Titre : Le Réveil du Havre : organe républicain ["puis" organe républicain-socialiste indépendant "puis" organe du Parti républicain démocratique]
Éditeur : [s.n.] (Le Havre)
Date d'édition : 1893-12-23
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32854639q
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 23 décembre 1893 23 décembre 1893
Description : 1893/12/23 (N124). 1893/12/23 (N124).
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : BIPFPIG76 Collection numérique : BIPFPIG76
Description : Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque... Collection numérique : Nutrisco, bibliothèque numérique du Havre
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k3263323p
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-89667
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/04/2019
ORGANE RÉPUBLICAIN
['MX DES ABOIEMENTS
Le Havre.........
Départements.
un an six uois
5 fr. 3 fr.
6 fr. 3 50
ADMINISTRATION & RÉDACTION
15, RUE CASIMIR-PÉRIER, 15
LE RÉVEIL DU HAVRE paraît tous les Samedis
PRIX DES IXSESTMS:
Annonces 25 cent. la ligne
Réclames 50 cent, la ligne
On traite à Forfait
Le problème que le socialisme a pour
mission de résoudre réside tout entier dans un
fait, dont on peut dire comme du soleil :
« Aveugle qui ne le voit point. » C’est la
séparation intervenue entre les moyens de pro
duction ou de travail et les producteurs ou
travailleurs,
Ni les minés ne sont aux mains des * ou
vriers du dessous » qui les mettent en valeur
au périi quotidien de leur vie ; ni les chemins
de fer n’appartiennent à ceux qu’on a pu
appeler les serfs de la voie ferrée ; ni les
tissages, filatures, hauts fourneaux, scieries
mécaniques, etc., etc., ne sont à un titre
quelconque la propriété du personnel qui les
exploite.
Et le développement économique de la
société bourgeoise tend à généraliser cet état
de choses en détruisant naturellement et
nécessairement la petite industrie, basée sur
la possession de ses moyens de production par
le travailleur.
Après l'industrie proprement dite, c’est le
commerce, c’est l’agriculture qui, sur l’expro
priation du petit boutiquier et du paysan
cultivateur, s’organisent en grand, monopo
lisé par des non-travaillants.
De plus en plus, le travail est, d'un côté,
fourni par une classe la propriété c le
capital, u nu uamu ~ ~ pui une
autre classe.
Ici, travailleurs sans propriété — ou
prolétariat. Là, propriété sans travail — ou
capitalat.
C’est de ce divorce entre les deux facteurs
de toute production que découlent tous les
maux, tous les désordres qui affligent, non
seulement les travailleurs transformés en
salariés, mais la société entière.
Les travailleurs sans propriété sont exclus
de leurs produits, des richesses qu’ils créent
#— et qui vont s’accumulant aux mains des
détenteurs des moyens de production, capita
listes et grands propriétaires terriens;
Le travail, qui ne fait qu’un avec le tra
vailleur dont il est inséparable, n’est plus, en
effet, qu’une marchandise soumise aux lois
qui règlent le prix des marchandises et le
ramènent à travers les oscillations de l’offre
et de la demande, à leurs frais de production
ou de reproduction. Or, les frais de produc
tion ou de reproduction du travail, ce sont la
nourriture, rentretien du travailleur. Et ils
tendent toujours à baisser parce que, pour
l’emporter sur le marché, les fabricants, quels
que puissent être leurs sentiments personnels,
eussent-ils le cœur d’un Vincent de Paul ou
d’une Louise Michel, sont contraints de
réduire au minimum leur prix de revient,
lequel comprend les prix de main-d’œuvre.
Il y a donc tendance universelle et forcée à
réduire au plus bas les salaires ouvriers. Et
cette loi tendancielle suffit à briser toutes les
bonnes intentions ou volontés des employeurs,
prisonniers de l’ordre social dont ils béné
ficient.
Une autre cause pour laquelle les salaires
— quelle que soit la productivité du travail
humain — ne sauraient s’élever au-dessus des
besoins immédiats des salariés, c’est que
l’offre du travail tend de plus en plus à dé
passer la demande.
L’augmentation de l’offre du travail résulte
fatalement de l’afflux dans le prolétariat des
expropriés de la petite industrie, du petit
commerce et de la petite culture, réduits à
leur tour ppur manger à la vente de leurs
bras.
La diminution de la demande du travail
résulte non moins fatalement du machinisme
et de son extension. La force non humaine de
travail (vapeur, électricité, etc.), remplace de
plus en plus et rend de plus en plus inutile
la force humaine du travail. C’est même en
cela que consiste exclusivement ce qu’on
appelle le progrès dans l’ordre économique :
« réduire sans cesse le travail humain pour
une production donnée. »
... Je parlais tout à l’heure de la machine.
Est-ce que, actionnée par la vapeur, elle n’au
rait pas dû décharger l’humanité laborieuse de
l’effort, de la peine, l’affranchir ? Elle a, au
contraire, aggravé ses travaux forcés en les
étendant de l’ouvrier à la femme transformée
en ou vrière et à l’enfant. I)u moment qu’elle
permettait l’emploi des bras féminins et enfan
tins, il a fallu que la femme entrât dans l’usine,
y laissant sa santé, sa dignité, la race même
compromise, atteinte dans sa source, :en plein
ventre maternel. L’effet de cette concurrence
déchaînée entre les divers membres de la fa
mille ouvrière a encore été un avilissement de
la main-d’œuvre. Car la légende du bien-être
familial ainsi augmenté ne tient pas debout,
même devant un Jules Simon. Quand la femme
et l’enfant n’étaient pas industrialisés, le sa
laire de l’homme devait forcément être assez
élevé pour suffire à l’entretien de tous. Au
jourd’hui, pour le même prix qu’il lui fallait
payer la seule force-travail de 1 homme, l’em
ployeur achète la triple force-travail de 1 hom
me, de la femme et de l’enfant.
La découverte du gaz, cette création de main
humaine, d’un soleil de nuit pour prolonger et
compléter l’autre, n’a pas été moins néfaste
que la machine.à la classe ouvrière. Elle a
donné lieu au travail de nuit, à Yabattoir du
travail de nq;^.
Et l iiisu action que l’on répand —- et l
laquelle nous sommes les premiers à applaudir
comme à un nouvel élément de destruction de
la société actuelle — de quelle conséquence
croit-on qu’elle va être pour le prolétariat tant
que durera cette société? Eu perfectionnant
l’outillage humain, qui produirapluset mieux,
elle créera de nouveaux chômages, de plus
longues mortes-saisons. Un ouvrier instruit
suffira là où deux ouvriers ignorants étaient
nécessaires — et occupés.
On parle beaucoup, depuis quelque temps,
delà participation aux bénéfices, dans laquelle
des Dupuy après des Waldeck-Rousseau s’ob
stinent à voir une panacée, la réconciliation
du travail et du capital. Eût-elle applicable,
la participation ne ferait que transporter la
lutte sur le terrain des bénéfices à partager.
Mais, sans insister sur ce point, en intéressant
l’ouvrier à produire le plus possible, elle lui
ferait faire en deux jours le travail de trois,
n’aboutissant par suite qu’à multiplier lesjours
déjà trop nombreux de chômage ou de non-
salaire.
A l’enfer dans lequel s’agite la classe pro
ductive dépossédée de ses moyens de produc
tion, il n’y a pas d’4ssue. C’est le lasciatçpgni
speranza du Dante.
Les conséquences sociales de la rupture,
toujours plus complète, entre le travail et le
capital ne sont pas moins épouvantables.
C’est d’abord la guerre de tous contre tous.
Il est de mode, parmi les adversaires — pâr
ignorance ou par calcul — du socialisme, de
lui imputer à crime la lutte de classes. Comme
si nous l’avions inventée ! Nous ne faisons que
la constater et la faire servir, qui mieux est,
à sa propre fin. De même que, pour combattre
la maladie, la première condition qui s’impose
au médecin, c’est de la reconnaître.
Ce n’est pas en fermant les yeux sur la
guerre qui divise et épuise l’humanité que
l’on arrivera à la paix désirée.
Cette guerre de tous les instants est triple :
Guerre entre les prolétaires et les capitalis
tes pour le partage du produit, en salaires ici,
en profits là, que des deux côtés on s’efforce
de porter au maximum ;
Guerre entre prolétaires et prolétaires pour
le partage des salaires.
Guerre entre capitalistes et capitalistes
pour le partage des profits.
Homo homini lupus. L’homme est devenu
un loup pour l’homme. Et cela fatalement.
Il s’agit de manger son semblable ou d’en être
mangé.
D’autre part, toutes les merveilles du gend
re humain, toutes ses conquêtes sur la nature,
dont j’indiquais les résultats homicides pour
la classe ouvrière, n atteigu°nt pas moins
mortellement les autres classes de la société.
Les couleurs de l’aniline, extraites de la
houille, ont ruiné les départements qui vivaient
de la culture de la garance. Que demain,
comme on l’annonçait tout récemment, on ait
réellement trouvé le moyen de fabriquer di
rectement la fonte par l'électricité, et les
hauts fourneaux éteints ne laissent aux mil
lionnaires d’hier que les yeux pour pleurer.
Tout es les découvertes sont condamnées à ne
s’opérer qu’à coups de révolutions, laissant
derrière elle des victimes par milliers, en haut
comme en bas de l’échelle sociale.
C’est, selon l’admirable expression du nou
veau programme de la démocratie socialiste
allemande, Y insécurité générale devenue la con
dition normale de la Société.
Que dire, enfin, des crises de surproduc
tion qui vont se multipliant et suntensifiant
et que rien ne saurait conjurer? Four atté
nuer ces crises, nées de l’écart toujours crois
sant entre l’illimitation de la productivité du
travail humain et la limite posée par le sala
riat à la rétribution ou à la consommation
des travailleurs, on a eu, lorsque l’industrie
était encore restreinte à un pays ou deux, les
' débouchés fournis à l’exportation par la partie
de l'Europe demeurée agricole (Italie/Alle
magne, etc.). Aujourd’hui que, devenues à
leur tour industrielles, ces dernières nations
arrivent, elles aussi, à surproduire/ c’est à
l'Afrique, à l’Asie que l’on est obligé de s’a
dresser pour l’écoulement de ce trop-plein de
marchandises. C’est la politique coloniale, ce
sont les guerres coloniales à l’ordre du jour
de tous les gouvernements. Mais après ? On
n’aura reculé que pour mieux sauter.
De plus en plus, en attendant, la société
capitaliste est acculée à ne faire sortir d’une
surabondance de richesses, de moyens de con
sommation et de bien-être, que misère, souf
france, ruine et mort.
Jules GUESDE,
Député de Roubaix.
SEMAINE-POLITIQUE
FRANCE
L’enquête. — Faites une enquête sur les
grèves et les conditions du travail dans les mines
demandaient les députés qui aiment la lumière.
Pas d’enquête, dit le ministre, cela ferait de l’agi
tation.
Je ne vois pas comment une demi douzaine de
députés, descendant dans les fosses, causant avec
les ouvriers, interrogeant les directeurs des mines,
discutant, faisant des calculs, et établissant en
chiffres clairs la situation de chacun, je ne vois
pas comment une enquête paisible ferait de F agi
tation.
Cependant, pour le gouvernement, elle paraît
dangereuse.
En cela, nous sommes d’accord, car il pourrait
sortir de tout ce travail quantité de conclusions
fâchbuses pour les patrons et pour les ministres
qui les protègent.
Aussi, les républicains du 4 Septembre qui ont
eu la douleur pour la quatrième fois en huit jours,
sur des questions vitales pour la démocratie, de
confondre leurs bulletins de vote avec ceux des
ennemis avoués de la République, ontfils pensé
qu’enrichir scandaleusement les uns, asservir
odieusement les autres dans la misère, ne valait
pas la peine d’une enquête.
Les Commissions. — Mais ils ont été pris à
leur propre piège, les malheureux !
La demande de Basly était à peine repoussée,
que deux députés montaient à la tribune pour
demander la nomination de deux commissions du
travail distinctes.
L’idée d’une commission unique, telle que l’avait
proposée à la réunion des gouvernementaux un
ami deM. J.'Siegfried, était une duperie pour les
travailleurs, comme nous l’avons démontré.
Il était à craindre que cette œuvre d'étouffement
à laquelle était attaché le nom du représentant du
Havre obtint à la Chambre, vu l’état d’esprit que
nous connaissons aux députés, depuis l’explosion
trop opportune de la bombe, une forte majorité.
Aussi, avons-nous été très étonnés de voir cette
Chambre admettant la réalisation d’une grande
commission devant s’occuper des questions de
prévoyance et de solidarité sociale, — commission
ayant pour objet, outre l’étude des loïs de pré
voyance sociale, celles d’assistance, d’assurances,
de mutualité (accidents, maladies, vieillesse, etc.)—
confier à une autre commission l’étude des rela
tions du capital et du travail, c'est à-dire la ques
tion sociale elle-même.
Les socialistes ont eu, au sujet de ces commis
sions, beaucoup de « complices » involontaires sur
les bancs de la majorité.
Il est curieux de constater, eri'effet, l’inconsé
quence de cette majorité qui, après avoir repoussé
une enquête limitée et passagère sur les mines,
institue une vaste et permanente enquête sur les
conditions du travail industriel et agricole.
C’est bien ce qu’on peut appeler, comme l’a fait
spirituellement Jean Jaurès « rompre à chaque
coup. »
L’effet de la loi. — Il était évident que les
modifications apportées à la loi sur la presse
l’étaient plus dans l’intention de sévir contre les
socialistes que contre les anarchistes.
L’apparition d’un premier journal illustré soda*
liste, Le Chambard , feuille que dirige notre ami
Gerault-Richard, a été saluée par une mesure
répressive.
Son expédition en Province, ainsi que sa distri
bution à Paris, ont été immédiatement interdites.
Voilà ce qu’on appelle la liberté de la presse.
Heureusement que les villes de provinces pren
dront bientôt l’initiative de pareilles publications.
Ce sera la pacifique vengeance des socialistes
persécutés I
ÉTRANGER
Le procès de Kiel a pris fin. Nos deux compa
triotes accusés d’espionnage ont été condamnés
l’un et l’autre à plusieurs années de détention
dans une enceinte fortifiée. Ces deux français —
tous deux officiers de marine — sont trop connus
de tous pour que. nous ayons besoin de publier ic£
leurs noms. L’un d’eux, du reste, est le frère d’un
de nos meilleurs confrères de la Justice. Nous
espérons, comme certaines feuilles d’Outre-Rhin
l’ont déjà fait prévoir, que l’empereur d’Allemagne
usera bientôt, énvers eux, de mesures de clémence.
En attendant l’heure de la liberté, nous envoyons
aux deux prisonniers un salut fraternel.
Ch. B.
NOS DÉPUTÉS A U CHAMBRE
Nous n’insisterons pas sur les votes de MM. F.
Faure et J. Siegfried relatifs aux propositions
Basly. Il s’agissait de faire pleine lumière sur les
grèves du Nord et du Pas-de-Calais d’abord, sur
le travail des mineurs ensuite. Dans cette cir
constance, les d£ux députés de l’arrondissement
du Havre se sont conduits en dignes protecteurs
du capital. Peu leur importe qu’on exploite l’ou*
vrier, pourvu que les actionnaires empochent de
colossaux dividendes. Nous savons, depuis long
temps, à quoi nous en tenir sur le socialisme de
M. Siegfried. Promettre à l’ouvrier, accorder an
patron, telle a toujours été, telle sera toujours sa
façon d’agir.
Dans le vote sur l’amendement Jourde, MM.
Faure et Siegfried ont fait preuve l’un et l’autre
de leur ignorance obsolue du droit criminel.
Voici quel était dans la loi le passage incriminé':
« Sera puni de la peine des travaux forcés à
temps quiconque se sera affilié a une association,
formée ou aura participé à une entente » établie
dans le but spécifié à l’article précédent.
M. Jourde demandait avec juste raison — voir
pour s’en convaincre le Journal officiel — de rem
placer « toute entente établie dans le but » par
t toute résolution d’agir concertée et arrêtée
entre deux ou plusieurs personnes » ayant pour
but de préparer ou de commettre des crimes contre
les personnes ou la propriété.
■Cette proposition, sans restreindre aucunement
laloi, avait l’immense avantage d’en préciser les
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5 fr. 3 fr.
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LE RÉVEIL DU HAVRE paraît tous les Samedis
PRIX DES IXSESTMS:
Annonces 25 cent. la ligne
Réclames 50 cent, la ligne
On traite à Forfait
Le problème que le socialisme a pour
mission de résoudre réside tout entier dans un
fait, dont on peut dire comme du soleil :
« Aveugle qui ne le voit point. » C’est la
séparation intervenue entre les moyens de pro
duction ou de travail et les producteurs ou
travailleurs,
Ni les minés ne sont aux mains des * ou
vriers du dessous » qui les mettent en valeur
au périi quotidien de leur vie ; ni les chemins
de fer n’appartiennent à ceux qu’on a pu
appeler les serfs de la voie ferrée ; ni les
tissages, filatures, hauts fourneaux, scieries
mécaniques, etc., etc., ne sont à un titre
quelconque la propriété du personnel qui les
exploite.
Et le développement économique de la
société bourgeoise tend à généraliser cet état
de choses en détruisant naturellement et
nécessairement la petite industrie, basée sur
la possession de ses moyens de production par
le travailleur.
Après l'industrie proprement dite, c’est le
commerce, c’est l’agriculture qui, sur l’expro
priation du petit boutiquier et du paysan
cultivateur, s’organisent en grand, monopo
lisé par des non-travaillants.
De plus en plus, le travail est, d'un côté,
fourni par une classe la propriété c le
capital, u nu uamu ~ ~ pui une
autre classe.
Ici, travailleurs sans propriété — ou
prolétariat. Là, propriété sans travail — ou
capitalat.
C’est de ce divorce entre les deux facteurs
de toute production que découlent tous les
maux, tous les désordres qui affligent, non
seulement les travailleurs transformés en
salariés, mais la société entière.
Les travailleurs sans propriété sont exclus
de leurs produits, des richesses qu’ils créent
#— et qui vont s’accumulant aux mains des
détenteurs des moyens de production, capita
listes et grands propriétaires terriens;
Le travail, qui ne fait qu’un avec le tra
vailleur dont il est inséparable, n’est plus, en
effet, qu’une marchandise soumise aux lois
qui règlent le prix des marchandises et le
ramènent à travers les oscillations de l’offre
et de la demande, à leurs frais de production
ou de reproduction. Or, les frais de produc
tion ou de reproduction du travail, ce sont la
nourriture, rentretien du travailleur. Et ils
tendent toujours à baisser parce que, pour
l’emporter sur le marché, les fabricants, quels
que puissent être leurs sentiments personnels,
eussent-ils le cœur d’un Vincent de Paul ou
d’une Louise Michel, sont contraints de
réduire au minimum leur prix de revient,
lequel comprend les prix de main-d’œuvre.
Il y a donc tendance universelle et forcée à
réduire au plus bas les salaires ouvriers. Et
cette loi tendancielle suffit à briser toutes les
bonnes intentions ou volontés des employeurs,
prisonniers de l’ordre social dont ils béné
ficient.
Une autre cause pour laquelle les salaires
— quelle que soit la productivité du travail
humain — ne sauraient s’élever au-dessus des
besoins immédiats des salariés, c’est que
l’offre du travail tend de plus en plus à dé
passer la demande.
L’augmentation de l’offre du travail résulte
fatalement de l’afflux dans le prolétariat des
expropriés de la petite industrie, du petit
commerce et de la petite culture, réduits à
leur tour ppur manger à la vente de leurs
bras.
La diminution de la demande du travail
résulte non moins fatalement du machinisme
et de son extension. La force non humaine de
travail (vapeur, électricité, etc.), remplace de
plus en plus et rend de plus en plus inutile
la force humaine du travail. C’est même en
cela que consiste exclusivement ce qu’on
appelle le progrès dans l’ordre économique :
« réduire sans cesse le travail humain pour
une production donnée. »
... Je parlais tout à l’heure de la machine.
Est-ce que, actionnée par la vapeur, elle n’au
rait pas dû décharger l’humanité laborieuse de
l’effort, de la peine, l’affranchir ? Elle a, au
contraire, aggravé ses travaux forcés en les
étendant de l’ouvrier à la femme transformée
en ou vrière et à l’enfant. I)u moment qu’elle
permettait l’emploi des bras féminins et enfan
tins, il a fallu que la femme entrât dans l’usine,
y laissant sa santé, sa dignité, la race même
compromise, atteinte dans sa source, :en plein
ventre maternel. L’effet de cette concurrence
déchaînée entre les divers membres de la fa
mille ouvrière a encore été un avilissement de
la main-d’œuvre. Car la légende du bien-être
familial ainsi augmenté ne tient pas debout,
même devant un Jules Simon. Quand la femme
et l’enfant n’étaient pas industrialisés, le sa
laire de l’homme devait forcément être assez
élevé pour suffire à l’entretien de tous. Au
jourd’hui, pour le même prix qu’il lui fallait
payer la seule force-travail de 1 homme, l’em
ployeur achète la triple force-travail de 1 hom
me, de la femme et de l’enfant.
La découverte du gaz, cette création de main
humaine, d’un soleil de nuit pour prolonger et
compléter l’autre, n’a pas été moins néfaste
que la machine.à la classe ouvrière. Elle a
donné lieu au travail de nuit, à Yabattoir du
travail de nq;^.
Et l iiisu action que l’on répand —- et l
laquelle nous sommes les premiers à applaudir
comme à un nouvel élément de destruction de
la société actuelle — de quelle conséquence
croit-on qu’elle va être pour le prolétariat tant
que durera cette société? Eu perfectionnant
l’outillage humain, qui produirapluset mieux,
elle créera de nouveaux chômages, de plus
longues mortes-saisons. Un ouvrier instruit
suffira là où deux ouvriers ignorants étaient
nécessaires — et occupés.
On parle beaucoup, depuis quelque temps,
delà participation aux bénéfices, dans laquelle
des Dupuy après des Waldeck-Rousseau s’ob
stinent à voir une panacée, la réconciliation
du travail et du capital. Eût-elle applicable,
la participation ne ferait que transporter la
lutte sur le terrain des bénéfices à partager.
Mais, sans insister sur ce point, en intéressant
l’ouvrier à produire le plus possible, elle lui
ferait faire en deux jours le travail de trois,
n’aboutissant par suite qu’à multiplier lesjours
déjà trop nombreux de chômage ou de non-
salaire.
A l’enfer dans lequel s’agite la classe pro
ductive dépossédée de ses moyens de produc
tion, il n’y a pas d’4ssue. C’est le lasciatçpgni
speranza du Dante.
Les conséquences sociales de la rupture,
toujours plus complète, entre le travail et le
capital ne sont pas moins épouvantables.
C’est d’abord la guerre de tous contre tous.
Il est de mode, parmi les adversaires — pâr
ignorance ou par calcul — du socialisme, de
lui imputer à crime la lutte de classes. Comme
si nous l’avions inventée ! Nous ne faisons que
la constater et la faire servir, qui mieux est,
à sa propre fin. De même que, pour combattre
la maladie, la première condition qui s’impose
au médecin, c’est de la reconnaître.
Ce n’est pas en fermant les yeux sur la
guerre qui divise et épuise l’humanité que
l’on arrivera à la paix désirée.
Cette guerre de tous les instants est triple :
Guerre entre les prolétaires et les capitalis
tes pour le partage du produit, en salaires ici,
en profits là, que des deux côtés on s’efforce
de porter au maximum ;
Guerre entre prolétaires et prolétaires pour
le partage des salaires.
Guerre entre capitalistes et capitalistes
pour le partage des profits.
Homo homini lupus. L’homme est devenu
un loup pour l’homme. Et cela fatalement.
Il s’agit de manger son semblable ou d’en être
mangé.
D’autre part, toutes les merveilles du gend
re humain, toutes ses conquêtes sur la nature,
dont j’indiquais les résultats homicides pour
la classe ouvrière, n atteigu°nt pas moins
mortellement les autres classes de la société.
Les couleurs de l’aniline, extraites de la
houille, ont ruiné les départements qui vivaient
de la culture de la garance. Que demain,
comme on l’annonçait tout récemment, on ait
réellement trouvé le moyen de fabriquer di
rectement la fonte par l'électricité, et les
hauts fourneaux éteints ne laissent aux mil
lionnaires d’hier que les yeux pour pleurer.
Tout es les découvertes sont condamnées à ne
s’opérer qu’à coups de révolutions, laissant
derrière elle des victimes par milliers, en haut
comme en bas de l’échelle sociale.
C’est, selon l’admirable expression du nou
veau programme de la démocratie socialiste
allemande, Y insécurité générale devenue la con
dition normale de la Société.
Que dire, enfin, des crises de surproduc
tion qui vont se multipliant et suntensifiant
et que rien ne saurait conjurer? Four atté
nuer ces crises, nées de l’écart toujours crois
sant entre l’illimitation de la productivité du
travail humain et la limite posée par le sala
riat à la rétribution ou à la consommation
des travailleurs, on a eu, lorsque l’industrie
était encore restreinte à un pays ou deux, les
' débouchés fournis à l’exportation par la partie
de l'Europe demeurée agricole (Italie/Alle
magne, etc.). Aujourd’hui que, devenues à
leur tour industrielles, ces dernières nations
arrivent, elles aussi, à surproduire/ c’est à
l'Afrique, à l’Asie que l’on est obligé de s’a
dresser pour l’écoulement de ce trop-plein de
marchandises. C’est la politique coloniale, ce
sont les guerres coloniales à l’ordre du jour
de tous les gouvernements. Mais après ? On
n’aura reculé que pour mieux sauter.
De plus en plus, en attendant, la société
capitaliste est acculée à ne faire sortir d’une
surabondance de richesses, de moyens de con
sommation et de bien-être, que misère, souf
france, ruine et mort.
Jules GUESDE,
Député de Roubaix.
SEMAINE-POLITIQUE
FRANCE
L’enquête. — Faites une enquête sur les
grèves et les conditions du travail dans les mines
demandaient les députés qui aiment la lumière.
Pas d’enquête, dit le ministre, cela ferait de l’agi
tation.
Je ne vois pas comment une demi douzaine de
députés, descendant dans les fosses, causant avec
les ouvriers, interrogeant les directeurs des mines,
discutant, faisant des calculs, et établissant en
chiffres clairs la situation de chacun, je ne vois
pas comment une enquête paisible ferait de F agi
tation.
Cependant, pour le gouvernement, elle paraît
dangereuse.
En cela, nous sommes d’accord, car il pourrait
sortir de tout ce travail quantité de conclusions
fâchbuses pour les patrons et pour les ministres
qui les protègent.
Aussi, les républicains du 4 Septembre qui ont
eu la douleur pour la quatrième fois en huit jours,
sur des questions vitales pour la démocratie, de
confondre leurs bulletins de vote avec ceux des
ennemis avoués de la République, ontfils pensé
qu’enrichir scandaleusement les uns, asservir
odieusement les autres dans la misère, ne valait
pas la peine d’une enquête.
Les Commissions. — Mais ils ont été pris à
leur propre piège, les malheureux !
La demande de Basly était à peine repoussée,
que deux députés montaient à la tribune pour
demander la nomination de deux commissions du
travail distinctes.
L’idée d’une commission unique, telle que l’avait
proposée à la réunion des gouvernementaux un
ami deM. J.'Siegfried, était une duperie pour les
travailleurs, comme nous l’avons démontré.
Il était à craindre que cette œuvre d'étouffement
à laquelle était attaché le nom du représentant du
Havre obtint à la Chambre, vu l’état d’esprit que
nous connaissons aux députés, depuis l’explosion
trop opportune de la bombe, une forte majorité.
Aussi, avons-nous été très étonnés de voir cette
Chambre admettant la réalisation d’une grande
commission devant s’occuper des questions de
prévoyance et de solidarité sociale, — commission
ayant pour objet, outre l’étude des loïs de pré
voyance sociale, celles d’assistance, d’assurances,
de mutualité (accidents, maladies, vieillesse, etc.)—
confier à une autre commission l’étude des rela
tions du capital et du travail, c'est à-dire la ques
tion sociale elle-même.
Les socialistes ont eu, au sujet de ces commis
sions, beaucoup de « complices » involontaires sur
les bancs de la majorité.
Il est curieux de constater, eri'effet, l’inconsé
quence de cette majorité qui, après avoir repoussé
une enquête limitée et passagère sur les mines,
institue une vaste et permanente enquête sur les
conditions du travail industriel et agricole.
C’est bien ce qu’on peut appeler, comme l’a fait
spirituellement Jean Jaurès « rompre à chaque
coup. »
L’effet de la loi. — Il était évident que les
modifications apportées à la loi sur la presse
l’étaient plus dans l’intention de sévir contre les
socialistes que contre les anarchistes.
L’apparition d’un premier journal illustré soda*
liste, Le Chambard , feuille que dirige notre ami
Gerault-Richard, a été saluée par une mesure
répressive.
Son expédition en Province, ainsi que sa distri
bution à Paris, ont été immédiatement interdites.
Voilà ce qu’on appelle la liberté de la presse.
Heureusement que les villes de provinces pren
dront bientôt l’initiative de pareilles publications.
Ce sera la pacifique vengeance des socialistes
persécutés I
ÉTRANGER
Le procès de Kiel a pris fin. Nos deux compa
triotes accusés d’espionnage ont été condamnés
l’un et l’autre à plusieurs années de détention
dans une enceinte fortifiée. Ces deux français —
tous deux officiers de marine — sont trop connus
de tous pour que. nous ayons besoin de publier ic£
leurs noms. L’un d’eux, du reste, est le frère d’un
de nos meilleurs confrères de la Justice. Nous
espérons, comme certaines feuilles d’Outre-Rhin
l’ont déjà fait prévoir, que l’empereur d’Allemagne
usera bientôt, énvers eux, de mesures de clémence.
En attendant l’heure de la liberté, nous envoyons
aux deux prisonniers un salut fraternel.
Ch. B.
NOS DÉPUTÉS A U CHAMBRE
Nous n’insisterons pas sur les votes de MM. F.
Faure et J. Siegfried relatifs aux propositions
Basly. Il s’agissait de faire pleine lumière sur les
grèves du Nord et du Pas-de-Calais d’abord, sur
le travail des mineurs ensuite. Dans cette cir
constance, les d£ux députés de l’arrondissement
du Havre se sont conduits en dignes protecteurs
du capital. Peu leur importe qu’on exploite l’ou*
vrier, pourvu que les actionnaires empochent de
colossaux dividendes. Nous savons, depuis long
temps, à quoi nous en tenir sur le socialisme de
M. Siegfried. Promettre à l’ouvrier, accorder an
patron, telle a toujours été, telle sera toujours sa
façon d’agir.
Dans le vote sur l’amendement Jourde, MM.
Faure et Siegfried ont fait preuve l’un et l’autre
de leur ignorance obsolue du droit criminel.
Voici quel était dans la loi le passage incriminé':
« Sera puni de la peine des travaux forcés à
temps quiconque se sera affilié a une association,
formée ou aura participé à une entente » établie
dans le but spécifié à l’article précédent.
M. Jourde demandait avec juste raison — voir
pour s’en convaincre le Journal officiel — de rem
placer « toute entente établie dans le but » par
t toute résolution d’agir concertée et arrêtée
entre deux ou plusieurs personnes » ayant pour
but de préparer ou de commettre des crimes contre
les personnes ou la propriété.
■Cette proposition, sans restreindre aucunement
laloi, avait l’immense avantage d’en préciser les
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