— 1 —
où sont inscrits les noms de tous ceux que la Mort a voulu empêcher
d’être du beau voyage. Une lampe y est allumée, comme en une église,
et le feu sacré est entretenu dévotieusement par l’homme de quart. Ceux-là
ils sont seize : Blier, Vard, Frémine, Challemel, Florentin-Loriot. R. de la
Villehervé, Jean Lorrain, Rémy de Gourmont, Henri de Beauclair, Robert
de Cantelou, Gabriel Montmert, Albert Thomas, Charles Argentin, Gustave
Vaimant, Georges More, Roger Eng, les trois derniers, morts de la guerre.
Et puis, les voilà tous, les Poètes Normands, tous non, mais la plupart,
je veux dire les plus Normands parmi les Normands. Les anciens se sont
reconnus et fraternisent. Les jeunes se toisent, s’examinent, se jugent, tout
à l’heure ils s’embrasseront. Il y a là Achille Paysant, le patriarche» Stanislas
Millet, Paul Harel, Paul Labbé, Pierre Nebout, P.-N. Roinard, Ed. Du
jardin, Jean d'Armor, Albert Roissière, Robert Campion, Charles Boulon,
Ed. Montier, J. de Clairfontaine, Franck Le Gonidec de Penlan, de Venan-
court, Laurent-Cernières, Yard, Jean de Gourmont, Georges Clerget, Ban
ville d'Hostel, Camille Cé, Jean de Beaulieu, Le Sieutre, René Fauchois,
Wilfrid Lucas, Guillemard, Fleuret, Langé, Garnier, Allard, Le Révérend,
Bunoust, Hauchecorne, Pierre Varenne, Dutheil, Lebarbier, Quesnel,
Préteux ! Et que d’autres, que d’autres !
A l’arrière, sur la dunette, des dames, trois gracieuses dames à qui la
houle du large ne fait pas peur. C’est George Aster, une havraise hier
inconnue et qui semble se cacher, confuse d’être déjà en si noble compa
gnie ; et puis Henriette Charasson, la hardie novatrice, du Havre, elle
aussi ; et puis, répandant son charme sur tous, la honfleuraise qui écrivit
Thorborge, Reine de Mer : Lucie Delarue-Mardrus, la Princesse Eme
raude... Le Havre... Honfleur... Il n’y a que trois dames à bord et, toutes les
trois, elles ont eu leur enfance bercée par les flots charmeurs de notre
Estuaire prestigieux...
Sur la passerelle, laissant la barre à son second Postal, Féret, le capi
taine, explique :
« J’ai voulu embrasser dans son ensemble le mouvement poétique du pays
de Sapience, qui fut une populeuse et subtile nation, et n’est plus qu’une
province...
« A Paris seulement il s’est trouvé un éditeur (Normand) pour cette œuvre
normande...
» Pour justifier ce nom de Poètes Normands, reste la Race...
» Nous avons le droit de prendre le nom de la race dont nous nous réclamons,
même si nous ne jouissons pas d’une langue à nous tout seuls. D’une langue
qui devrait s’appeler le normand plutôt que le français, si l’on mettait en balance
les deux apports, si l’on comptait et mesurait les génies qui l’ont fécondée...
» La sincérité m’oblige à une remarque : tel porte un vieux nom normand
qui n’est pas pur d’alliage du côté maternel... Mais selon la loi connue, ce métis
sage n’a fait souvent qu’exadérber le cri de la race dominante...
» Reprocherait-on à ce livre d’être la fidèle image du pays qu’il veut peindre
à ses représentants ?... Tous les talents qui en justifiaient le titre et le pro
gramme, ce recueil les reçut, dans un choix éclectique ; tous offrent par leur\
naissance et leur ascendance paternelle un caractère normand incontestable...
J’ai renoncé à l’honneur de réclamer Henri de Régnier, d’Honfleur, et Gaston
Facebook
Twitter