiffre de pagination vue 2/8
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://nutrisco-patrimoine.lehavre.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k923538r/f2.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://nutrisco-patrimoine.lehavre.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k923538r/f2.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://nutrisco-patrimoine.lehavre.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k923538r/f2.image
- Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://nutrisco-patrimoine.lehavre.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k923538r
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://nutrisco-patrimoine.lehavre.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k923538r
Facebook
Twitter