Titre : Le Réveil du Havre : organe républicain ["puis" organe républicain-socialiste indépendant "puis" organe du Parti républicain démocratique]
Éditeur : [s.n.] (Le Havre)
Date d'édition : 1900-12-29
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32854639q
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 29 décembre 1900 29 décembre 1900
Description : 1900/12/29 (N244). 1900/12/29 (N244).
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k3263443s
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-89667
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 05/05/2019
Organe du Parti Républicain Démocratique
PRIX DES ABONNEMENTS
Le Huvre et la Seine-Inférieure par an 3 fr.
Départements ® 4 fr*
ADMINISTRATION ET RÉDACTION
15, RUE GASIMIR-PÉRIER, 15
Secrétaire de la Rédaction Alfred HENRI
L’Imprimeur-Gérant .. F. LE ROY
Prix des Insertions :
Annonces 25 centimes la ligne
Réclames 50 »
On traite à forfait
U
Il est difficile, pour quiconque a
quelque souci de la dignité de notre
pays, de suivre sans un profond
dégoût la plus récente campagne
conduite par une certaine presse
contre la politique de Défense Ré
publicaine en général et contre le
ministre de la guerre en particulier.
Messieurs les nationalistes ont com
mencé par attendre leur revanche
des Chambres d’abord, du suffrage
universel ensuite. Il est devenu évi
dent que les Chambres ne sont pas
disposées à la leur donner ; et, pour
surcroît de malheur, chaque élection
partielle a emporté un morceau de
leurs illusions sur l’état d’esprit du
pays. Ils ont alors mis de côté toute
vergogne ; et c’est à l’étranger qu’ils
demandent présentement de les dé
barrasser de la politique et des
hommes qui les gênent.
On ne sait vraiment ce qui l’em
porte, dans leur entreprise, de
l’odieux de la pensée première ou
du ridicule du prétexte choisi. Il
paraît qu’un journal russe, le Novoïé
Vremia , a publié, pour soutenir
notre militarisme clérical, un article
d’ailleurs parfaitement absurde.
D’après cette feuille étrangère,
en réprimant les manifestations po
litiques de quelques officiers plus ou
moins révoltés, on introduit la poli
tique dans l’armée, et on rend cette
même armée « tyrannique et vexa-
toire pour son propre pays > en
l’arrachant à l’influence des hommes
qui ont ouvertement essayé de la
tourner contre le régime légal.
Comme nous lisons ordinairement
de pareilles sottises dans une partie
de la presse parisienne, il semble,
au premier coup d’œil, assez insi
gnifiant de les trouver aussi dans
un journal étranger, et c’est un
événement d’importance médiocre,
que certains non-sens, devenus
courants chez nous, aient été une
fois traduits en russe.
Mais voici comment raisonnent
nos bons patriotes : « Là-bas, la
presse n’est pas libre. Donc, tout
ce qui paraît dans les journaux
exprime l’opinion du gouvernement;
donc, c’est la Russie elle-même qui
nous fait savoir qu’à son avis la
politique du ministère actuel désor
ganise l'armée. Par conséquent, il
faut choisir : ou l’on doit mettre le
général André à la porte ou il faut
se résigner à perdre l’alliance russe.
Et n’allez pas prétendre qu’un tel
raisonnement ôte rien à la pleine
indépendance et à la dignité de la
France ! Au contraire. Puisque
les deux pays sont alliés, l’armée
russe est deetinée à défendre la
patrie française, et l’armée fran
çaise destinée à défendre la patrie
russe. II est donc tout naturel que
le tsar nous fasse savoir quelle poli
tique militaire nous devons adopter. »
Je ne fais pas à mes lecteurs l’in
jure d’insister sur ce qu’une telle
argumentation a de baroque. C’est
évidemment porter un défi au sens
commun que de prétendre que, dans
les pays où la presse n’est pas libre,
tout article de journal reproduit la
pensée du gouvernement. Comme,
même de tels pays, les journaux sou
tiennent continuellement, l’une con
tre l’autre, les opinions les plus op
posées, il s’ensuivrait que le gouver
nement y a en même temps, sur le
même sujet, des avis contraires. Le
régime de la censure a existéjjen
France sous la Restauration et celui
du bon plaisir sous le second Empire.
Si un journal étranger, à l’une de
ces deux époques, en avait conclu
que ce qu’écrivaient dans certaines
feuilles françaises les libéraux de
1825 et les républicains de 1855 tra
duisait la pensée de M. de Villèle ou
de Napoléon III, il aurait commis
une erreur singulièrement ridicule.
Il faut reconnaître que le gouver
nement du tsar a mis, jusqu’ici, une
grande correction à éviter tout ce
qui pourrait lui donner l’apparence,
je ne dis pas de prendre parti, mais
de laisser entrevoir une préférence
dans nos décisions intérieures. Il est
donc évident qu’il s’est bien gardé
d’inspirer l’article du Novoïé Vré-
mia. Et qui sait même si cet article
est aussi russe qu’il en a l’air ? « Y a
des gens qui se disent Espagnols et
qui ne sont pas du tout Espagnols »,
dit la romance. Sous son costume
moscovite, l’article en question a
dans la physionomie un je ne sais
quoi qui fait penser au boulevard
Saint-Germain ou à la place des In
valides.
Mais la question est de minime
importance. Ce qu’il faut retenir,
c’est la situation de vasseîage que
messieurs les nationalistes réclament
pour la France dans l’alliance russe.
Ils allèguent en vain que, chacune
des deux armées étant destinée à
défendre à la fois les deux pays, cha
cun des alliés peut donner un avis
impératif sur l’organisation militai
re de l’autre sans atteindre son in
dépendance. Je laisse au lecteur le
soin de juger si la réciproque serait
soutenable et comment nous serions
reçus si nous faisions savoir au tsar
qu'il ferait bien de renoncer à la po
litique militaire qu’il juge la meil
leure, de chasser le ministre de la
guerre qui a sa confiance, et de
réinstaller des chefs qu’il aurait
frappés ou écartés à cause de leur
esprit de révolte contre son gouver
nement. Le jour ou l’on se permet
trait, de notre côté, une pareille im
pertinence, nos bons nationalistes
ne seraient pas les derniers à crier
qu’on détruit l’alliance russe en em
ployant, vis-à-vis d’un gouverne
ment ami, des procédés qu’aucun
Etat soucieux de sa dignité ne pour
rait supporter une minute.
Cependant, ces messieurs accep
tent pour la France ce qu’ils juge
raient intolérable pour la Russie.
Et voyez la situation qu’ils réser
vent à leur pays ! Je ne dirai pas
qu’à les en croire le gouvernement
français devrait, dans les questions
militaires, prendre les ordres du
tsar. Non, un tel état de chose com
porterait encore, d’après eux, trop
d’indépendance pour notre Répu
blique. Le tsar n’a même pas à nous
faire connaître ses volontés ; c’est
nous qui devons tâcher de les devi
ner à travers les lignes des articles
qu’il laisse paraître dans la presse
russe. Peut-être risquerons-nous de
nous tromper dans notre zèle domes
tique ; peut-être ne sera-ce pas le
gouvernement de Saint-Péterbourg
qui aura inspiré les lignes où l’on
nous met en demeure de chasser tel
ou tel ministre; peut-être, quand
nous croirons obéir, n’aurons-nous
pas exactement deviné la pensée de
notre maître étranger. Qu’importe ?
Nous aurons tout au moins fait
preuve de l’esprit de soumission le
plus humble ; et c’est l’essentiel.
On s’était déjà aperçu que mes
sieurs les militaires s’appelaient na
tionalistes, précisément à cause de
leur manque absolu d’esprit natio
nal. Mais je ne les croyais pas, pour
ma part, capables de descendre
jusque-là. Ce qu'il y a de plus répu
gnant, dans une telle campagne,
c’est qu’ils ne peuvent pas croire un
mot de ce qu’ils disent. Ils savent à
merveille que le gouvernement russe
n’a jamais affiché la prétention in
tolérable de nous dicter une politi
que militaire quelconque, pas plus
que nous ne songeons à rien de pa
reil à son égard. Ils ne pourraient
pas, sans perdre la raison, croire
qu’aucun gouvernement sacrifierait
une entente avec une puissance mi
litaire de premier ordre, comme la
France, parce que telle mesure prise
au sujet de l’organisation de l’armée
lui semblerait plus ou moins heu
reuse. Et s’ils tentent d’assigner à
leur pays, dans l’alliance russe, le
rôle le plus humilié, c’est unique
ment dans un intérêt de parti, et
pour essayer de nous imposer, au
nom de l’étranger, leurs pré tentions
condamnées par les Chambres et par
le suffrage universel.
On est stupéfait, quand on pense
qu’un calcul si honteux est celui de
gens qui prétendent parler au nom
d’hommes encore revêtus de l'uni
forme français.
Camille Pelletan.
M. DE LUESSM
A
TROUVILLE
Dimanche dernier, a eu lieu à Trou
ville, une fête corporative et républi
caine qui a remporté dans la popula
tion maritime de cette ville le plus
franc succès.
La Chambre syndicale des Marins,
patrons et armateurs du quartier de
Trouville, avait invité M. de Lanes
san, Ministre de la Marine, à prési
der une assemblée générale de ce
groupe important.
Une nombreuse assistance a reçu le
Ministre à la gare. En dehors des au
torités de Trouville et de la région,
on remarquait des délégués des villes
voisines, le Havre, Caen, Ronfleur,
etc. Plusieurs pilotes du Havre avaient
tenu à manifester par leur présence,
leur sympathie pour le Syndicat des
marins et pour le Ministre de la Ma
rine.
D.ans l'assemblée générale qui a eu
lieu au théâtre municipal, qui était
comble, on a entendu un rapport des
plus intéressants et des plus docu
mentés de M. Le Hoc, président du
Syndicat, un discours de bienvenue
de M. Contant, maire de Trouville,
et une allocution deM. de Lanessan.
L’honorable Ministre a fait ressortir
l’importance des groupements corpo
ratifs, et il a promis son concours à
l’œuvre démocratique entreprise par
le Syndicat de Trouville.
Le soir, un banquet réunissait en
viron trois cents convives dans la
grande salle du Restaurant de la plage.
Il nous a été donné d’assister à une
belle manifestation républicaine en
faveur du ministère altuel. Cette ma
nifestation était d’autant plus carac
téristique qu’elle sê passait en pré
sence de sénateurs et députés hostiles
au ministère de défense républicaine,
MM. Tillaye et Puchesne-Fournet,
sénateurs. Ont-ils compris que l’opi
nion publique s’éloigne de plus en
plus d’eux et de leurs amis nationa
listes, pour suivre les républicains sin
cères qui luttent contre la réaction
cléricale et méliniste ? Nous l’espérons
pour eux. Nous ne voulons retenir de
cette grande manifestation que l’assu
rance donnée par M. de Lanessan,
en son nom et au nom du Ministère
de Défense Républicaine tout entier,
qu’en dépit des injures, des insinua
tions perfides, le gouvernement restera
à son poste, où il continuera son œu
vre de combat contre toutes les coali
tions réactionnaires.
Nous croyons savoir que M. de
Lanessan ne tardera pas à venir offi
ciellement dans notre ville. Ce sera
un jour heureux pour notre popu
lation démocratique, profondément
écœurée das votes et de l’attitude des
députés Rispal et Brindeau. Comme
les Ducbesne-Fournet et les Tillaye ;
ce jour-là ces Messieurs riront jaune,
et les républicains se réjouiront.
«agjgs».
FIN BE SIÈ CLE
L’an dernier, à pareille date, tous
les journaux dissertaient à l’envi sur
la question de savoir si le xix e siècle
finissait avec le mois de décembre
1899 ou avec le mois de décembre
1900. Les savants (?) s’en mêlèrent
et des flots d’encre furent répandus
pour résoudre cette chose si simple.
Il paraît que le point fut irrévocable
ment fixé, car on n’en parle plus,
alors pourtant; que le siècle touche
bien à son terme. Avec le premier
janvier 1901, luira l’aurore du xx e
sur les longues théories de fonction
naires endiqpanchés, déambulant en
visites officielles.
Que ce soit une année ou un siècle
qui s’achève, la transition est la même
tant au point de vue du calendrier
que des traditions sociales ou mon
daines. Mais il ne faut pas nier ce
pendant qu’il n’y ait quelque chose
de plus. L’histoire du monde compte
par siècle : nous achevons l’une de
ces grandes périodes, période très
agitée, qui vit disparaître, en France,
deux républiques, deux empires et
trois monarchies. La troisième répu
blique, qui nous gouverne et avec la
quelle nous franchirons l’étape du
nx c siècle, est le plus long régime et
aussi la plus longue constitution qu’il
ait connus.
L’homme est-il beaucoup meilleur
après tant d’épreuves et est-il plus
près du bonheur ? Rien ne le prouve.
Qu’il les couvre au nom du vernis de
la civilisation, qu’il les étale sans
pudeur ou qu’il les entoure de for
mules scientifiques, il vit depuis le
commencement des siècles avec les
mêmes passions. Parcourez les plus
anciens textes sacrés, il ne vous ap
paraîtra pas que les idées de morale,
tant absolue que considérée dans les
rapports des individus entre eux,
aient acquis quoi que ce soit en élé
vation. Les mêmes principes guident
l’humanité vers le bien, les cultes
imposent aux fidèles les mêmes sacri
fices.
L’évolution est tout entière dans
les mœurs. Et cela est logique : puis
que la vérité est immuable, elles
seules peuvent changer avec les pro
grès matériels qui modifient perpé
tuellement les conditions de l’exis
tence.
Nous sommes moins barbares, c’est
vrai, au sens strict du mot, mais la
société s’entend aussi bien à faire
souffrir ceux qui la gênent ou qu’elle
châtie. Si les peines sont moins horri
bles, si les moyens sont plus décents,
nous sommes d’autre part beaucoup
plus impressionnables, nous sentons
avec plus d’acuité les tortures morales
et physiques qu’on nous inflige. Telle
peine qui aurait à peine ému nos an
cêtres nous atteint profondément. Il y
a la même distance entre eux et nous
qu’entre nous et certaines peuplades
primitives ; ni la more ni les suppli
ces, ni la captivité n’y provoquent le
même effroi que chez nous.
De même, nous ne sommes pas plus
près du bonheur, car si nous avons
parfois atteint le but poursuivi par
ceux qui nous ont précédés, un autre
but aussitôt a surgi devant notre dé
sir. Vouloir atteindre le bonheur,
c’est vouloir atteindre l’infini. Nous
avons, aujourd’hui des besoins qu’i
gnoraient nos pères et nos enfants en
connaîtront d’aussi impérieux, que
nous ne soupçonnons même pas. Si
l’existence en devient plus conforta
ble, elle n’est guère plus douce, en
raison de ce sentiment indéracinable
qui pousse l’homme à souhaiter tou
jours davantage. N’est-ce point là,
d’ailleurs, qu’il puise toujours le se
cret de sa force dans la lutte pour la
vie? Son ambition jamais satisfaite,
ambition d’art, de sciences ou simple
ment de jouissances matérielles, est le
secret de son courage.
Voilà pourquoi le siècle qui vient
sera, sous bien des rapports, sembla
ble aux siècles qui Font précédé, pour
ceux qui, ne se contentant pas de l’as
pect extérieur des événements, vou
dront pénétrer l’âme de l’humanité
dont la marche vers le bonheur ne
s’arrêtera jamais. L’effort doit porter
surtout à assurer au monde plus de-
liberté et plus de justice. Sous ces
deux garanties essentielles, protec
trices de la personnalité et indispen
sables à l’action, chacun peut du
moins poursuivre sa tâche et deman
der à la vie tout ce qu’elle est sus
ceptible de lui donner. L’oppression
et l’injustice sont d’odieux abus que
notre obligation, à tous, est d’arra
cher des institutions sociales. Les
gouvernements qui s’en rendent
sciemment coupables sont indignes de
leur époque. Tâchons au moins d’a
voir, pendant le xx e siècle, obtenu
l’application des principes proclamés
à la fin du xvm e . Cent ans pour arri
ver là, c’est bien assez.
Donc, alors même que nous recon
naissons la vanité d’une partie de
notre effort, n’en continuons pas
moins d’agir. Toute idée que l'on
sème peut germer un jour. Les hom
mes de bonne volonté ont pour de
voir de poursuivre leur œuvre sans
relâche, ne fût-ce que pour empêcher
l’erreur de se propager, pour tenir
tête à ceux qui font consister le pro
grès dans la réalisation plus ou moins
violente d’un idéal impossible. Pré
dire le*règne du bonheur universel
est leurrer les gens crédules d’une
utopie dangereuse, en leur préparant
d’amères déceptions.
| Il faut voir la vie telle qu’elle est
et travailler, plus simplement, à ce
que le siècle qui vient voie le règne
de la justice et de la liberté, qu’il soit
aussi, si possible, le siècle de la paix.
La guerre de Chine contre le fana
tisme du vieux monde ; la guerre du
Transvaal, où la force prétend ravir
son indépendance à une poignée de
héros, sont bien faites pour montrer
tout l’odieux de ces expéditions san
glantes, sacrées cependant lorsqu’il
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Annonces 25 centimes la ligne
Réclames 50 »
On traite à forfait
U
Il est difficile, pour quiconque a
quelque souci de la dignité de notre
pays, de suivre sans un profond
dégoût la plus récente campagne
conduite par une certaine presse
contre la politique de Défense Ré
publicaine en général et contre le
ministre de la guerre en particulier.
Messieurs les nationalistes ont com
mencé par attendre leur revanche
des Chambres d’abord, du suffrage
universel ensuite. Il est devenu évi
dent que les Chambres ne sont pas
disposées à la leur donner ; et, pour
surcroît de malheur, chaque élection
partielle a emporté un morceau de
leurs illusions sur l’état d’esprit du
pays. Ils ont alors mis de côté toute
vergogne ; et c’est à l’étranger qu’ils
demandent présentement de les dé
barrasser de la politique et des
hommes qui les gênent.
On ne sait vraiment ce qui l’em
porte, dans leur entreprise, de
l’odieux de la pensée première ou
du ridicule du prétexte choisi. Il
paraît qu’un journal russe, le Novoïé
Vremia , a publié, pour soutenir
notre militarisme clérical, un article
d’ailleurs parfaitement absurde.
D’après cette feuille étrangère,
en réprimant les manifestations po
litiques de quelques officiers plus ou
moins révoltés, on introduit la poli
tique dans l’armée, et on rend cette
même armée « tyrannique et vexa-
toire pour son propre pays > en
l’arrachant à l’influence des hommes
qui ont ouvertement essayé de la
tourner contre le régime légal.
Comme nous lisons ordinairement
de pareilles sottises dans une partie
de la presse parisienne, il semble,
au premier coup d’œil, assez insi
gnifiant de les trouver aussi dans
un journal étranger, et c’est un
événement d’importance médiocre,
que certains non-sens, devenus
courants chez nous, aient été une
fois traduits en russe.
Mais voici comment raisonnent
nos bons patriotes : « Là-bas, la
presse n’est pas libre. Donc, tout
ce qui paraît dans les journaux
exprime l’opinion du gouvernement;
donc, c’est la Russie elle-même qui
nous fait savoir qu’à son avis la
politique du ministère actuel désor
ganise l'armée. Par conséquent, il
faut choisir : ou l’on doit mettre le
général André à la porte ou il faut
se résigner à perdre l’alliance russe.
Et n’allez pas prétendre qu’un tel
raisonnement ôte rien à la pleine
indépendance et à la dignité de la
France ! Au contraire. Puisque
les deux pays sont alliés, l’armée
russe est deetinée à défendre la
patrie française, et l’armée fran
çaise destinée à défendre la patrie
russe. II est donc tout naturel que
le tsar nous fasse savoir quelle poli
tique militaire nous devons adopter. »
Je ne fais pas à mes lecteurs l’in
jure d’insister sur ce qu’une telle
argumentation a de baroque. C’est
évidemment porter un défi au sens
commun que de prétendre que, dans
les pays où la presse n’est pas libre,
tout article de journal reproduit la
pensée du gouvernement. Comme,
même de tels pays, les journaux sou
tiennent continuellement, l’une con
tre l’autre, les opinions les plus op
posées, il s’ensuivrait que le gouver
nement y a en même temps, sur le
même sujet, des avis contraires. Le
régime de la censure a existéjjen
France sous la Restauration et celui
du bon plaisir sous le second Empire.
Si un journal étranger, à l’une de
ces deux époques, en avait conclu
que ce qu’écrivaient dans certaines
feuilles françaises les libéraux de
1825 et les républicains de 1855 tra
duisait la pensée de M. de Villèle ou
de Napoléon III, il aurait commis
une erreur singulièrement ridicule.
Il faut reconnaître que le gouver
nement du tsar a mis, jusqu’ici, une
grande correction à éviter tout ce
qui pourrait lui donner l’apparence,
je ne dis pas de prendre parti, mais
de laisser entrevoir une préférence
dans nos décisions intérieures. Il est
donc évident qu’il s’est bien gardé
d’inspirer l’article du Novoïé Vré-
mia. Et qui sait même si cet article
est aussi russe qu’il en a l’air ? « Y a
des gens qui se disent Espagnols et
qui ne sont pas du tout Espagnols »,
dit la romance. Sous son costume
moscovite, l’article en question a
dans la physionomie un je ne sais
quoi qui fait penser au boulevard
Saint-Germain ou à la place des In
valides.
Mais la question est de minime
importance. Ce qu’il faut retenir,
c’est la situation de vasseîage que
messieurs les nationalistes réclament
pour la France dans l’alliance russe.
Ils allèguent en vain que, chacune
des deux armées étant destinée à
défendre à la fois les deux pays, cha
cun des alliés peut donner un avis
impératif sur l’organisation militai
re de l’autre sans atteindre son in
dépendance. Je laisse au lecteur le
soin de juger si la réciproque serait
soutenable et comment nous serions
reçus si nous faisions savoir au tsar
qu'il ferait bien de renoncer à la po
litique militaire qu’il juge la meil
leure, de chasser le ministre de la
guerre qui a sa confiance, et de
réinstaller des chefs qu’il aurait
frappés ou écartés à cause de leur
esprit de révolte contre son gouver
nement. Le jour ou l’on se permet
trait, de notre côté, une pareille im
pertinence, nos bons nationalistes
ne seraient pas les derniers à crier
qu’on détruit l’alliance russe en em
ployant, vis-à-vis d’un gouverne
ment ami, des procédés qu’aucun
Etat soucieux de sa dignité ne pour
rait supporter une minute.
Cependant, ces messieurs accep
tent pour la France ce qu’ils juge
raient intolérable pour la Russie.
Et voyez la situation qu’ils réser
vent à leur pays ! Je ne dirai pas
qu’à les en croire le gouvernement
français devrait, dans les questions
militaires, prendre les ordres du
tsar. Non, un tel état de chose com
porterait encore, d’après eux, trop
d’indépendance pour notre Répu
blique. Le tsar n’a même pas à nous
faire connaître ses volontés ; c’est
nous qui devons tâcher de les devi
ner à travers les lignes des articles
qu’il laisse paraître dans la presse
russe. Peut-être risquerons-nous de
nous tromper dans notre zèle domes
tique ; peut-être ne sera-ce pas le
gouvernement de Saint-Péterbourg
qui aura inspiré les lignes où l’on
nous met en demeure de chasser tel
ou tel ministre; peut-être, quand
nous croirons obéir, n’aurons-nous
pas exactement deviné la pensée de
notre maître étranger. Qu’importe ?
Nous aurons tout au moins fait
preuve de l’esprit de soumission le
plus humble ; et c’est l’essentiel.
On s’était déjà aperçu que mes
sieurs les militaires s’appelaient na
tionalistes, précisément à cause de
leur manque absolu d’esprit natio
nal. Mais je ne les croyais pas, pour
ma part, capables de descendre
jusque-là. Ce qu'il y a de plus répu
gnant, dans une telle campagne,
c’est qu’ils ne peuvent pas croire un
mot de ce qu’ils disent. Ils savent à
merveille que le gouvernement russe
n’a jamais affiché la prétention in
tolérable de nous dicter une politi
que militaire quelconque, pas plus
que nous ne songeons à rien de pa
reil à son égard. Ils ne pourraient
pas, sans perdre la raison, croire
qu’aucun gouvernement sacrifierait
une entente avec une puissance mi
litaire de premier ordre, comme la
France, parce que telle mesure prise
au sujet de l’organisation de l’armée
lui semblerait plus ou moins heu
reuse. Et s’ils tentent d’assigner à
leur pays, dans l’alliance russe, le
rôle le plus humilié, c’est unique
ment dans un intérêt de parti, et
pour essayer de nous imposer, au
nom de l’étranger, leurs pré tentions
condamnées par les Chambres et par
le suffrage universel.
On est stupéfait, quand on pense
qu’un calcul si honteux est celui de
gens qui prétendent parler au nom
d’hommes encore revêtus de l'uni
forme français.
Camille Pelletan.
M. DE LUESSM
A
TROUVILLE
Dimanche dernier, a eu lieu à Trou
ville, une fête corporative et républi
caine qui a remporté dans la popula
tion maritime de cette ville le plus
franc succès.
La Chambre syndicale des Marins,
patrons et armateurs du quartier de
Trouville, avait invité M. de Lanes
san, Ministre de la Marine, à prési
der une assemblée générale de ce
groupe important.
Une nombreuse assistance a reçu le
Ministre à la gare. En dehors des au
torités de Trouville et de la région,
on remarquait des délégués des villes
voisines, le Havre, Caen, Ronfleur,
etc. Plusieurs pilotes du Havre avaient
tenu à manifester par leur présence,
leur sympathie pour le Syndicat des
marins et pour le Ministre de la Ma
rine.
D.ans l'assemblée générale qui a eu
lieu au théâtre municipal, qui était
comble, on a entendu un rapport des
plus intéressants et des plus docu
mentés de M. Le Hoc, président du
Syndicat, un discours de bienvenue
de M. Contant, maire de Trouville,
et une allocution deM. de Lanessan.
L’honorable Ministre a fait ressortir
l’importance des groupements corpo
ratifs, et il a promis son concours à
l’œuvre démocratique entreprise par
le Syndicat de Trouville.
Le soir, un banquet réunissait en
viron trois cents convives dans la
grande salle du Restaurant de la plage.
Il nous a été donné d’assister à une
belle manifestation républicaine en
faveur du ministère altuel. Cette ma
nifestation était d’autant plus carac
téristique qu’elle sê passait en pré
sence de sénateurs et députés hostiles
au ministère de défense républicaine,
MM. Tillaye et Puchesne-Fournet,
sénateurs. Ont-ils compris que l’opi
nion publique s’éloigne de plus en
plus d’eux et de leurs amis nationa
listes, pour suivre les républicains sin
cères qui luttent contre la réaction
cléricale et méliniste ? Nous l’espérons
pour eux. Nous ne voulons retenir de
cette grande manifestation que l’assu
rance donnée par M. de Lanessan,
en son nom et au nom du Ministère
de Défense Républicaine tout entier,
qu’en dépit des injures, des insinua
tions perfides, le gouvernement restera
à son poste, où il continuera son œu
vre de combat contre toutes les coali
tions réactionnaires.
Nous croyons savoir que M. de
Lanessan ne tardera pas à venir offi
ciellement dans notre ville. Ce sera
un jour heureux pour notre popu
lation démocratique, profondément
écœurée das votes et de l’attitude des
députés Rispal et Brindeau. Comme
les Ducbesne-Fournet et les Tillaye ;
ce jour-là ces Messieurs riront jaune,
et les républicains se réjouiront.
«agjgs».
FIN BE SIÈ CLE
L’an dernier, à pareille date, tous
les journaux dissertaient à l’envi sur
la question de savoir si le xix e siècle
finissait avec le mois de décembre
1899 ou avec le mois de décembre
1900. Les savants (?) s’en mêlèrent
et des flots d’encre furent répandus
pour résoudre cette chose si simple.
Il paraît que le point fut irrévocable
ment fixé, car on n’en parle plus,
alors pourtant; que le siècle touche
bien à son terme. Avec le premier
janvier 1901, luira l’aurore du xx e
sur les longues théories de fonction
naires endiqpanchés, déambulant en
visites officielles.
Que ce soit une année ou un siècle
qui s’achève, la transition est la même
tant au point de vue du calendrier
que des traditions sociales ou mon
daines. Mais il ne faut pas nier ce
pendant qu’il n’y ait quelque chose
de plus. L’histoire du monde compte
par siècle : nous achevons l’une de
ces grandes périodes, période très
agitée, qui vit disparaître, en France,
deux républiques, deux empires et
trois monarchies. La troisième répu
blique, qui nous gouverne et avec la
quelle nous franchirons l’étape du
nx c siècle, est le plus long régime et
aussi la plus longue constitution qu’il
ait connus.
L’homme est-il beaucoup meilleur
après tant d’épreuves et est-il plus
près du bonheur ? Rien ne le prouve.
Qu’il les couvre au nom du vernis de
la civilisation, qu’il les étale sans
pudeur ou qu’il les entoure de for
mules scientifiques, il vit depuis le
commencement des siècles avec les
mêmes passions. Parcourez les plus
anciens textes sacrés, il ne vous ap
paraîtra pas que les idées de morale,
tant absolue que considérée dans les
rapports des individus entre eux,
aient acquis quoi que ce soit en élé
vation. Les mêmes principes guident
l’humanité vers le bien, les cultes
imposent aux fidèles les mêmes sacri
fices.
L’évolution est tout entière dans
les mœurs. Et cela est logique : puis
que la vérité est immuable, elles
seules peuvent changer avec les pro
grès matériels qui modifient perpé
tuellement les conditions de l’exis
tence.
Nous sommes moins barbares, c’est
vrai, au sens strict du mot, mais la
société s’entend aussi bien à faire
souffrir ceux qui la gênent ou qu’elle
châtie. Si les peines sont moins horri
bles, si les moyens sont plus décents,
nous sommes d’autre part beaucoup
plus impressionnables, nous sentons
avec plus d’acuité les tortures morales
et physiques qu’on nous inflige. Telle
peine qui aurait à peine ému nos an
cêtres nous atteint profondément. Il y
a la même distance entre eux et nous
qu’entre nous et certaines peuplades
primitives ; ni la more ni les suppli
ces, ni la captivité n’y provoquent le
même effroi que chez nous.
De même, nous ne sommes pas plus
près du bonheur, car si nous avons
parfois atteint le but poursuivi par
ceux qui nous ont précédés, un autre
but aussitôt a surgi devant notre dé
sir. Vouloir atteindre le bonheur,
c’est vouloir atteindre l’infini. Nous
avons, aujourd’hui des besoins qu’i
gnoraient nos pères et nos enfants en
connaîtront d’aussi impérieux, que
nous ne soupçonnons même pas. Si
l’existence en devient plus conforta
ble, elle n’est guère plus douce, en
raison de ce sentiment indéracinable
qui pousse l’homme à souhaiter tou
jours davantage. N’est-ce point là,
d’ailleurs, qu’il puise toujours le se
cret de sa force dans la lutte pour la
vie? Son ambition jamais satisfaite,
ambition d’art, de sciences ou simple
ment de jouissances matérielles, est le
secret de son courage.
Voilà pourquoi le siècle qui vient
sera, sous bien des rapports, sembla
ble aux siècles qui Font précédé, pour
ceux qui, ne se contentant pas de l’as
pect extérieur des événements, vou
dront pénétrer l’âme de l’humanité
dont la marche vers le bonheur ne
s’arrêtera jamais. L’effort doit porter
surtout à assurer au monde plus de-
liberté et plus de justice. Sous ces
deux garanties essentielles, protec
trices de la personnalité et indispen
sables à l’action, chacun peut du
moins poursuivre sa tâche et deman
der à la vie tout ce qu’elle est sus
ceptible de lui donner. L’oppression
et l’injustice sont d’odieux abus que
notre obligation, à tous, est d’arra
cher des institutions sociales. Les
gouvernements qui s’en rendent
sciemment coupables sont indignes de
leur époque. Tâchons au moins d’a
voir, pendant le xx e siècle, obtenu
l’application des principes proclamés
à la fin du xvm e . Cent ans pour arri
ver là, c’est bien assez.
Donc, alors même que nous recon
naissons la vanité d’une partie de
notre effort, n’en continuons pas
moins d’agir. Toute idée que l'on
sème peut germer un jour. Les hom
mes de bonne volonté ont pour de
voir de poursuivre leur œuvre sans
relâche, ne fût-ce que pour empêcher
l’erreur de se propager, pour tenir
tête à ceux qui font consister le pro
grès dans la réalisation plus ou moins
violente d’un idéal impossible. Pré
dire le*règne du bonheur universel
est leurrer les gens crédules d’une
utopie dangereuse, en leur préparant
d’amères déceptions.
| Il faut voir la vie telle qu’elle est
et travailler, plus simplement, à ce
que le siècle qui vient voie le règne
de la justice et de la liberté, qu’il soit
aussi, si possible, le siècle de la paix.
La guerre de Chine contre le fana
tisme du vieux monde ; la guerre du
Transvaal, où la force prétend ravir
son indépendance à une poignée de
héros, sont bien faites pour montrer
tout l’odieux de ces expéditions san
glantes, sacrées cependant lorsqu’il
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