La Chronique majeure de Fontenelle
La Chronique majeure de Fontenelle est le manuscrit monastique le plus ancien de la Bibliothèque municipale du Havre, mais aussi la plus vieille des gesta, ces textes consacrés à l’histoire d’une abbaye. Pour Wilhem Levison qui a travaillé sur ce genre littéraire, c’est « la plus ancienne histoire monastique de l’occident ». Ce manuscrit est donc un trésor à double titre pour la Bibliothèque municipale du Havre.
Les manuscrits de l’abbaye de Fontenelle au Havre
Bien que Le Havre ait été fondé à la Renaissance, en 1517, la Bibliothèque municipale conserve onze manuscrits médiévaux. Ils ont rejoint les collections au moment des confiscations révolutionnaires, lorsque par décret, en 1792 et 1793, les bibliothèques des communautés religieuses et des nobles émigrés ont été réquisitionnées pour fonder des collections publiques.
Dom François Philippe Gourdin, ancien bibliothécaire de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen, fut chargé de réunir à Rouen ces bibliothèques confisquées pour ensuite les redistribuer. La Bibliothèque municipale du Havre aurait dû conserver les manuscrits anciens de l’abbaye de Fécamp et du Valasse, en raison de leur proximité géographique. Mais au mépris de la cohérence des fonds, Dom Gourdin fait conserver à Rouen presque tous les manuscrits médiévaux et seuls les livres imprimés des institutions religieuses prennent la direction du Havre.
Finalement, quelques rares manuscrits sont envoyés au Havre, majoritairement issus de l’abbaye de Fontenelle, pourtant plus proche de Rouen. Parmi ces manuscrits se trouvent notamment un recueil des évangiles, deux missels, un exemplaire de la Légende dorée de Jacques de Voragine et enfin la Chronique majeure de Fontenelle.
Le manuscrit de la Bibliothèque municipale du Havre
Cette Chronique majeure est un manuscrit sur parchemin de 151 feuillets, qui provient de l’abbaye de Fontenelle, fondée en 649 par Wandrille, issu d’une famille noble de la région de Verdun.
Le document est composé de manuscrits de différentes époques : les vies des abbés copiés vers 1075, plusieurs fragments du XIIe siècle, comme une lettre du roi d'Angleterre Henri Ier au pape Innocent II, plusieurs textes copiés au XVe siècle comme la liste des reliques ou les récits d'un miracle de saint Wandrille et enfin, au XVIIIe siècle, une vie de saint Hermeland, moine de Fontenelle.
Cet ensemble a été constitué en 1639 par Dom Augustin de Broise, cellérier (une sorte d’économe) de l’abbaye de Saint-Wandrille, à partir de plusieurs fragments manuscrits découverts dans le chartrier de l'abbaye. Le chartrier est alors un ensemble de documents destinés à prouver la légitimité de propriétés, rentes et autres droits, et à ce titre précieusement conservés. Le document est dès lors connu sous le nom de Maius Chronicon Fontanellense. En 1735, Dom Alexis Bréard révise l'organisation interne du manuscrit. La reliure plein veau ornés de fleurons estampés à chaud date de cette époque.
Ce manuscrit est particulièrement remarquable par les grandes enluminures qu’il contient, caractéristiques de l’art normand du XIe siècle avec ses teintes pourpres, vertes et vermillon. Elles figurent deux abbés, saint Ansbert et saint Vulfan. Saint Ansbert, troisième abbé du monastère (VIIe siècle), est représenté de face, revêtu des habits pontificaux, au milieu d’une composition architecturale. À ses pieds se prosterne un moine, peut-être l’auteur de la vie du saint, à proximité duquel se trouve un coffre à livres dont le couvercle entrouvert laisse voir plusieurs gros volumes. Saint-Vulfran, abbé de Fontenelle (VIIIe siècle) est figuré revêtu des ornements pontificaux : une chasuble ample, des tunicelles, une étole droite, une aube, le tout recouvert du pallium, ornement de laine blanche réservé aux archevêques. Placé au milieu de deux tours qui représentent le monastère, l’abbé porte un livre d’une main et une crosse abbatiale. Au-dessous, la légende indique « Sacerdotis Domini Vulfranni in hoc codice continetur vita ; cujus corpus sacrum Fontinella continet coenobium » (en ce livre est contenue la vie de Vulfran, prêtre du Seigneur ; dont le monastère de Fontenelle contient le corps saint).
Les différentes parties du manuscrit copiées par plusieurs moines illustrent l’art de la calligraphie du XIe au XVIIIe siècle. Les hymnes consacrés par les saints fondateurs, comme celui de saint Wandrille comportent des notations neumatiques, notation musicale en usage pendant tout le Moyen Age.
La Geste de Fontenelle
Parmi les textes de la Chronique, les Gesta du XIe siècle ont particulièrement suscité l’intérêt. Si dans un premier temps, les Gesta abbatum, genre littéraire propre à l’époque carolingienne, avaient une fonction principalement hagiographique, propageant le récit exemplaire de vies et de miracles de saints, elles construisent progressivement l’histoire cohérente d’un monastère, tout en s’attachant à dresser le portrait des abbés qui y ont exercé leur ministère. Dans le cas de ce manuscrit, ils retracent les événements connus par l’abbaye de Fontenelle entre 649 et 833, date de sa destruction par les Vikings, à travers des notices consacrées aux différents abbés du monastère, de saint Wandrille à l’abbé saint Anségise, classées par ordre chronologique. Pour les moines, retracer cette histoire permet de justifier les changements qui s’opèrent dans l’abbaye lors de sa rédaction et de sanctifier l’origine du monastère.
Initié alors que le monastère, restauré en 960, est en pleine période de remise en ordre sur le plan matériel, disciplinaire et spirituel, le récit est probablement rédigé dans l’abbaye même, comme le suggèrent différents descriptifs de l’abbaye.
Le manuscrit du Havre constitue la plus ancienne version connue de ce texte. En 1999, Pascal Pradié a recensé six autres manuscrits des Gesta abbatum Fontanellensium ainsi que deux fragments, conservés à la Bibliothèque nationale de France, à la Bibliothèque royale de Bruxelles et à la Bibliothèque municipale d’Amiens. L’exemplaire conservé au Havre comporte plusieurs passages que l’on ne retrouve pas dans les autres copies.
Postérité de la Chronique de Fontenelle
Si la Chronique de Fontenelle ne suscite tout d’abord pas l’intérêt à la fin du XVIIIe siècle, elle connaît un grand engouement parmi les érudits et les historiens au siècle suivant. Le manuscrit est même choisi pour être présenté à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, tant il est considéré comme un document exceptionnel.
Parce qu’elle contient des éléments sur l’histoire de l’abbaye, son patrimoine foncier, ses actes juridiques, cette Chronique reste aujourd’hui une précieuse source d’information aussi bien historique, religieuse qu’administrative et fait l’objet aux XXe et XXIe siècles de nombreuses études.
Consulter le document en ligne.
Pour en savoir plus :
Les manuscrits liturgiques de la bibliothèque municipale du Havre, M. l’abbé Daverne, Le Havre Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, 1924. – Vous pouvez lire l’article directement sur Nutrisco
Pascal Pradié éd., Chroniques des abbés de Fontenelle, Paris, Les Belles Lettres, 1999
Pascal Pradié, « L’histoire sainte de Fontenelle. Une lecture des Gesta abbatum », Tabularia [En ligne], Écrire l’histoire au Moyen Âge, mis en ligne le 16 septembre 2004
Trésors du Moyen Âge, livres manuscrits des bibliothèques du Havre et de Montivilliers, 16 octobre- 18 décembre 2004 [catalogue d’exposition], Le Havre, bibliothèque municipale Armand Salacrou, 2004
Chronicon majus Fontanellae, [vers 1075], Le Havre, Bibliothèque municipale, Ms 332