Beaumarchais, dans ses négociations du Havre, se garda bien d'agir officiellement en son nom personnel. Ce fut de la raison sociale « de Monthieu, négociant à Paris », qu'il se couvrit, et c'est à ce nom qu'Eyriès, Le Couvreur et Cie, firent leurs achats.
Les préparatifs des envois furent assez longs et ceci s'ex- plique puisqu'il fallait procéder à d'importantes acquisitions d'armes (1), accumuler des stocks d'équipements et d'approvi- sionnements de tous genres, dépassant de beaucoup les achats habituels aux armateurs havrais. Leur destination réelle fut bientôt le secret de tout le monde, car les capitaines et les armateurs, dans une ville où chacun vivait du commerce maritime, ne pouvaient ignorer ce qui se tramait dans un mystère qu'éclaircissait de plus en plus la pétulante person- nalité de Beaumarchais.
Par contre, ce qui fut gardé, et d'une manière extraordinai- rement discrète, ce fut l'origine des fonds dont il disposait. Ostensiblement il ne s'agissait que des trois millions prêtés par les fermiers généraux, augmentés de ce qu'il avait pu se procurer par son crédit personnel. La discrétion fut à ce point complète que les Américains y furent pris et qu'après la guerre, lorsque Beaumarchais se vit dégagé de toute obligation d'hon- neur et parla, personne ne le crut.
Le premier navire expédié du Havre par les soins de Beau- marchais fut l'Amphitrite (2) ayant, comme tous ceux qui le suivirent, Saint-Domingue pour destination ostensible. Made- moiselle Le Masson Le Golft déclare qu'il était entièrement chargé de munitions de guerre et de pièces d'artillerie, dont les principales étaient 70 à 80 canons de bronze, avec des mortiers. Les mortiers furent tirés de notre arsenal de terre et les plus belles pièces de canon de nos bastions. M. Ducoudrais,
ments utilisés pour établir la véritable personnalité des correspondants havrais de Beaumarchais, on m'a toujours objecté l'affirmation, sans preuves d'ailleurs, de M. Lintilhac. Il est des légendes qu'il faut qu'on tue!
(1) Notamment a Saint-Etienne. — Lettre de la Chambre de commerce de celte ville, 13 mai 1780. Arch. de la Chambre de commerce, carton 3.
(2) BORELY, 1. III, p. 502, lui donne le nom d'Arthémise. Cette erreur a depuis été religieusement reproduite par tous les écrivains locaux, qui n'ont connu de Beau- marchais armateur que ce que cet historien a pris dans les Annales de Mademoi- selle Le Masson Le Colft, où le nom du navire se trouve correctement indiqué.
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